Une Mère Étrangère

« Il faut que toi et ton mari venez chez moi, » a dit Sophie Martin d’un ton grave, « nettoyer les fenêtres, balayer les tapis! »

«Quelle proposition!» a rétorqué Clémence en riant, «mais je crois que je vais décliner.»

«Clémence, questce qui se passe?» a demandé Pierre, tout confus. «Il faut aider ta mère!»

«Non, pas du tout!» a répliqué Clémence, forçant un sourire.

«Comment ça, «pas du tout»?» sest embrouillé Pierre, «cest ta mère, après tout!»

«Pierre, ça fait neuf ans quon est mariés! Tu doutes vraiment de ma raison?» a lancé Clémence, directe.

«Ce nest pas ce que je pensais,» a balbutié Pierre, en pointant du doigt la bellemère.

«Pas besoin de me rappeler que mère, cest mère!»

«Pourquoi ne pas aider ta mère si elle te le demande?» a demandé Pierre.

«Tu y vois même pas la moindre demande?» a interrogé Clémence. «Elle a dit quon doit faire ce quelle veut!Nous, on doit lui obéir!»

«Oui, on doit!» sest exclamée Sophie. «Tu es ma fille, il est mon gendre! Mais le gendre, on le gronde moins! Et la fille je tai mise au monde, donc tu ne peux pas laisser ta mère dans la panade.»

«Mmm,» a soupiré Clémence. «Je peux.»

«Et alors, quelle sorte de fille estu?» a crié Sophie.

« Aussi entêtée que toi, maman!» a sorti Clémence.

«Clémence, quelle honte!» a sécrié Pierre. «Comment peuxtu répondre si grossièrement à ta mère?»

«Jai tout à fait le droit!Et si tu ne sais pas tout, je ne te crierais pas dessus comme à ta femme!»

«Clémence,» a dit Pierre avec un air sérieux. «Je sais peutêtre pas tout, mais il faut respecter sa mère! Et aider les parents, cest sacré! Pas de mauvaise attitude!» Il a tourné son regard vers Sophie : «Sophie, pardonnezmoi pour son comportement! On passera ce weekend et on soccupera de tout.»

«Non, on ne vient pas!» a claqué Clémence du poing sur la table.

«Très bien, jirais seul!» a lancé Pierre, sans perdre de temps, prenant les rênes de la famille.

«Si tu vas chez elle, tu ne rentreras peutêtre plus!» a averti Clémence avant de se détourner.

«Ah!» a hoché la tête Sophie. «Ma fille, tu es vraiment formidable!»

«Exactement!» a rétorqué Clémence, se tournant vers sa mère. «Pourquoi tu nas pas demandé à Léa de laver les vitres et de balayer les tapis?»

«Léa, cest qui?» a demandé Pierre.

«On ta pourtant dit que tu savais rien!Allez, ne ten mêle pas!Léa, cest ma sœur, ma vraie sœur!» a répliqué Clémence. «Maman, pourquoi tu ne demandes pas à Léa?Elle a le même droit que toi de me pousser le nez!»

Pierre a jeté un regard interrogateur à sa bellemaman, qui a rougi sans répondre.

«Quoi, ma petite?Tu nas plus de mots?Besoin daide pour en trouver?Je peux taider, sinon Pierre se perd dans ses idées!» a taquiné Clémence.

«Maman ne parle plus à Léa parce que Léa la mise à lécart quand elle sest mariée il y a six ans!Ce fut alors que ma maman a décidé de revenir dans la vie de sa deuxième fille, cest là que tu las rencontrée!»

«Ah oui, je comprends!Personne navait parlé delle avant quelle revienne, jai même cru que tu navais pas de mère.» a balbutié Pierre.

«Ton attention me fait tourner la tête!Je navais pas de mère, puis elle est apparue. Et tu nas même pas demandé comment ça sest passé!» a ri Clémence.

«Jallais le faire, mais jai oublié,» a admis Pierre, gêné. «Après, on a repris contact, mais je ny ai pas vraiment fait attention.»

«Tu veux que je te raconte tout?» a proposé Clémence avec enthousiasme.

«Non!Pas la peine!» a crié Sophie.

«Questce qui se passe, maman?Tu as honte?Ou ta conscience sest réveillée?»

«Il na pas besoin de savoir, ça ne le regarde pas!»

«Comment ça ne le regarde pas si tu comptes lui faire laver les fenêtres et balayer les tapis?Cest bien mon affaire!Et je veux quil comprenne pourquoi je refuse!» a affirmé Clémence.

Quand les parents se séparent, ce sont dabord les enfants qui souffrent. Ils garderont toujours un petit traumatisme, mais des parents raisonnables peuvent alléger la peine. On peut se mettre daccord pour se voir, sans ressasser le passé ni ressasser les vieux conflits.

Pour les enfants, les parents restent les mêmes, même sils ne vivent plus sous le même toit. Comprendre, à leur âge, pourquoi les parents ne vivent plus ensemble, cest parfois difficile. Même si le couple ne veut plus être ensemble, il faut garder des relations humaines pour le bien des enfants.

Les parents de Clémence et de Léa nont jamais vraiment posé ces questions; ils ne voulaient quune chose: se séparer!

«Je ne paierai pas de pension!» a déclaré Sophie.

«Ce nest pas la loi qui dit ça?» a rétorqué Jacques.

«Peu importe!Si on me prélève quoi que ce soit sur mon salaire, tu le verras!»

«Exact, cest largent pour les enfants!» a répliqué Jacques.

«Alors, prends soin des tiens!» a crié Sophie.

«Ce sont aussi les leurs!La responsabilité parentale, cest partagé!»

«Jen ai assez dentendre ça!Pas question daliments, ni denfants, ni de pension!» a gesticulé Sophie, furieuse.

«Expliquezle au juge!»

Le divorce devait commencer dans deux jours. Ce nétait pas une histoire ordinaire. Sophie voulait quitter non seulement son mari, mais aussi ses deux enfants, deux petites filles de quatre et dix ans. Elle ne se souciait pas du tout de leur futur sans maman.

Seul le fait de devoir payer une pension la tracassait. Jacques, avec les moyens quil avait, aurait pu sen sortir sans cette pension, mais il aurait préféré que la mère ne prenne pas ses enfants.

Sophie a donc fait jouer le coup du cavalier. Elle a persuadé la petite Léa de dix ans de dire quelle voulait vivre avec sa maman! Elle ne supportait plus sa sœur.

Léa passait trop de temps avec sa mère, elle a fini par adopter son comportement. Le juge a confié la petite à Jacques, laînée à Sophie.

À la fin, Jacques a reçu simplement la phrase:

«Je tai dit que je ne te paierais rien!»

Il na pas contesté, même sil aurait aimé rappeler que la fille qui reste avec elle doit être élevée. Léa, sous linfluence de sa mère, a lancé des accusations contre son père et sa sœur pendant laudience.

Bien sûr, lenfant nest pas responsable. Léa répète ce que sa mère lui a mis dans la tête. Mais la mère, cestàdire Sonia, lui apprendra bientôt à penser de la même façon.

Jacques a perdu une de ses filles, mais il en garde une autre. La responsabilité envers elle ne disparaît pas.

Quelques mois plus tard, il a tenté de revoir Léa, mais Sophie ne la pas laissé faire. Quand Jacques a surpris Léa à lentrée, elle la renvoyé si loin quil en avait honte de croiser un inconnu dans la rue.

Depuis le divorce, Clémence na plus entendu parler de sa mère et de sa sœur pendant vingt ans, et elle ne sest même pas plainte.

Jacques Petrovitch, un papa aimant, a mis tout son cœur dans léducation de sa fille.

Clémence peut dire quelle a eu une enfance merveilleuse, une jeunesse brillante, et quelle est devenue adulte heureuse. Elle ne sest jamais sentie abandonnée ou lésée par labsence dune mère, même adoptive.

Elle a étudié, obtenu un métier, sest mariée, a eu un enfant. Une belle vie, comme on en rêve tous.

Et jamais elle na imaginé que sa mère reviendrait un jour à sa porte, comme si dix ans nétaient jamais passés. Laccueil a été si désarmant que Clémence la invitée à entrer, à rencontrer son mari, à présenter la petite à sa grandmère. Elle a même parlé calmement de son quotidien, et la mère, Sophie, a simplement donné les nouvelles du moment, les petites difficultés du jour.

Ils ont parlé puis se sont séparés. Ce nest quaprès que Clémence a réalisé labsurdité de la situation et a immédiatement appelé son père.

«Je nai jamais rien dit de mauvais sur elle, ni de bon. Et je ne dirai plus rien,» a dit Jacques. «Je tai élevée comme une fille intelligente.Alors, réfléchis à pourquoi elle est revenue et ce quelle veut vraiment.»

«Je ne mattendais pas à autre chose,» a répondu Clémence. «Merci, papa.»

«Et si besoin, appelle!» a conclu Jacques. Il nétait pas convaincu que Sophie aurait pu changer, mais il na pas voulu en parler.

Après cet appel, Clémence sest calmée. Son père a toujours eu cet effet apaisant sur elle. Elle a pu réfléchir.

Les recherches dil y a vingt ou trente ans pouvaient être compliquées, mais aujourdhui, grâce à Internet, tout le monde peut fouiller. Le principal, cest de savoir chercher.

Clémence travaille comme développeuse informatique, elle sait chercher si bien que même les services de lÉtat seraient jaloux.

Elle na rien trouvé de spécial sur sa mère : deux mariages, le divorce, deux enfants elle et Léa.

Pour en savoir plus, elle a dû interroger son père, puis sa mère. Le père a donné son âge, rien de plus. Sophie, elle, avait plus dinformations, mais les donnait comme à un interrogatoire. On a pu glaner quelques bribes: elle avait étudié, travaillé, sétait mariée, déménagée chez son mari

Clémence a découvert que Léa était géographe. Deux écoles proposent ce cursus dans leur ville, alors elle a cherché sur les réseaux sociaux, a trouvé Léa, lui a envoyé un message, a proposé un rendezvous.

«Tu viens vraiment?» a confirmé Léa. «Pas étonnée, elle ne pourra pas le faire toute seule, il faut une victime!»

«Qui?» a demandé Clémone.

«Une victime!Quelquun sur qui elle pourra se pencher pour faire tourner la petite marmite!Je ne me suis pas mariée juste pour ça, je lui ai tourné le dos!» a dit Léa en souriant.

Clémence est repartie du rendezvous pensive.

«Mieux vaut être prévenu que surpris!» a conclu-elle.

En gros, si une mère veut parler, elle lobtiendra, mais si elle commence à pousser trop, il faut savoir répondre.

Six ans, Sophie sest contentée de petites aides, rien de plus, comme les voisins qui se rendent service. Léa, elle, a ajouté un avertissement:

«Si tu montres la moindre faiblesse, tu seras dans son filet, et elle te tournera en bourrique jusquà ce que tu perdes la raison!Elle a même mené deux beauxpères à lhôtel de santé pour sapproprier leurs biens.»

Clémence na pas attendu longtemps, mais elle la bien fait.

Finalement, Clémence a forcé son père à raconter toute lhistoire, mais il na cédé que lorsquelle a parlé de sa conversation avec Léa. Une fois le puzzle complet, elle attendait le bon moment.

Pierre regardait, bouche bée, la bellemère. Il nen revenait pas, mais lattitude de Sophie montrait que Clémence disait la vérité. La femme était figée, le visage rouge et des gouttes de sueur la rendaient humaine, pas une statue.

«Tu es toujours prête à aller chez elle pour bosser?» a demandé Clémence.

Pierre a secoué la tête.

«Daccord,» a acquiescé Clémence, tournant le regard vers sa mère. «Maman, si tu veux un vrai échange humain, même si tu ne le mérites pas vraiment, je ne vais pas te le refuser. Mais la prochaine fois que tu prétends que je te dois quelque chose, je le jette à la poubelle et je ne te laisserai plus jamais franchir le seuil.»

«Comment osestu!» a crié Sophie. «Je suis ta mère!»

«Cest clair!» a gesticulé Clémence. «Personne ne ta tiré la langue!Allez, dehors!Et si tu reviens, jappellerai la police pour dire que tu nous harcèles.»

Sophie a ouvert grands les yeux.

«On reste où?Les jambes sont parties?Je peux aider avec des coups de pied magiques jusquà la porte!»

Sophie sest redressée comme une tour, essayant de garder sa dignité, puis sest dirigée vers la porte. Clémence, incapable de se retenir, a lancé derrière elle:

«Cours, ta mère!»

«Tu la gères bien!» a commenté Pierre après la fuite de la bellemaman.

«Et pourquoi elle voulait ça?» a haussé les épaules Clémence. «Vingt ans dabsence, et tout dun coup elle se pointe en disant que je lui dois tout, comme si je navais jamais balancé un coup de pied!»

«Eh bien, mère, enfin»

«Sur le papier, cest ma mère, mais en réalité, cest juste une femme étrangère,» a conclu Clémence, et le sujet était fermé pour toujours.

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Une Mère Étrangère
Gala, une amante au destin malheureux dans son mariage.