Regarder dans le Vide

**REGARDER DANS LE VIDE**

Louis et Élodie se marièrent à dix-neuf ans. Leur amour était fou, brûlant, comme une fièvre qui ne les quittait plus. Leurs parents, craignant les débordements, hâtèrent les noces. Tout y était : les rubans sur la voiture, les fleurs à profusion, les feux dartifice, le banquet, les cris de *« À la santé des mariés ! »*

Les parents dÉlodie, accablés par leurs dettes et lalcool, navaient pu contribuer. Cest la mère de Louis, Alexandrine Alexandrovna quon surnommait *Sana Sanovna* pour éviter les nœuds à la langue qui paya tout. Elle avait tenté de dissuader Louis : *« Méfie-toi, mon fils, de quel arbre tombe la pomme. Lamour peut senvoler plus vite quun moineau. »* Mais Louis jurait quÉlodie était différente, que leur passion vaincrait tout.

On leur offrit un appartement. *« Soyez heureux, mes enfants ! »* Les premières années furent douces. Deux filles naquirent : Clémence et Aurélie. Louis en était fou, fier de son petit royaume.

Puis, Élodie commença à disparaître. Elle rentrait ivre, refusant dexpliquer. Un jour, elle avoua : *« Je ne tai jamais aimé. Cétait de ladolescence. Maintenant, jai trouvé lhomme de ma vie. »* Un homme marié, père de trois filles. Louis, abasourdi, la vit partir pour un village perdu, abandonnant leurs enfants.

Sana Sanovna, vive comme léclair, les recueillit. Louis, désespéré, se jeta dans une secte. On le maria à une veuve, Brigitte, et ses deux garçons. Il neut plus le temps pour ses filles. *« Elles ont une mère, quelle sen occupe ! »* lui répétait Brigitte.

Sept ans plus tard, Élodie réapparut, traînant une fillette de quatre ans, Margaux. *« La vie ta maltraitée, on dirait »,* ricana Sana Sanovna. Élodie supplia : *« Pouvons-nous rester ? Mon homme me bat, je nen peux plus. »* *« Tu tes choisie ce destin »,* rétorqua Sana. Mais elle les hébergea.

Un mois plus tard, Élodie disparut à nouveau, retournant vers son bourreau. Margaux resta. Trois petites-filles maintenant, dans cette maison où régnait lamour, malgré tout.

Le temps fila. Sana Sanovna et son mari séteignirent. Clémence se maria, sans enfants. Aurélie vieillit seule. Margaux, à dix-sept ans, eut un enfant de père inconnu et partit rejoindre sa mère au village.

Élodie, seule, était devenue la honte du hameau. *« Une ivrogne sans vergogne »,* chuchotaient les voisins. Son amant, malade, avait été emmené par ses filles, qui laccusaient : *« Occupe-toi de tes oignons ! »*

Louis, lui, séchappa de la secte, ruiné. Il errait dans lappartement de sa mère, vivant de misère, entouré de trois chats pour tromper la solitude.

Le bonheur avait frappé à leur porte, autrefois. Ils ne lavaient pas entendu.

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