«LE GARÇON À ÉCORCHER»

Marion, vous et votre époux partagez la même part de responsabilité dans ce divorce, mavait déclaré la psychologue, ses yeux perçants plantés dans les miens.
Ma faute? Bien sûr que non! Cest lui qui a mené la famille à la rupture! mécriai-je, le cœur débordant dindignation.
Comprenez, Marion, lorsquun couple se sépare, la culpabilité se répartit à parts égales: cinquantecinqcinq. Pas quatrevingtdixdixdix, ni soixantequarante, mais exactement moitiémoitié. Ne discutez pas. Vous navez pas su établir une relation saine, poursuivait la psychologue dune voix calme et assurée.

Que faire? Jai deux petites filles. Mon mari les aime, mais je le déteste. Que me conseillezvous? demandaije, espérant encore quelle possède une baguette magique qui remettrait tout en ordre.

Dabord, apaisezvous, Marion. On ne peut pas foncer à toute vitesse, sinon on se brise. Et qui prendra soin des enfants? Les filles méritent une mère stable, pas une hystérique. Ditesmoi, envisagezvous de recommencer une relation?

Jamais! Pas question de revivre une déception! rétorquaije.

Ne soyez pas pressée. Vous êtes encore jeune, la vie sétend devant vous.

Pourquoi alors me suisje mariée? balbutiaije, les larmes coulant.

Parce que lon rêve de bonheur. Tout le monde cherche un bonheur immense, mais les séparations sont fréquentes. À lécole on nous apprend les mathématiques, pas les subtilités du couple.

Et le résultat: on ne se marie pas, on senfuit en larmes vers le divorce, soupira lourdement la psychologue. Le temps rouge passe, la jeunesse sévapore rapidement.

Jai tout donné à mon foyer! Jai supporté Pierre quinze ans, tandis quil nappreciait que le parfum dune fleur sans en sentir lodeur! Il était passif, épuisant. Je ne le supporte plus! Tout notre amour est en miettes, me lamentaije, voulant tout déverser.

Je vous propose une expérience, daccord, Marion? sourit la psychologue, un brin espiègle.

Laquelle? menhardisje.

Vous finirez par vouloir une nouvelle relation. Faites une pause, puis trouvez «un garçon pour sentraîner», comme on dirait. Apprenez à vivre avec un homme, à être à laise. La psychologue me lança un regard interrogateur.

Où dénicher un tel pimbêche? métonnaije.

Vous navez pas besoin de chercher. Ce «garçon pour sentraîner» sera votre exmari.

Comment?

Vous navez plus de pitié pour lui, vous ne vous souciez même pas sil vous abandonne. Expérimentez, cest une situation gagnantegagnante, insistatelle.

Jacceptai, ne risquant rien. Pierre ne me faisait plus de peine, quil aille se perdre

Pierre était devenu si insupportable que je prirent les deux petites filles, Élodie et Clémence, et je méclipsai dans un petit appartement loué à Montmartre. Le tribunal conclut au divorce. Pierre supplia, voulait que je réfléchisse, mais je brûlais tous les ponts.

Aucun homme ne croisait mon chemin; après quinze ans de mariage, je désirais la solitude. Pierre, fou de désespoir, menvoya des cadeaux futiles, des fleurs, minvita même à la piscine municipale. Une attention tardive, mais je mépuisais.

Il ne croyait toujours pas que cétait fini.

Quand je minstallai avec les filles dans ce logis modeste, je ressentis une bouffée de soulagement. Enfin, jétais dans les cieux, flottant parmi les nuages.

Mais les petites me ramenèrent sur terre:

Maman, pourquoi notre papa estil fautif?

Je restai sans voix. Comment expliquer à Élodie et Clémence que je ne pouvais plus vivre avec leur père, que ses mots nétaient que du vent, que la vie était devenue sombre et étouffante? Cest alors que je retournai chez la psychologue, espérant quelle méclairerait le chemin.

Lexpérience commença. Un mois après la séparation, je rappelai Pierre:

Salut! Comment vastu? On pourrait se voir? Jai quelques questions.

Marion? Bien sûr, à tout moment! sexclama Pierre, débordant de joie.

Nous nous rencontrâmes sur un banc du parc des ButtesChaumont. Pierre sefforçait de sasseoir plus près, de me prendre la main. Nous parlâmes de tout et de rien. Aucun sujet ne surgit. Il me raccompagna chez moi, membrassa chaleureusement sur la joue, et offrit aux filles quelques bonbons.

En entrant, je regardai par la fenêtre. Pierre était toujours là, dehors. Jagitis un petit salut de la main, il me renvoya un baiser aérien.

Ces petites rencontres avec mon exépoux me convenaient parfaitement : aucune dispute, aucune vaisselle brisée. La vie reprenait des couleurs vives et juteuses.

Nous nous revîmes chaque mois, au café, au cinéma, dans le parc. Ma vie se tissait de joie. Jétais prête à unir nos chemins.

Un an passa.

Pierre, on se voit aujourdhui? demandaije, curieuse.

Désolé, Marion, je suis très occupé. Je tappellerai quand jaurai un moment, raccrochatil.

Cela se reproduisit trois ou quatre fois. Je commençai à manxieter. Pourquoi? Une autre femme étaitelle entrée dans sa vie? Sentaisje la jalousie monter?

Je le rappelai :

Pierre, les filles sennuient. Allons les emmener au zoo.

Marion, jai une épouse à la maternité, réponditil, haletant.

Quelle épouse? Tu plaisantes?! criaije.

Ce nest pas une plaisanterie, Marion. Nous attendons un garçon avec Lily.

Je restai sans voix, ne pouvant que murmurer:

Adieu! Je vous souhaite un bonheur sans nuages.

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