Maman, quest-ce que tu as fait ? La voix dÉlodie tremblait au téléphone. Un chien du refuge ? Et en plus, vieux et malade ? Tu as perdu la tête ? Pourquoi pas des cours de peinture à la place ?
Camille Rousseau restait devant la fenêtre, fixant les flocons de neige qui dansaient avant de se poser sur les toits parisiens. Une habitude prise ces derniers mois. Autrefois, elle guettait le retour de son mari, rentrant tard, la voix éteinte. La cuisine baignait dans une lumière douce, le dîner encore chaud, leurs conversations ponctuées par le cliquetis des tasses à thé.
Puis, les mots sétaient raréfiés. Il rentrait à des heures impossibles, évitait son regard. Jusquà ce soir-là.
Camille, je dois te parler Jai rencontré quelquun. Elle me rend heureux. Je demande le divorce.
Le divorce ? Et moi, alors ? Une douleur fulgurante lui traversa lépaule.
Nous sommes adultes. Les enfants ont leur vie. Trente ans ensemble, cest assez. Nous méritons tous les deux un nouveau départ, non ?
Donc, je suis du passé. Démodée murmura-t-elle, le cœur en miettes.
Ne dramatise pas. Mais je me sens revivre. Pardonne-moi. Il lembrassa sur le front avant de disparaître dans la salle de bain.
Leau coula longtemps, emportant leurs souvenirs. Camille, elle, sentit le poids du monde sécraser sur ses épaules.
Les mois passèrent, flous comme un brouillard matinal. Divorce, appartement vide, routine morne. Elle avait tout donné : à ses enfants, à lui. Leurs soucis étaient les siens, leurs rires, sa raison dêtre. Et maintenant ?
Elle observait la rue, son miroir à la main. Les rides sy dessinaient en filigrane, comme des cicatrices du temps.
Maman, occupe-toi un peu, lançait sa fille entre deux rendez-vous.
Comment ça, ma chérie ?
Peinture, bridge, voyages
Bridge ? À mon âge ? Elle étouffa un rire amer.
Désolée, je suis pressée.
Son fils, Mathis, fut plus attentif :
Maman, viens nous voir à Noël. Isabelle a hâte de te connaître.
*****
Un soir, en scrollant sur Facebook, Camille tomba sur une annonce :
*« Portes ouvertes à la SPA de Montreuil. Venez avec des couvertures, des jouets »*
Le lendemain, elle tria ses armoires.
Des draps, des serviettes Jen ai trop.
Dix jours plus tard, elle franchissait les portes du refuge, les bras chargés. Un bénévole laida à porter ses sacs.
Voici Loulou. Un Caniche de douze ans. Abandonné par sa famille. Personne ne veut des vieux chiens, hélas.
Camille saccroupit devant lui. Immobile, les yeux voilés. Comme elle se sentait parfois.
Toute la semaine, Loulou hanta ses pensées. Une force nouvelle lanima.
Lui et moi, cest pareil. Mais je refuse de finir en rayonnage.
Elle rappela le refuge.
Je veux revenir voir Loulou.
Ce soir-là, devant sa fenêtre, elle vit un voisin jouer avec son Labrador. Le chien bondissait, joyeux, dans la neige.
Au refuge, elle sassit par terre près de Loulou, lui parlant de sa vie, de son appartement trop silencieux. Peu à peu, il posa sa tête sur ses genoux.
Je ladopte, annonça-t-elle à la bénévole.
Il aura besoin de soins coûteux
Jai élevé deux enfants. Je gérerai.
*****
Maman, un chien ? Sérieusement ? cria Élodie au téléphone.
Oui. Et cest mon choix, rétorqua Camille.
Mathis, lui, sourit :
Génial, maman ! On vient te voir avec Isabelle.
Le 31 décembre, sa sonnette retentit. Loulou aboya, suivi par le Labrador du voisin et son maître, Julien.
Maman, devine quoi ? Isabelle est enceinte ! Et on veut adopter un chien aussi, annonça Mathis en riant.
Cette nuit-là, entre rires et champagne, Camille comprit : la vie offre toujours une seconde chance.
Même les cœurs brisés peuvent refleurir. Il suffit parfois dune patte tendue dans lobscurité.







