**La Rancune**
Après lécole, Claire termina ses études à lécole dinfirmières et revint dans son village natal. Elle avait toujours rêvé de travailler comme infirmière au dispensaire local. Dautant que le bâtiment venait dêtre rénové, équipé de matériel moderne. Et puis, Madame Véronique, lancienne infirmière, vieillissait. Elle avait passé toute sa vie à soigner les villageois et fut ravie lorsque Claire vint la remplacer.
« Enfin, ma petite Claire, me voilà soulagée. Jai tant dannées derrière moi, je devrais être à la retraite depuis longtemps. Ton père, Jean, mavait demandé dattendre que tu obtiennes ton diplôme. Maintenant, je peux te confier mes responsabilités lesprit tranquille. »
« Oui, tante Véronique, je commence dès aujourdhui. Reposez-vous, mais si jai besoin de conseils, je viendrai vous voir. Je manque encore dexpérience. »
« Bien sûr, ma chérie, je taiderai autant que possible. »
Ainsi commença la vie professionnelle de Claire. Les villageois venaient la consulter pour divers maux, certains simplement pour faire prendre leur tension, dautres pour vérifier si elle était compétente. Mais au bout dun an, la confiance sinstalla. Claire se montrait attentionnée envers chacun.
Cest alors quAntoine commença à fréquenter régulièrement le dispensaire, tantôt pour un mal de dos, tantôt pour un genou douloureux ou une coupure au doigt. À ses côtés travaillait toujours linfirmière, Madame Anne, déjà âgée mais pas encore retraitée.
« Ce garçon vient bien souvent se plaindre, hein ? » plaisantait-elle. Elle avait remarqué depuis longtemps le regard quAntoine posait sur Claire et bientôt, celui que Claire lui rendait.
Lamour entre eux prit feu. Ils ne se cachèrent plus, se promenant main dans la main, ne supportant plus de se quitter. Antoine demanda bientôt Claire en mariage, et elle accepta avec joie. Elle ne remarqua pas que Michel, le beau et grand mécanicien, ne la quittait pas des yeux. Un jour, il tenta même de la raccompagner, mais elle le repoussa fermement.
« Michel, tu ne savais pas que je vais me marier avec Antoine ? La noce est bientôt. »
« Si, si, tout le village en parle. Mais tu me plais aussi, et je suis plus beau quAntoine. Pourquoi pas moi ? »
« Laisse-moi tranquille. Jaime Antoine, et lui maime. Il y a tant dautres filles, trouve quelquun dautre et sois heureux. »
Claire ne sut pas à quel point elle avait blessé Michel, ni quil nourrissait une profonde rancune. Toutes ses pensées étaient pour Antoine. Le mariage eut lieu, organisé avec soin par les deux familles, et tout le village festoya.
Un an plus tard, Claire donna naissance à un petit Louis. Tout le monde ladorait : ses jeunes parents, ses grands-parents. Claire soccupait de lui à la maison tandis que Madame Anne gérait le dispensaire. En cas de problème, elle envoyait les patients à lhôpital ou appelait les urgences. Il arrivait quelle téléphone à Claire pour un conseil.
Plongée dans les joies de la maternité, Claire ne remarqua pas que son mari séloignait delle. Quand elle le réalisa, il était trop tard. Un soir, Antoine rentra du travail et demanda dun ton sombre :
« Tu connais Michel depuis longtemps ? »
« Bien sûr, cest un villageois Il est même venu une fois au dispensaire pour une blessure. »
« Il est venu te voir directement ? »
« Non, au dispensaire. Je nétais pas seule, cest Madame Anne qui la soigné. Pourquoi cette question ? Tu es jaloux ? » répondit Claire en souriant.
« Le village dit que Louis nest pas de moi, mais de Michel, » murmura Antoine en regardant son fils de travers.
« Antoine, tu perds la tête ? Quel Michel ? De quoi tu parles ? »
« Tout le village en parle. Même ton père est allé voir Michel, et il a confirmé quil y avait eu quelque chose entre vous. »
« Quand ça ? » sexclama Claire, abasourdie.
Elle se souvint soudain que ses parents nétaient plus venus depuis longtemps. Elle navait pas réalisé quils lui en voulaient. Elle ne sortait presque plus.
Les rumeurs sur la conduite légère de la fille de Jean, le mécanicien, avaient été répandues par Michel lui-même, sans honte. Elles avaient enflammé le village.
« Notre petite infirmière sest trouvé un amant et a eu un enfant qui nest pas de son mari, » chuchotaient les commères à chaque coin de rue.
« Jean, notre fils va bientôt quitter ta fille sans morale, » annonça la belle-mère au père de Claire. « Où a-t-on vu ça ? Un enfant qui nest pas de son mari »
« Arrête tes mensonges, » défendit Jean.
« Va donc demander à Michel toi-même. »
La colère monta en Jean. Il ne pouvait croire que sa fille, élevée dans la rigueur, ait pu faire une telle chose. Il confronta Michel :
« Pourquoi tout le village dit que mon petit-fils nest pas dAntoine, mais de toi ? Cest toi qui répands ces rumeurs ? »
« Pourquoi je les répandrais si ce nest pas vrai ? Ta fille se jetait à mon cou, elle voulait quitter son mari. Mais pourquoi je voudrais dune traînée pareille ? » répliqua Michel avec insolence.
Jean resta sans voix. Il faillit aller voir Claire, mais y renonça. Pendant plusieurs jours, Claire ignora tout des commérages, jusquà ce quAntoine rentre du travail, prenne ses affaires et parte chez ses parents.
« Mon Dieu, quai-je fait ? Jaime mon mari, » sanglota-t-elle, incapable de le retenir.
Depuis, Claire restait seule avec Louis, regardant par la fenêtre. Le ciel rougeoyait au-dessus du village. Son petit fils dormait paisiblement dans son berceau. Il allait bientôt avoir un an, et elle songeait à reprendre le travail.
« Eh bien, mon petit Louis, personne ne veut plus de nous, » murmura-t-elle, les larmes aux yeux, le cœur lourd de chagrin et de rancœur.
Elle souffrait de cette solitude, ne sachant comment se justifier. Elle navait rien fait de mal. Mais comment prouver aux médisants, à sa famille, à son mari, quelle navait jamais menti ? Son cœur se serrait sous le poids de linjustice.
Seule son amie Lucie venait encore la voir, lui apportant des provisions.
« Antoine a eu tort de croire ces rumeurs. Et Michel eh bien, Michel, je laime depuis toujours, tu le sais, » soupira Lucie. « Il a dit que tu te jetais à son cou. Je ny crois pas, mais qui mécoutera ? »
« Lucie, pourquoi ma-t-il fait ça ? »
« Je crois, Claire, quil taimait vraiment. Tu las repoussé à plusieurs reprises, et ça la rendu furieux. Maintenant quAntoine ta quittée, il pense avoir sa chance. Ah, si seulement il me regardait comme il te regarde »
« Mais jai un mari, Lucie. Pourquoi voudrais-je des avances de Michel ? Pourtant, depuis quAntoine est parti, il ne ma plus approchée. Tout le monde ma tourné le dos : ma belle-mère, même mes parents et surtout mon mari. Je te le jure, il ny a jamais rien eu entre Michel et moi. »
« Je te crois, Claire. Mais il faut que tu lui parles Jai essayé, mais il ma éconduite. »
Claire savait quelle devait affronter Michel, mais comment ? Que penseraient les gens ? Et sil inventait encore des mensonges ?
Loccasion se présenta deux jours plus tard. Lucie arriva en courant.
« Vite, habille-toi ! Il faut aider quelquun. Jai appelé les urgences, mais avec la pluie de ces trois jours, les routes sont impraticables »
« Pourquoi cette urgence ? Je ne peux pas laisser Louis seul. »
« Demandons à la voisine, madame Marie. Je men occupe. Toi, prends les médicaments nécessaires. » Quelques minutes plus tard, elles partirent en hâte.
« Claire, tu es la seule qui puisse laider, » insista Lucie. « Madame Anne est partie en ville hier, elle ne reviendra que ce soir. »
Claire réalisa quelles se dirigeaient vers la maison de Michel.
« Je nirai pas là-bas, » protesta-t-elle, mais Lucie, les larmes aux yeux, implora :
« Aide-le, Claire, je ten supplie. Sil meurt, je ne pourrai pas vivre sans lui »
« Je laiderai sil avoue publiquement quil a menti sur moi. »
« Oui, oui, nous lui demanderons. »
Claire, à contrecœur, secourut Michel. Il avait bu jusquà lempoisonnement. Elle lui fit un lavage destomac et posa une perfusion. Les urgences narrivèrent jamais, bloquées par la boue. Quand Michel se sentit mieux, elle les appela pour les informer.
Déçue, elle le quitta.
Deux jours plus tard, Michel était rétabli. Lucie le pressa de tout avouer.
« Je ne voulais pas que ça aille si loin, » admit-il, honteux. « Je ne supporte pas quon me refuse. »
« Michel, jai cru en toi jusquau bout. Mais tu as brisé la vie de Claire. Va le dire à tout le monde. »
Le cœur lourd, elle partit.
Peu après, la rumeur se répandit : Michel quittait le village pour toujours. Il rassembla les villageois près de la mairie, là où passait le bus.
« Pardonnez-moi, bonnes gens. Jaimais Claire, mais elle ma repoussé. Par colère, par orgueil, jai inventé des mensonges Cest moi qui ai répandu ces calomnies. Et pourtant elle ma sauvé la vie. Javais cru quAntoine partirait et que je pourrais lépouser, élever son petit Louis. Dieu sait quelle folie ma pris. Il ny a jamais rien eu entre nous. »
Jean, le père de Claire, arriva à ce moment.
« Pardonne-moi aussi, Jean. Jai sali ta fille. Je ne peux plus regarder personne en face. Cest pourquoi je pars aujourdhui, pour toujours. Adieu. »
Seule Lucie pleura, mais il ne la regarda même pas.
« Quel monstre, quel individu abject ! » sindigna la belle-mère de Claire plus que tous.
Peu à peu, les rumeurs séteignirent. Les parents de Claire revinrent, demandant pardon. La belle-mère arriva ensuite, presque à genoux. Puis Antoine rentra du travail.
Longtemps, Claire vécut avec ce sentiment de trahison. Elle se méfia dabord de son mari. Mais elle finit par reprendre le travail, retrouva le sourire, soigna les villageois qui, eux, laimaient et la respectaient toujours.







