En exhumant une tombe fraîche et soulevant le couvercle du cercueil, les détenus restèrent pétrifiés. Ce qu’ils découvrirent marqua à jamais un avant et un après dans leur existence.

En creusant la tombe fraîchement recouverte et soulevant le couvercle du cercueil, les deux hommes restèrent figés, pétrifiés par ce quils découvrirent. Ce quils virent divisa leurs vies en un « avant » et un « après ».

Le vent froid dautomne sifflait à travers les couronnes de fleurs artificielles, faisant trembler les rubans funéraires comme des âmes incapables de trouver le repos. Cétait déjà le cinquième enterrement de la journée à défiler dans lallée principale du vieux cimetière. Le cinquième cercueil descendu dans la terre humide et inhospitalière. La cinquième âme officiellement condamnée à loubli par le monde.

Jean et Marc sétaient réfugiés dans une tonnelle de brique à moitié effondrée, cherchant à échapper au vent insistant. Leurs yeux, habitués à la méfiance constante, suivaient paresseusement la cérémonie. Le rituel du deuil nétait pour eux quun décor, une routine. Ils se levèrent, secouèrent leurs pantalons usés et, arborant des masques de peine convenables, se dirigèrent vers le groupe de personnes en larmes. Ils sapprochèrent de chacun, murmurant des condoléances à voix basse, serrant des mains froides. Personne ne prêtait attention à ces deux hommes ternes, vêtus de vestes élimées. Le chagrin est un grand égalisateur, il efface les barrières sociales. Dans ces moments-là, toute présence, même celle dinconnus, semble une goutte de chaleur dans un océan de perte. Personne ne leur demanda qui ils étaient, personne ne les empêcha de se recueillir.

Cest le dernier convoi qui attira leur attention. Tout ici criait largent. Le cercueil en bois poli aux poignées de bronze massif, les couronnes de fleurs fraîches dégageant un parfum enivrant, les voitures aux vitres teintées garées près du portailpas de vieilles Renault, mais des berlines étrangères. Jean sapprocha le premier. Il jeta un coup dœil à lintérieur du cercueil, et une grimace de douleur simulée traversa son visage. Il se signa dévotement, chuchota une prière apprise par cœur et séloigna en feignant dessuyer une larme. Marc, après une pause calculée, répéta le même rituel, soupirant de manière encore plus théâtrale. Leurs regards se croisèrent brièvement, un sourire fugitif aux coins de leurs lèvres. Sans un mot, ils retournèrent à leur abri de fortune. La future prise sannonçait bien plus juteuse que dhabitude. Il ne leur restait plus quà attendre la nuit.

La défunte, comme ils lapprirent dune vieille femme bavarde de léquipe funéraire, sappelait Élodie Dumont. Elle reposait dans une robe de velours soyeux, ses lobes doreilles ornés de lourdes boucles dor serties de pierres rouge sangprobablement des rubis. Un crucifix en or massif devait reposer sur sa poitrine inanimée, comme le voulait la tradition.

Lorsque le crépuscule engloutit les dernières lueurs du jour et que le cimetière sombra dans un silence troublé seulement par le bruissement des feuilles mortes, ils se mirent au « travail ». Le ciel, comme pour les narguer, se couvrit de nuages plombés, et une pluie froide commença à tomber. La terre mouillée collait aux pelles, chaque mouvement devenant une épreuve. Leurs mains engourdies, leurs dos douloureux, mais la pensée du butin les poussait à continuer. Ils navaient pas le choix.

Leur rencontre, une ironie du destin, remontait à leurs années en prison. Deux solitudes, deux vies brisées. Et la société qui les attendait à leur libération sétait révélée aussi impitoyable que les murs de leur cellule. Jean avait grandi dans un orphelinat où on lui avait appris à survivre, non à rêver. Marc, quant à lui, avait été renié par sa propre famille après sa condamnation. À leur sortie, rien ne les attendaitni toit, ni travail, ni espoir de rédemption. Ils avaient atterri derrière les barreaux pour des broutilles : Jean pour avoir volé quelques milliers deuros dans la caisse de lusine où il travaillait comme manutentionnaire, Marc pour une bagarre sous lemprise de lalcool qui avait coûté une mâchoire à son adversaire.

Personne ne voulait embaucher des hommes marqués par la prison, déjà âgés, qui sentaient le désespoir et le cachot. Alors ils avaient emprunté le chemin le plus simple, le plus sordide : le pillage de tombes. Ils se répétaient leur cynique mantra : « Les morts nont plus besoin de rien. Leurs richesses pourrissent sous terre, autant quelles nous servent. » Cela atténuait leur honte cuisante.

Ils se faufilèrent entre les tombes, ombres silencieuses, sassurant quaucun vivant ne rôdait dans ce royaume des morts. Arrivés devant la tombe fraîche, leurs pelles attaquèrent la terre encore meuble. Enfin, le bois du cercueil résonna sourdement sous leurs coups. Ils retirèrent les cordes, soulevèrent le lourd couvercle.

Et reculèrent, glacés dhorreur.

Jean Tu vois ça ? Elle elle respire ? murmura Marc, sa voix brisée par une terreur mystique. À la faible lueur de leur torche, il leur sembla que la dentelle sur la poitrine de la vieille femme se soulevait.

Tais-toi ! siffla Jean, incapable de détacher ses yeux du visage livide.

À cet instant, quelque chose fit geler leur sang. Une main froide, veinée de bleu, jaillit du cercueil et agrippa le poignet de Marc avec une force surnaturelle. Les deux hommes, endurcis par la prison et ne craignant ni Dieu ni diable, hurlèrent en chœur en bondissant en arrière.

Lâche-moi, démon ! bredouilla Jean, se signant frénétiquement.

Ferme-la ! Elle est vivante, tu comprends ? hurla Marc, non plus de peur, mais sous le choc dune soudaine clarté.

Ils ne prirent pas lor de la « morte ». Ils durent la sortir eux-mêmes de la tombeun squelette à peine recouvert de peau. Ils seffondrèrent sur lherbe mouillée, entre rires nerveux et sanglots de soulagement. La vieille femme toussa, son corps secoué de spasmes, puis ouvrit des yeux troubles mais bien vivants. Sans un mot, les deux hommes la portèrent jusquà la vieille maison du gardien, heureusement vide. Ils lallongèrent sur un lit de camp, la couvrant de leur veste sale.

Il faut appeler une ambulance, articula Jean, incrédule.

Alors la vieille femme, que le monde avait déjà pleurée, trouva la force de parler. Dune voix faible mais déterminée :

Non Pas de médecins. Cest un homme un homme bien précis qui ma enterrée vivante. Il doit payer.

Elle reprenait ses esprits, son regard saiguisait. Soudain, elle observa ses sauveteurs, leurs vêtements souillés, leurs pelles.

Et vous pourquoi creusiez-vous une tombe au milieu de la nuit ? demanda-t-elle, non pas avec dégoût, mais avec curiosité.

Les deux hommes échangèrent un regard coupable. La vérité était amère, mais mentir navait plus de sens.

On voulait se faire de largent, mémé, chuchota Marc, baissant la tête. Vos bijoux On est des pilleurs de tombes.

Aucune horreur ni jugement ne traversa son visage. Seule une froide détermination.

Dans ce cas, pour éviter les questions, retournez là-bas et refermez

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En exhumant une tombe fraîche et soulevant le couvercle du cercueil, les détenus restèrent pétrifiés. Ce qu’ils découvrirent marqua à jamais un avant et un après dans leur existence.
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