NE CHANGE PAS…

Claudine Dubois préparait le dîner. Son mari, Pascal Lefèvre, rêvait de spaghettis aux fruits de mer. Après le boulot, elle fit un saut au supermarché du quartier, acheta tout le nécessaire et sattela à la cuisine seule. Pascal arriva en retard, mais avec un bouquet de roses à la main:

«Claudine, voilà le mari épuisé!», sécria-t-il en franchissant le seuil, tout joyeux.

Claudine éclata de rire, prit les fleurs et les déposa dans un vase.

Le soir, après le repas et une petite séance de débriefing sur les petites galères du jour, ils senfoncèrent confortablement dans le canapé et regardèrent un film. Mariés depuis plus de dix ans, leur passion sétait muée en une chaleureuse routine. Ils tenaient une petite affaire commune: Claudine gérait les fournisseurs, Pascal soccupait de la distribution et des finances. Un bel appartement parisien, une vie de couple sans enfants ils ny avaient pas vraiment pensé, peutêtre avant la quarantaine.

Un jour, Claudine ramena du trottoir un minuscule chaton tout dépouillé. Pascal se montra réticent.

«Questce que tu fais avec ce misérable? Remetsle au refuge. Si tu veux un félin, achètemoi un pedigree, un MaineCoon, cest à la mode!», lançatil.

Mais Claudine sattacha au petit boule de poils, le baptisa «Barthélemy» et le fit son «petit compagnon». Pascal ne le supportait pas. La haine était réciproque: le propriétaire pouvait en toute discrétion pousser le chat, qui, en représailles, se lovait sur son pantalon, laissant des poils et grattant son pull.

«Je le jette! Il abîme mes vêtements!», vociféra Pascal.

«Range tes affaires, il naime rien de ce qui bouge,» répliqua Claudine.

«Ce nom Barbenoir, cest trop populaire,» grogna Pascal.

Barthélemy, le regard vert et mystérieux, rétorqua dun clignement glacial. Ainsi débuta une guerre dun an entre le mari et le chat. Plus le temps passait, plus le félin agaçait Pascal, qui hurlait dès quil le voyait passer :

«Questce quil fait encore là? Il va tout casser!»

Claudine, toujours pacifique, tentait de calmer le jeu :

«Pash, détendstoi. Il ne fait que ses petites affaires de chat. Il ne tattaque pas,»

«Il me tape sur les nerfs. Tu le donneras à quelquun?»

«Jamais. Cest mon chat.»

En six mois, Barthélemy devint un gros matou, élégant et fier. Un jeudi, alors que Pascal était parti en déplacement à Lyon, Claudine fit son grand ménage du weekend. En fouillant le placard, elle découvrit une enveloppe contenant des factures: paiements dhôtels, billets davion, bijoux coûteux, tout en euros, ainsi quun contrat de vente de voiture au nom dune certaine Nathalie, pourtant signé par Pascal.

Quelques factures portaient les annotations de Pascal: il collectionnait les reçus pour les faire passer par lentreprise et récupérer les sommes. Claudine sentit le cœur se serrer. Elle aurait pu tout déchirer, hurler et appeler son mari, mais elle se retint. Barthélemy, curieux, sauta sur le dossier, le frotta contre ses pattes.

«Tu las vu, et tu me las montré,» murmura Claudine, un brin triste.

Le chat, ronronnant une petite berceuse, la réconforta. Elle recopiera toutes les pièces. Le soir même, elle chercha sur les réseaux le propriétaire de la voiture; il savéra être une jeune femme qui affichait fièrement la voiture rouge avec la légende «cadeau de mon amoureux». Aucun visage dhomme, seulement un dos et des bras distinctifs on aurait pu deviner le dos de Pascal. La vérité était claire: Pascal avait une maîtresse et dépensait leurs économies à ses frais.

Pascal revint dimanche soir, toujours avec des fleurs.

«Pourquoi tu ne mas pas accueilli?», lançatil en franchissant le seuil.

«Jai la grippe, la tête me tourne,» répondit Claudine, les yeux rouges.

Pascal dîna, puis Claudine se retira dans la chambre voisine.

«On appelle le médecin?» proposail.

«Non, jai déjà pris les médicaments,» refusatelle.

Pascal sendormit, laissant son téléphone sur le comptoir. Claudine, habituée à ne jamais fouiller dans le portable de son mari, le prit finalement par curiosité. Les SMS, les messages sur les appli de messagerie confirmaient ses soupçons: un texte à «mon soleil» disait «Tu me manques, on se voit mardi».

Le lundi suivant, Claudine envoya Pascal au travail, prétendant être malade. Elle rassembla les documents et se rendit chez son avocate. Celleci rédigea une requête en divorce et partage des biens. Claudine, sans rien dire à Pascal, déclara simplement:

«Je suis vraiment malade, je vais me reposer à la campagne.»

Elle ne se rendait plus au bureau que le weekend, travaillant à distance depuis la ville. Pour Pascal, recevoir la convocation fut un choc. Il arriva dun bond chez Claudine:

«Questce que tu fais? On est ensemble depuis tant dannées, je tai tout donné!»

«Je tai quitté,» répliqua Claudine, ironique. «Rendezvous au tribunal,»

Elle resta muette sur la maîtresse. Lors du procès, elle présenta les factures et les dépenses. Pascal pâlit. Le juge demanda:

«Madame, avezvous réellement dépensé tant dargent pour votre maîtresse?»

«Oui, je lai achetée,» admitil, rouge de honte.

Lavocate de Claudine obtint la moitié des actifs de lentreprise, une compensation pour les dépenses de la maîtresse, et le partage du domicile. Pascal conserva lappartement, Claudine gagna une maison de campagne et une belle somme dargent. Les voitures restèrent à chacun.

Avant le divorce, Claudine avait déjà transféré plusieurs fournisseurs vers une nouvelle société et reprit lensemble de la gestion: achats, finances et distribution. Elle pouvait désormais tout faire seule, et Barthélemy la tenait compagnie. Laffaire prospère.

Pascal, désormais concurrencé par son exépouse, bouillonne. Son compte en banque samenuise, la maîtresse nest plus la même. Il continue à la voir, mais rentre seul dans un appartement vide, tandis que Claudine, son ancienne femme, devient une rivale redoutable et souriante.

Оцените статью
NE CHANGE PAS…
Seul mon destin m’appartient