J’ai remis à sa place ma belle-mère envahissante

Je me remémore encore les querelles qui éclataient autour du potager de ma bellemère, Madame Paulette Moreau.
Quel potager? De quoi chuchotezvous? sécria Béatrice en ouvrant grand les yeux, dun ton théâtral. Vous avez vousmême dit que mes mains poussent là où naissent mes pieds!

Et si je navais ni lun ni lautre! Vous me faites rouler le jardin comme on roule du pavé!

Oh, tant mieux, grogna Paulette, la mâchoire crispée. Pas besoin dinsister! Avec une bêche, vous vous en sortirez, je nen doute pas!

Vous me flattez à grands coups! secoua la tête Béatrice. Vous avez atteint lexcès!

Dernière fois, je vous demande, aiderezvous au potager? haussa la voix Paulette.

Comme si cétait la dernière? sexclama Béatrice. Et après, vous vous taisez?

Ton langage est sans cœur! Tu balancerais la bêche comme un fouet! répliqua la bellemère. Allons au jardin! Je vous montrerai ce quil faut faire!

Comment, comment? balbutia Béatrice. Vous mavez déjà dit de ne pas vous regarder!

Et pourtant, dans la maison, pour le bien du fils, vous me supportez tant que vos forces le permettent, alors que, sur votre terre sacrée, je ne compte pas vous embrouiller les yeux! Il faut que je prenne soin de ma chère bellemaman!

Tu es une vraie bourrasque! sécria Paulette. Je tâcherai de survivre! Je vous montrerai la tâche, et je ne vous gênerai pas! Mes yeux resteront intacts!

Ah, cest ça? Vous croyez être rusée, nestce pas? Vous demandez de laide et vous créez le désordre! lança Béatrice avec un sourire en coin. Vous vouliez donc de laide!

Quand mes mains sajoutent aux vôtres, vous ne me voyez même plus! Si nos nez se touchaient sur la même parcelle, je réfléchirais davantage, mais labourer votre domaine sans surveillance, sans direction, sans une parole douce, je ne le tolère pas!

Si je fais une bévue, vous me feriez tout manger! Et pourquoi le feraisje si notre amour nest pas grand?

Je préfèrerai rester près du feu pendant que Jean se détend dans le sauna du village.

Tu ne cesses de jacasser! sindigna Paulette. Tu aurais déjà tout accompli! Jeune, vigoureuse, pleine dénergie!

Merci pour le compliment! sourit largement Béatrice. Ma bellemère déborde toujours dénergie!

Il y a un mois, on ma crié dessus si fort que mon oreille gauche porte encore la cicatrice du cri! Voilà la puissance dune voix! La jalousie gronde! Mais, comme on dit, «qui ne risque rien na rien».

Béatrice, je dirai à Jean que tu as refusé daller au potager! Que tu mas rejetée! menaça Paulette. Pensestu quil pardonnera?

Où est mon refus? sécria Béatrice. Je suis prête à tout, donnemoi simplement la chance! Je veux être votre aide!

Quand ma bellemère sélance à maider, je réponds de la même façon! Et je donne même plus, car je ne crains rien pour ma chère bellemaman! Vous, vous avez peur?

Peur de quoi? demanda Paulette, perplexe.

Lan dernier, Jean et moi avons passé tout lété à travailler sur votre ferme. Vous nous avez remerciés en nous envoyant des insultes au lieu dune récolte!

Je vous suis reconnaissante davoir perdu du poids et davoir gagné du muscle, mais jaurais aimé une vraie nourriture, pas que lon nous jette à la figure!

Si ma mémoire est bonne, vous avez eu pitié de nos dos épuisés, mais nous ne transportions plus de bocaux en bus! Cette fois, nous venons en voiture, le coffre est vide! Nous prendrons les fruits du potager, si nous devons encore labourer et semer cette année.

Si cest comme lan passé, laisseznous partir! Lenvie sest éteinte!

Vous êtes rancunière! lança Paulette.

Jamais je nai pensé à vous, même pas une goutte! Sans votre potager, jai déjà mille occupations!

Mon mari, Henri, séclipse sans tendresse, mon fils, Jean, se languit sans sa mère!

Doisje encore moccuper du dernier potager? demanda Béatrice, les yeux fixés sur la bellemaman. Répondez! Je ne sais plus quoi dire!

Vous êtes ma propre mère, vous devez comprendre! rétorqua Paulette, avec un ton reprochant. Camille a besoin daide! Je préparais la récolte, je remplissais les bocaux! Elle élève seule deux filles! Et vous?

Pourquoi ne pas faire travailler vos deux filles dans votre potager? Elles viennent pour la récolte, alors quelles pourraient travailler! Je ne vous gênerai pas, je ne foulerai même pas vos pieds! Tout cela, cest pour votre plaisir!

Oh, Jean a choisi! Oh, il a choisi! secoua la tête Paulette. Cest une malédiction ou pire encore!

Vous me cajolez encore avec des mots doux! sourit Béatrice. Pourquoi vous appelezvous «serpent»? Cest plus familier et plus paisible!

Ou bien êtesvous tombée amoureuse de moi? Alors jirai confesser! Peutêtre mavezvous déjà fait entrer chez vous comme une invitée!

Crache! sécria Paulette.

Quoi? fit semblant Béatrice dêtre surprise. Navezvous pas prédit le sort de Jean, veuf, pour quil se libère de moi?

***

Béatrice épousa Jean, pas toute sa lignée. Elle laimait, le respectait, voulait bâtir une vie à ses côtés pour, au crépuscule, chérir leurs petitsenfants. La multitude de parents de Jean ne peuplait que ses rêves.

En réalité, ils étaient bien là! Pas tant que cela, mais il y avait la mère, devenue bellemaman, la sœur aînée mariée, la tante quon ne nomme même plus, et les cousins qui ne manquaient jamais de bruit.

Cette joyeuse bande réjouit Béatrice comme une pluie dor.

Ses parents étaient des gens aisés. On ne mangeait pas en or, comme le croyaient les commères, mais ils offrirent à leur fille un appartement pour son mariage.

Ils tenaient une petite exploitation porcine, revenus stables. Mais ils travaillaient si dur que lon ne voudrait même pas toucher à cet argent si on le trimbait.

On peut soulever des montagnes avec les mains dautrui, mais largent gagné à la sueur de son front paraît toujours léger. Voilà pourquoi leurs bras sétiraient vers lor.

Si Jean tendait la main, il deviendrait alors lexépoux avec toutes les implications. Mais Jean aimait Béatrice, pas lor de ses parents. Il nentendit parler dargent quau mariage. Le jour même, ils gagnèrent leurs noces à deux.

Quand largent devint un sujet, le comportement de Jean ne changea pas. Il ne demanda quune chose :

Béatrice, si largent venait à manquer, essayons dabord à gagner nousmêmes! Et si cela échoue, alors demander de laide!

Il tenait parole. Trois ans après les noces, ils allèrent chez les parents de Béatrice pour acheter le berceau, la poussette, la baignoire

Jean insista pour signer un acte de reconnaissance! Le notaire refusa, mais Jean rendit largent honnêtement.

Comment un Jean issu dune famille mercantile at-il pu grandir ainsi? Peutêtre grâce à un voisin, ou à la promesse de Paulette, qui nétait pas mariée quand elle le mit au monde, même si elle jurait que le père était le même que celui de la plus vieille Camille.

Quoi quil en soit, Paulette na jamais pu le corrompre.

Le secret des finances familiales sest révélé, les mains avides ont cherché le chat de Béatrice. Elles ne seraient pas allées à Jean. Ce dernier leur donna aussitôt :

Avant le mariage, je vous aide! Après, chaque famille gère son budget. Si la femme accepte, je donne un sou; sinon, je quitte les champs.

Béatrice, suivant lexemple de son mari, ne voulut pas les envoyer aux prairies, aux marais ou aux montagnes. Elle les fit venir à la ferme porcine des parents.

Messieurs, du travail à nen plus finir! Vous serez bien payés! On peut combiner cela avec votre métier! Les porcs mangent, et il faut nettoyer le processus de digestion qui ne finit jamais!

Les cousins et la tante se retirèrent, bien que leur opinion sur la femme de Jean ne fût pas la meilleure.

Pardon! Je prends largent moimême! déclara Béatrice.

Quand on suggéra à la bellesœur où les conduire, elle tourna le dos à Béatrice et à Jean en un clin dœil. Elle navait plus besoin daventures: il lui fallait seulement retrouver le père de ses deux anges, pas soccuper de porcs.

Paulette, après avoir entendu les péripéties de sa sœur et de ses neveux, décida dêtre plus maligne.

Elle est encore jeune! Doù son audace! Elle sest mariée, rien ne larrête! La vie la fera manger des problèmes, il ne restera rien de son salaire! Alors nous en tirerons le jus!

Sa patience était légendaire. Elle attendit que les jeunes se calment, accouchent, traversent les tourments de la vie.

Pendant ce temps, elle resta neutre, bienveillante.

Le petit André eut cinq ans quand Paulette décida dintervenir. Elle savait déjà que Béatrice navait plus accès aux sousfonds familiaux, et que le fils ne pourrait plus tirer delle.

Quand largent manque, on compte sur le naturel!

Paulette vivait dans une maison de campagne, à la lisière du village qui allait bientôt être englouti par la ville. Mais ce qui importait, cétait son immense potager. Elle voulait y puiser la force de la bellefille.

Béatrice, elle, venait dun autre hameau où ses parents géraient une petite porcherie. Le travail de la terre ne la faisait pas peur; même économiste en ville, elle pouvait manier la pelle et la griffe.

Quand Paulette sollicita laide de Béatrice et de Jean, ils répondirent volontiers. Deux semaines de congé pour tout planter, puis deux autres pour désherber, en profitant des weekends pour bêcher et bêcher.

Les voisins, entendant les cris, se pressaient aux clôtures pour savourer le spectacle, comme on déguste un bon roman.

Béatrice décida toutefois de ne pas envenimer les choses.

Jean, on comprend!

Non! sécria Jean.

Je ne prétends pas tout pardonner, mais je le comprends. Cest un comportement bien particulier, et votre mère ne reviendra jamais à ce quelle était. Mais rester ennemis avec un proche? Cest pire! Il faut simplement ne plus laisser les autres nous piétiner.

Béatrice, elle te tourmentera! Je suis son fils, je dois la protéger!

Jean, je ne suis pas de tout repos! ricana Béatrice. Tu verras, je trouverai une réponse.

Béatrice répliqua à sa bellemaman dune façon qui fit lever les yeux au ciel de Paulette. Ce qui la blessait le plus, ce nétait pas les mots durs, mais le sentiment davoir été foulée aux pieds comme du fumier.

Paulette, elle, ne mâchait pas ses réponses. Elle lançait tout ce qui lui passait par la tête, et Béatrice rétorquait à chaque fois, renversant la vapeur.

Ni le ménage, ni la cuisine, ni les conserves, ni lentretien du potager ne la tentaient. Paulette pensait que Béatrice ne reviendrait plus jamais, mais la bellefille arriva, avec son mari, comme il se doit. Paulette crut alors voir sa bellefille fléchir, puis se relever, puis résister à nouveau.

Assez, dites cela! senflamma Paulette. Doisje souhaiter du mal à mon propre fils? Jessaie de tout cœur de lui faire plaisir!

Voilà le langage! sillumina Béatrice. Et je consacre toutes mes forces à plaire à mon Jean! Mais si je mépuise dans votre potager, que deviendra mon énergie?

Comment alors prendraije soin de Jean? Comment laimeraisje? Comment le nourriraije, labreuvraije, le coucheraije?

Vaisje le laisser sans attention? Il serait mécontent et rapporterait à sa mère que sa femme ne laime pas, ne le nourrit pas, ne lentretient pas!

Allezvous taire? Non, bien sûr! Vous vous fâcherez! Mais pourquoi aggraver la relation avec ma bellemaman? Elle ne me regarde déjà pas! Pas de potager, je garderai mes forces pour Jean!

Béatrice, balbutia Paulette, stupéfaite.

Ne me forcez pas! répliqua fermement Béatrice. Je suis indispensable à mon mari! Sans moi, il se perdrait! Je ne peux pas me réduire à vos jardins et à vos corvées! Seulement à la maison, et seulement pour Jean.

Paulette comprit que la bellefille lavait surpassée sur tous les plans, et quil était difficile de la critiquer sans attaquer son fils.

Quand elle se calma, elle leva son verre de vin de mesange et conclut, sobrement :

Jean est débrouillard, mais avec une telle arrièreplan, je suis tranquille.

Et ainsi, les souvenirs de ce potager, des querelles et des réconciliations restent gravés dans ma mémoire, comme les sillons dun champ qui, jadis, a nourri tant de générations.

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