Jusqu’à la polyclinique, Svetlana a peiné à avancer

À la polyclinique de Paris, Sophie peine à avancer: elle sest gravement foulé la cheville en trébuchant, au point quelle marche à peine. Un homme chauve, dun pas léger, double habilement Sophie et se glisse juste devant elle, arrivant le premier chez le médecin. Exténuée, Sophie sassied brutalement sur la chaise lorsquelle entend, à côté delle, une femme murmurer,«Ces hommes ne cèdent jamais!». Lautre femme, en entendant cela, répond: «Il était déjà passé ce matin, il revient encore, ils narrivent toujours pas à choisir une prothèse. Il court vite, alors il doit être pressé!» Elle éclate de rire et lance: «Cest mon voisin, André, un bon gars. Sa vie na pas été simple: il a perdu la jambe jusquau genou, sa femme la quitté. On aurait pensé quil sombrerait, mais il bondit encore comme un doigt! Aucun enfant, aucun proche», elle agite la main. À ce moment, un homme légèrement boitant sort du cabinet, le sourire aux lèvres, cligne de lœil à Sophie et à son interlocutrice et lance: «Allez les filles, on continue!», avant de filer vers la sortie.

Sophie esquisse un sourire en entendant «les filles». Ce nest plus vraiment elle qui parle. Elle sest mariée très jeune, son mari, Paul, était douze ans son aîné. Tous deux partagent le même signe astrologique, le Chien, et ils aiment les bouledogues. Peu après, ils adoptent un bouledogue quils nomment Gaspard, puis Sophie tombe enceinte. Leurs amis les félicitent: «Vous avez la maison, la voiture, la résidence de campagne, le chien, et bientôt un petit garçon». Au sixième mois, Sophie subit une fausse couche et ne parvient pas à sauver leur bébé. Paul la console dabord, puis dit: «Nous ne sommes plus tout jeunes, mais nous avons Gaspard, notre bouledogue. Le chien ne remplacera jamais un enfant, je sais.»

Lors dune exposition canine, Paul rencontre Olivia, qui possède elle aussi un bouledogue. Il lui annonce alors: «Olivia, nous aurons un enfant; elle est jeune, elle donnera un bébé en bonne santé. Tu es jeune, comme si Sophie était vieillie!» Olivia, près de vingt ans plus jeune que Paul, accepte, et Paul commence à se sentir plus âgé que dhabitude, comme si la vie sécoulait en un clin dœil. «La retraite approche,» lui lance Paul, comme sil parlait aussi à Sophie. Elle se persuade alors quà quarantetrois ans, elle nest pas encore vieille, mais son âme se sent déjà dune vieille femme.

Une semaine plus tard, la douleur à la cheville satténue. Sophie se rend de nouveau chez le médecin et retombe sur le même homme chauve. «Mademoiselle, excusezmoi, passez devant, je me glisse sans attendre,» sexcuse lhomme avec un sourire poli. En sortant du cabinet, il reste planté là. «Le suivant!», crie linfirmière. «Vous êtes invitée,» dit-elle, étonnée que lhomme ne rentre pas. Lhomme répond: «Jai déjà été, je plaisante, je vous attends, jolie demoiselle. Je mappelle André, et vous? Sophie? Je le savais. Quel autre prénom pourrait porter une fille si charmante et aux yeux clairs? Un invalide solitaire vous accompagneraitil un moment?»

Sophie sourit: «Si je suis jolie, vous ne ressemblez pas du tout à un invalide.» Ils sortent ensemble, André raconte des anecdotes, puis propose à Sophie de sappuyer sur son bras, car elle boit encore. «Envie dun café?», indique André en pointant un petit bistrot, «cest bon marché et délicieux, je vous offre, je nai pas encore pris mon petitdéjeuner.» La conversation avec André est légère, et il lui propose de se revoir, ce que Sophie accepte volontiers.

Un jour, André confesse: «Sophie, ne dis pas que je suis pressé, jai peur quon me double à un tournant et que je reste bloqué. Je suis boiteux, chauve, et vous êtes une belle femme!» Il marque un instant de silence, puis reprend: «Sophie, épousezmoi!Ne dites pas que nous nous connaissons peu, je veux passer le reste de ma vie à vous connaître. Vous ne regretterez pas; jai un appartement, un travail, je suis un homme solide.» Il baisse les yeux, comme sil pressentait son refus. «On ne veut plus dun invalide, tout le monde préfère quelquun de sain et riche.»

Sophie éclate de rire: «André, tu es le meilleur!Ce nétait pas évident daccepter tout de suite, mais jaccepte!» Le mariage a lieu et, peu après, Sophie tombe enceinte. Elle naurait jamais imaginé pouvoir avoir un enfant, ayant longtemps renoncé à lidée. Tout semble se dérouler comme un retour en arrière, la rendant à nouveau jeune, belle et aimée.

«Regarde, mon petit Sacha, quel petit bouclé!», sémerveille Sophie. André, caressant son crâne chauve et lisse, répond: «Je suis aujourdhui ce crâne chauve, mais avant jétais un aigle blond aux cheveux bouclés. Notre fils, Sacha, a tes yeux, moi les miens, ses boucles comme les miennes.» Elle sappuie contre lui, émue: «Je nen crois pas mes yeux, notre bébé!Si nous ne nous étions pas rencontrés, il nexisterait pas.» Les larmes lui montent aux yeux. André, déconcerté, dit: «Sophie, arrête, ce nest pas grave, mon amour!Regarde Sacha, comment pouvaitil ne pas naître? Je suis sûr quil devait venir au monde. Nous ne nous serions pas rencontrés en vain, sans toi je serais perdu.»

Sophie essuie ses larmes, se blottit encore plus fort contre son mari et déclare: «Je pleure de bonheur. Cest la première fois de ma vie que je pleure de joie.» Un sourire illumine son visage, des larmes scintillent sur ses cils comme des diamants. Elle se sent riche et comblée. Après tout, le plus grand trésor, ce sont les enfants, et le bonheur, cest lamour.

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