— Je suis ta femme, pas une fille à tout faire ! Si ta mère a besoin d’aide, c’est à toi d’y aller et de travailler là-bas.

Sophie, il y a un truc. Maman a besoin daide: les fenêtres du balcon à laver elle ny arrive plus. Et faire les courses pour la semaine, une belle liste. Tu peux y aller aujourdhui?

Kévin entre dans la cuisine en survêtement de sport et tshirt froissé, dégageant lambiance détendue dun dimanche. Il se dirige vers le filtre, se verse de leau, comme dhabitude, sans vraiment remarquer sa femme. Sophie est assise à la petite table près de la fenêtre, sirotant lentement son café du matin. Les rayons du soleil dessinent des motifs capricieux sur la nappe, mais son regard reste plongé au fond delle.

Ce nest pas la première demande de ce genre. Tout a commencé par des petites corvées: «Sophie, passe le pain à maman», «Tu peux lui apporter les médicaments?». Puis les allersretours à travers tout Paris avec des sacs lourds, les grands nettoyages chez la bellemaman et même de petites réparations que, selon AnneLouise, ne peuvent faire que «quelquun de jeune et débrouillard». Kévin ne se montre presque jamais auprès de sa mère. Il a toujours une excuse: fatigue, travail ou simplement «je nen ai pas envie». «Tu es libre ce weekend,» lui ditil, et Sophie soupire, prend la voiture, porte, nettoie, répare, tout en écoutant les doléances de la bellemaman sur la santé, les prix, les voisins et «le pauvre Kévin».

Kévin, sa voix reste étonnamment calme, mais une fermeté dacier transperce les mots, le forçant à se retourner. Je tai déjà dit. Je suis ta femme, pas lassistante de ta mère, et surtout pas une bonne à tout faire gratuite. Si AnneLouise a besoin daide sérieuse, pourquoi ne pas y aller toi-même? Tu as ton jour de repos aussi. Tu as oublié?

Kévin cligne, désorienté. Dhabitude, ces discussions se terminent par un «daccord» après quelques supplications.

Eh bien je pensais que bafouet-il, fronçant les sourcils. Ce nest pas difficile! Les «tâches de femmes»: laver les vitres, faire les courses Tu ten sortirais mieux que moi.

Sophie grimace, un sourire qui présage des ennuis.

«Tâches de femmes»? répètetelle avec sarcasme. Ah oui, donc porter des sacs de cinq kilos de pommes de terre et grimper au septième étage pour frotter les fenêtres, cest désormais une mission réservée aux femmes? Et toi, tu te reposes sur le canapé, économisant tes forces pour le soir?

La tension monte. Kévin jette son verre sur le plan de travail, le visage qui rougit.

Questce que tu inventes encore? Je te demandais juste! Tu sais bien que maman est vieille, cest dur pour elle! Au lieu daider, tu te plains!

Des plaintes? lèveelle un sourcil. Tu appelles mon refus dêtre ton esclave «des crises»? Écoute bien.

Et alors?

Je suis ta femme, pas la petite fille qui fait les courses! Si ta mère a besoin daide, cest à toi de ty rendre! Elle est ta mère, et si cest vraiment difficile, cest ton devoir de fils de lassister. Ou bien tu penses que le fils doit tout rejeter sur sa femme? Je ne te demande pas daider ma mère, ses problèmes sont les miens, je les gère. Alors, mon cher, prends la liste, le chiffon, le seau et vas chez maman. Tu peux même emprunter mes gants si tu nen as pas. Et jen finirai avec ces «demandes». Cest clair?

Kévin la regarde comme un extraterrestre. Lordre habituel se brise. Sophie, qui cédait toujours, adopte une posture froide, résolue, sans compromis.

Tu comprends ce que tu dis? Cest un manque de respect envers les aînés! Vers ma mère! haussetil le ton, avançant dun pas.

Sophie ne tremble pas.

Non, Kévin. Cest le respect de soimême. Le respect élémentaire. Si tu ne le sais pas, cest ton problème.

Elle se lève, contourne la table et quitte la cuisine, le laissant seul dans les taches de lumière et le confort brisé, avec la soudaine impression que le monde nest plus si confortable.

Kévin ne veut pas abandonner. Il la suit dans le salon où Sophie sinstalle, livre à la main, comme pour défier. Il sarrête dans lembrasure, les poings serrés, le visage en feu.

Tu décides simplement de refuser? lancetil. Tu ne veux plus tenir compte de mes requêtes? De ma mère? Cest normal pour une épouse?

Sophie abaisse lentement le livre.

Et tu trouves normal, Kévin, de refiler tes obligations de fils à ta femme? demandetelle, sans élever la voix. Tu parles de ta mère, mais tu oublies quelle est la tienne. Elle a un fils adulte, en bonne santé, qui a un jour de repos. Pourquoi ce fils envoietil sa femme à sa place, et se prélasse sur le canapé?

Parce que ça ne dérangeait personne avant! crietil, faisant un pas brusque. Tu aidais toujours, tout allait bien! Questce qui a changé? Tu te sens maintenant spéciale?

Ce qui change, cest que je nen peux plus, répondtelle calmement. Sa voix ne trahit aucune colère, seulement une fatigue profonde. Je suis fatiguée dêtre la bonne à tout faire pour vous deux, au lieu dêtre une personne à part entière. Tu dis «tu acceptais toujours», mais tu tes déjà demandé à quel prix? Combien de fois aije sacrifié mes projets, mon repos, même ma santé, pour vous plaire?

Kévin ricane, agitant la main comme on chasserait une mouche.

Voilà, encore tes sacrifices! La sainte martyr! Personne ne ta forcée, tu y es allée de ton plein gré, donc ça devait te plaire!

Jai agi ainsi pour garder la paix du foyer, ricanetelle amèrement. En espérant que tu apprécies, que tu vois tout ce que je fais. Mais tu las pris pour acquis, comme si jétais obligée de servir toute ta famille. Et tu sais quoi? Ma mère na jamais demandé que tu viennes laider à nettoyer les fenêtres ou au jardin. Elle comprend que nous avons notre propre vie. Ta mère, par contre, te considère comme un distributeur de services gratuit.

Ne les compare pas! sécrietil, le visage rouge de colère. Ma mère a toujours tout donné pour nous! Et maintenant, quand elle demande de laide, tu te comportes comme une égoïste!

Qui pense à moi si ce nest moi-même? le regardetelle droit dans les yeux, sans peur ni culpabilité, seulement détermination. Toi? Celui qui ne remarque même pas mon état après ta «bonne action» pour ta mère? Ou AnneLouise, qui, après le ménage, raconte que la voisine fait encore des tartes chaque jour? Non, Kévin. Cette étape est terminée. Je ne serai plus le tapis sur lequel on frotte leurs pieds, cachés derrière les mots «devoir» et «aide».

La tension augmente. Kévin sent son contrôle glisser. Son statut, son droit de décider, tout seffondre sous ses yeux. Il était habitué à une Sophie douce, conciliante. Cette femme au regard glacé et à la voix ferme le désarme.

Tu nes quune ingrate! souffletil, hors de lui. Nous taimons, et toi tu ne valorises rien! Tu te fiches de nos sentiments!

Ah, les sentiments! ricanetelle, mais sans amusement. La dernière fois que tu tintéressais aux miens, cétait quand je rentrais épuisée après une journée chez ta mère, et que tu disais simplement: «Bien, cest fini? Bravo.» Mes besoins, mon besoin de repos, dune simple attention humaine, ont-ils jamais compté? Non. Il est plus simple davoir une épouse qui exécute tout en silence.

Kévin tourbillonne comme un animal acculé. Ses tactics habituelles daccusation ne marchent plus, le poussant à bout.

Daccord, halètetil enfin. Si tu ne veux pas faire les choses correctement, ce sera autrement. Tu vas entendre ma mère maintenant!

Il sort son téléphone, compose rapidement. Sophie reste assise, un léger dédain sur le visage. Elle connaît ce mouvement: «lartillerie lourde» de la mère qui prend toujours parti pour le fils.

Au bout de quelques secondes, la voix irritée dAnneLouise résonne :

Kévin, tu te lèches trop tôt? Jessaie de ne pas minquiéter.

Maman, tu imagines ce qui se passe?! crietil, pour que Sophie entende chaque mot. Jai demandé à Sophie daller chez toi, laver les fenêtres et faire les courses, comme dhabitude. Elle ma fait une scène! Elle dit que cest ma mère, que je dois y aller moimême, et quelle nest pas une fille à la vavapeur! Tu vois?

Un lourd silence sinstalle. Sophie esquisse un sourire intérieur, habituée aux pauses de sa bellemaman.

Quoi? lancetelle AnneLouise, la voix feinte détonnement. Elle a dit ça? À propos de moi?

Exactement, maman! enchaîne Kévin. Elle dit que tu es ma mère, pas la sienne, et que je devrais moccuper de toi! Et quelle en a marre! Cest absurde! Je suis choqué!

Ah, Kévin, la jeunesse gémit la bellemaman, dun ton plaintif. Je pensais que ma bellefille était comme une fille mais elle

Passe le combiné, demande Sophie dune voix ferme.

Kévin la regarde, triomphant.

Tu as peur? Tu veux texcuser auprès de ta mère?

Passe le combiné, répètetelle, sa détermination glaciale le fait reculer, et il lui tend le téléphone en activant le hautparleur.

AnneLouise, bonsoir, commence Sophie, posée, professionnelle. Jai entendu votre conversation et je souhaite clarifier la situation.

Ma petite, questce qui se passe avec Kévin? Il a lair si contrarié Pourquoi tu le traites ainsi? Nous sommes une famille.

AnneLouise, si vous avez réellement besoin daide physique, comme le lavage des fenêtres ou le port de courses, il faut que ce soit votre fils qui sen charge, répondtelle avec fermeté. Il a son jour de repos, il est en bonne santé, et cest son devoir de fils. Moi, je suis sa femme, pas votre femme de ménage.

Ma chérie, tu es la maîtresse de la maison commence la bellemaman, mais déjà irritée. Kévin est un homme, il a dautres responsabilités. Il subvient à la famille

Je travaille aussi, AnneLouise, coupetelle. Mon jour de repos a aussi de la valeur. Je ne vais pas assurer gratuitement un service régulier pour votre foyer. Si le ménage vous pose problème, vous pouvez faire appel à un service de nettoyage. Cest une solution réaliste.

Un service de nettoyage?! sindigne la bellemaman. Laisser des étrangers entrer chez moi? Les gens vont juger! Ils penseront que le fils et la bellefille nous ont oubliés!

Je me soucie peu du regard des autres, affirme Sophie. Ce qui mimporte, cest mon droit à une vie propre et au repos. Je ne laisserai plus quon me manipule en invoquant lâge ou une prétendue faiblesse. Si Kévin a honte de venir aider sa mère ou considère cela comme dégradant, cest son problème, pas le mien.

Un silence lourd sinstalle dans le combiné, seulement le souffle saccadé dAnneLouise se fait entendre.

Alors cest ça? finitelle par dire, sa voix dépourvue de toute douceur. Tu veux montrer qui est la vraie patronne? Très bien, Sophie je ne laisserai pas passer ça. Si tu topposes à la famille, à lordre, au respect des aînés, jarriverai moimême et je réglerai ça. On parlera sérieusement. Tu verras comment on se comporte.

Un déclic retentit, elle raccroche. Kévin lance à Sophie un regard victorieux, comme pour dire «on verra combien de temps tu tiendras le coup». Elle pose simplement le téléphone sur la table, prête.

Quarante minutes plus tard, la porte explose en coups secs, comme si on voulait arracher la porte du cadre. Kévin, qui errait nerveusement, fonce louvrir. Sophie reste dans le fauteuil, le cœur qui tremble mais la détermination dacier.

Maman! Enfin! Tu nimagines pas ce qui vient de se passer! crietil depuis le hall, débordant de colère et de justice.

AnneLouise surgit dans le salon comme un ouragan. Ses joues sont rouges, les yeux flamboyants, le foulard glissant de son épaule. Tout en elle crie la guerre.

Viens ici, ma chère! se jettetelle sur Sophie, qui se lève calmement pour laffronter. Comment osestu donner des ordres à mon fils? Comment te permetstu de me parler ainsi?

Bonjour, AnneLouise, répond Sophie, polie en apparence, ce qui narrive quà attiser la bellemaman. Je suis ravie que vous soyez là. Nous pourrons enfin parler calmement, sans malentendus.

Discuter?! hurletelle. Je nai rien à discuter avec une femme qui insulte sa propre mère! Nous vous avons acceptée dans la famille, et vous vous révélez être un serpent! Où étaitil, Kévin, quand vous avez tout balancé?

Il était là, maman! réplique AnneLouise, soutenant son fils. Il dit que je dois laver les fenêtres moimême! Que vous navez aucun droit! Vous comprenez?

Ce que je disais, Kévin, corrigetelle Sophie, cest la vérité. Tu es le fils de cette femme, tu as donc le devoir de toccuper delle. Si tu penses que ta femme doit le faire à ta place, alors soit paresseux, soit pas un homme.

Comment osezvous?! sétouffe AnneLouise. Mon fils travaille! Il na plus de forces! Et vous, vous ne faites rien!

Moi aussi je travaille, AnneLouise, répondtelle dune voix plus dure. Et mon salaire nest pas moindre que le vôtre. Ma maison nest pas un lieu de services gratuits pour votre famille. Vous avez élevé un fils dépendant, accroché à votre laisse. Moi, je ne veux plus faire partie de ce théâtre familial où je suis la bouffée éternelle.

Ses paroles frappent comme des gifles. Kévin reste figé, sans réplique. Sa mère tremble de rage.

Je tai tout donné toute ma vie! Des nuits sans sommeil! Et tu viens me juger! sécrietelle. Tu viens à la maison, et tu me critiques!

Parce que vous lui avez tout donné, il reste un enfant dépendant, rétorque Sophie sans laisser le temps à AnneLouise de répondre. Il devrait déjà être autonome. Mais vous le maintenez sous votre contrôle. Je ne veux plus jouer ce rôle.

Kévin explose enfin :

Taistoi! hurleKévin séloigne, laissant Sophie retrouver enfin la sérénité quelle méritait.

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