**Une Décision Importante**
En traversant le parc, Léa monta sur le pont et sarrêta brusquement. Elle sapprocha de la rambarde, pencha légèrement son corps et regarda en bas. La rivière en contrebas était froide et sombre, peut-être même pas très profonde, mais si jamais elle tombait Léa eut peur de ses propres pensées et repartit précipitamment.
Elle revenait de chez son amie, Manon, où elle avait passé la nuit après avoir fui la maison la veille, lors dune terrible dispute. La mère de Manon, Élise, était incroyablement gentille et lavait accueillie avec chaleur.
« Entre, ma petite, viens, Manon est dans sa chambre », avait-elle dit sans poser de questions sur les raisons de létat anxieux dans lequel Léa était arrivée chez eux en pleine soirée.
Élise avait compris quil y avait forcément une raison. Elle avait préparé un dîner pour les filles, leur avait servi du thé avec des croissants et les avait envoyées se coucher. Le lendemain étant un jour de repos, Léa avait décidé de rentrer chez elle, gênée dabuser de lhospitalité de tante Élise.
« Merci, tante Élise, je rentre à la maison, mes parents doivent sinquiéter », avait-elle dit avant de partir.
Après avoir traversé le pont, Léa aperçut une petite église. Bizarrement, elle ne lavait jamais remarquée auparavant. Pourtant, elle était passée par là des dizaines de fois avec Manon en bavardant. Poussée par une impulsion inexplicable, elle entra.
Une messe était en cours, il y avait peu de monde. Léa avança, regardant autour delle : cétait la première fois quelle mettait les pieds dans une église. Son regard se posa sur une grande icône de la Vierge Marie tenant tendrement lenfant Jésus. Léa ne pouvait plus en détacher les yeux.
Au bout dun moment, une voix douce lui chuchota à loreille :
« Ne réfléchis pas trop, ma petite. Garde-le. Tout ira bien. »
Léa sursauta.
« Comment vous savez ? » murmura-t-elle.
« Oh, ma chérie, jai vécu assez longtemps pour reconnaître ce qui tourmente les gens », répondit la vieille dame en souriant. « Crois-moi, ça va sarranger. Tu nes pas la première, tu ne seras pas la dernière. Aucune femme na jamais regretté davoir gardé son enfant. Et jen ai vu beaucoup, ici, dans ta situation. »
Le prêtre récitait une prière, la vieille dame se signa et sinclina. Léa resta encore un peu avant de sortir et de reprendre le chemin de la maison.
« Advienne que pourra », se dit-elle. La vieille dame avait raison.
La veille, après les cours, Léa et Manon étaient assises sur un banc dans le parc. Léa navait aucune envie de rentrer, trop bouleversée.
« Alors, tu as pris ta décision, Léa ? Tu gardes le bébé ? Et Théo, tu lui as dit ? » lassaillit Manon. « Et tes parents, ils en pensent quoi ? »
« Oh, Manon, tu parles trop vite, laisse-moi le temps de répondre ! »
Un brouillard opaque emplissait son esprit. Elle ne savait pas quoi faire. Elle était en deuxième année de fac, et voilà quelle était enceinte. Comment lannoncer à ses parents, surtout à sa mère ? Margaux était une femme dure et imprévisible. Elle ne soutiendrait sûrement pas sa fille.
« Maman va me tuer », murmura Léa. « Théo a dit quil ne voulait pas de cet enfant, quil nétait pas prêt à être père. Il ma même dit de ne plus lappeler. Je ne mattendais pas à une telle lâcheté de sa part On est ensemble depuis le lycée, il était mon premier. »
Manon semporta violemment contre Théo, révoltée par sa trahison.
« Tante Margaux va râler, cest sûr », dit Manon, moins convaincue, en repensant à la sévérité de Margaux. « Mais toi, au fond, quest-ce que tu veux ? »
« Manon, je sais pas Deuxième année, Théo ma lâchée. Maman sera contre, cest même pas moi qui décide. » Une larme coula sur sa joue.
« Bon, Manon, rentrons. Ce soir, je leur en parle. »
Le drame éclata le soir même. Margaux, les yeux écarquillés, hurlait :
« Comment tas pu ? Deuxième année de fac, où avais-tu la tête ? Tu savais quil fallait te protéger ! Pas question de garder ce bébé, je ne le permettrai pas. Tu dois finir tes études, pas gâcher ta vie ! »
« Margaux, tu perds la tête », répliqua son père, sévèrement. « Tu veux pousser ta propre fille à quoi ? »
« Georges, tais-toi ! », coupa Margaux. « Elle doit étudier, pas laver des couches ! Surtout que personne ne veut lépouser maintenant. Théo a disparu comme un lâche Qui voudra delle avec un enfant ? Sans diplôme et mère célibataire ? Alors hop, vite à lhôpital ! »
« Margaux, et nous, alors ? Léa est notre fille, on laidera à élever notre petit-enfant. Tu métonnes, vraiment. »
« Bien sûr, Georges, cest pas toi qui passeras tes nuits à changer les couches, hein ? Tu as ton boulot si important. Tout retombera sur moi, alors que je travaille aussi. Et puis à quarante ans, devenir grand-mère et replonger dans les couches ? Non merci ! » cria-t-elle, hystérique.
Léa, recroquevillée, comprit vite que la dispute naboutirait à rien. Elle attrapa ses affaires et senfuit. Ses parents continuaient à se crier dessus sans même remarquer son départ. Elle se réfugia chez Manon, sûre que tante Élise la réconforterait.
Léa rentra finalement chez elle. Le calme y régnait. Son père consultait son téléphone, sa mère saffairait dans la cuisine.
« Ah, te voilà », lança Margaux, le regard noir.
« Ma puce, te revoilà, tant mieux », dit son père avec douceur. « Tu étais chez Manon ? »
« Oui, Papa. »
Elle se planta au milieu du salon et parla haut et fort pour que sa mère lentende.
« Je vais garder mon bébé. Cest ma décision, et personne ne la changera. »
Elle avait parlé avec une telle fermeté que même sa mère neut rien à répondre.
Les jours passèrent, latmosphère se calma. Un après-midi, alors quelle était assise sur un banc du parc avec Manon après les cours, la mère de Théo, Claire, sapprocha. Léa se raidit, bien quelle sache que Claire était une femme calme et bienveillante.
« Bonjour, les filles. Léa, je peux te parler ? »
« Bonjour, bien sûr », murmura Léa tandis que Manon séclipsait.
Claire sassit à côté delle.
« Je sais que tu es enceinte. Ne sois pas fâchée, mais Manon ma appelée. Elle a bien fait. Léa, je ten supplie, garde cet enfant. Je te promets de taider. »
Léa sattendait à tout sauf à ça.
« Je sais que mon fils est un lâche. Il nest pas prêt à assumer, encore moins à se marier. Mais moi, je te le promets : je serai là pour toi, moralement et financièrement. »
« Pourquoi ? » demanda Léa.
« Ma fille aînée ne peut pas avoir denfants et nen aura jamais. Et Théo je nai guère despoir quil me donne un petit-fils un jour. Mais là, cest le bébé de Théo, mon sang. Je veux être là pour lui. »
Le regard sincère de Claire ne laissait aucun doute.
Tom naquit alors que Léa commençait sa troisième année. Joufflu et rose, il souriait à tout le monde. Son grand-père, Georges, en était fou. Tom devint le chouchou de son papi et de mamie Claire, qui passait souvent le voir.
Tout aurait été parfait sans Margaux. Peu avant laccouchement, elle fit ses valises et quitta la maison en déclarant :
« Restez donc avec vos couches et vos nuits blanches. Moi, je ne serai pas votre nounou. »
Elle partit vivre avec un collègue, avec qui elle avait une liaison depuis des années. Georges, abasourdi, découvrit que sa femme le trompait depuis longtemps.
Léa refusa de prendre une année sabbatique. Son père et Claire laidèrent à concilier études et maternité. Après la naissance de Tom, Claire prit un congé pour les soutenir. Georges lui en fut reconnaissant.
Tom eut un an quand Théo sengagea dans larmée. « Peut-être que le service le fera mûrir », espéra Claire.
Mais il prolongea son contrat, refusant de rentrer.
Les années passèrent. Tom grandit. Margaux coupa tout contact avec son ex-mari et sa fille, ne sintéressant plus à leur vie.
Un soir, Léa annonça à son père :
« Papa, je sors avec Olivier. On travaille ensemble, il est génial »
« Je suis content, ma chérie, mais il faut que je le rencontre. »
Olivier, grand et charmant, serra la main de Georges en arrivant.
« Enchanté, monsieur. »
Les deux hommes sentendirent à merveille, découvrant des passions communes.
« Léa, je le valide, ce garçon », dit Georges. « Il est sérieux, et en plus, il adore Tom. »
Bientôt, Tom eut un merveilleux beau-père, et Georges, un gendre formidable. Claire, heureuse pour Léa, craignait de moins voir Tom, mais leurs liens restèrent intacts.
Un jour, en se promenant dans le parc avec Olivier et Tom, une main sur son ventre rond, Léa pensa :
« Cette vieille dame à léglise avait raison. Aucune femme ne regrette davoir donné la vie. »
Léa était heureuse. Olivier aussi. Il adorait sa femme et attendait avec impatience la naissance de leur petite fille.







