Maman ne bougera pas d’ici ! C’est toi qui finiras à la rue !» cria son mari, oubliant à qui appartenait vraiment l’appartement.

**Journal intime 14 juillet**

*Maman ne partira pas ! Cest toi qui finiras à la rue !* a hurlé son mari, oubliant à qui appartenait vraiment lappartement.

Jeanne restait près de la fenêtre. La chaleur de juillet pesait sur Paris. Dans la cour, des enfants couraient entre les arbres, cherchant lombre.

*Jeanne, où est ma chemise ?* a-t-il crié depuis la chambre. *Celle à carreaux !*

*Elle est dans le placard*, ai-je répondu sans me retourner. *Sur létagère du haut.*

Antoine est apparu dans lencadrement de la porte, boutonnant la chemise quil venait de trouver. Grand, costaud, avec les mains rugueuses dun plombier. Autrefois, ces mains mavaient paru rassurantes.

*Écoute*, a-t-il commencé en ajustant son col. *Maman arrive ce soir. Nettoie mieux, la dernière fois, elle a passé la soirée à se plaindre de la poussière.*

Je me suis lentement tournée vers lui. Une irritation familière ma serré la gorge.

*Ta mère trouve toujours quelque chose à redire*, ai-je murmuré. *La dernière fois, le pot-au-feu était trop fade ; avant ça, les boulettes trop salées.*

*Alors fais mieux*, a-t-il haussé les épaules, comme sil parlait du mauvais temps. *Elle a de lexpérience, elle donne des conseils, et toi, tu ténerves.*

Jai serré les poings. Cet appartement était à moi. Je lavais obtenu avant même de le rencontrer, meublé à mon goût, investi toutes mes économies dans les travaux. Et maintenant, Édith venait chaque fois, déplaçait tout, et me sermonnait sur la façon de ranger.

*Antoine, nous vivons chez moi*, lui ai-je rappelé. *Peut-être devrais-tu en tenir compte ?*

Mon mari sest figé, la main déjà sur la poignée.

*Quest-ce que tu insinues ?* Sa voix sest alourdie. *Que je nai pas ma place ici ?*

*Je dis que ta mère agit comme si elle était chez elle*, ai-je avancé dun pas. *Et toi, tu la laisses faire.*

*Maman veut notre bien !* Antoine sest tourné vers moi, entier. *Celui de sa famille ! Dailleurs, elle a même laissé son propre appartement à ton frère !*

Jai souri amèrement. Cette histoire d*aider les jeunes* commençait à me fatiguer.

*Ta mère a donné son deux-pièces à Théo il y a deux ans*, ai-je dit lentement. *Et alors ? Ça lui donne le droit de commander chez moi ?*

*Chez nous !* a-t-il aboyé. *Nous sommes mariés !*

*Avec ton salaire de deux mille euros, nous louerions un coin en banlieue*, ont jailli les mots avant que je ne puisse les retenir.

Son visage sest assombri. Il sest approché, imposant.

*Alors maintenant, tu me reproches mes revenus ?* Sa voix tremblait de colère.

*Je ne reproche rien*, ai-je redressé le menton. *Je rappelle les faits. Ta mère loue parce quelle a tout donné à Théo. Pourtant, elle nous dicte comment vivre.*

*Théo en avait besoin !* Antoine a regardé par la fenêtre. *Jeune famille, bientôt des enfants !*

*Des enfants*, ai-je répété. *Toujours des enfants.*

Il sest retourné, les yeux enflammés.

*Et alors, ce nest pas le moment ? Ça fait cinq ans que nous sommes mariés, et toi, tu repousses toujours. Une vraie femme doit avoir des enfants !*

*Avec quoi, Antoine ?* ai-je ouvert les mains. *Ton salaire ? Tu sais combien coûtent les couches ? Les vêtements ? Les médicaments ?*

*On se débrouillera*, a-t-il balayé dun geste. *Les autres y arrivent bien !*

*Les autres*, ai-je secoué la tête. *Et moi, je resterai en congé maternité sans un sou pendant que tu tépuiseras à lusine ?*

Dehors, les oiseaux chantaient. Antoine sest tu, la mâchoire serrée.

*Bon, écoute*, a-t-il fini par dire. *Assez de disputes. Maman a des problèmes.*

*Encore quoi ?* me suis-je éloignée de la fenêtre.

*Elle ne peut plus louer*, sest frotté le cou. *Sa retraite ne suffit plus, et la propriétaire a doublé le loyer.*

Jai hoché la tête. Édith se plaignait depuis des mois. Logique quelle aille chez Théodans celui quelle lui avait offert.

*Je vois*, ai-je dit. *Alors Théo devra faire de la place.*

Antoine sest raidi. Son regard sest durci.

*Maman vivra ici*, a-t-il déclaré. *Temporairement, le temps de trouver.*

Je me suis figée. Ses mots résonnaient comme un écho lointain.

*Ici ?* ai-je répété. *Dans notre appartement ?*

*Oui, ici !* a-t-il élevé la voix. *Où est le problème ? Il y a la place.*

*Antoine, où va-t-elle dormir ? Dans le salon ?*

*Et alors ?* a-t-il croisé les bras. *Maman a tout sacrifié pour ses enfants, et toi, tu comptes les sous !*

Je me suis reculée contre le mur. Lindignation bouillonnait en moi.

*Pourquoi pas chez Théo ?* ai-je demandé doucement. *Il a lappartement que ta mère lui a donné.*

*Ils ont un enfant !* a-t-il rugi. *Ils ont besoin despace ! Nous ne sommes pas une famille, peut-être ?*

*Nous sommes une famille, mais cet appartement est à moi*, ai-je rappelé.

Son visage sest encore assombri. Il sest approché.

*Égoïste ! Tu ne penses quà toi ! Une épouse normale soutiendrait son mari dans les moments difficiles !*

Je me suis collée au mur. Il était trop près, étouffant.

*Tu ne veux pas denfant, alors aide au moins la famille !* a-t-il continué. *Maman a tout sacrifié pour nous !*

*Antoine, écoute*, ai-je tenté, mais il ma coupée.

*Tu ne veux peut-être pas de famille ? Alors dis-le !*

Jai baissé la tête. Antoine savait appuyer là où ça faisait mal. La culpabilité ma submergée.

*Daccord*, ai-je murmuré. *Elle peut rester quelque temps.*

Une semaine plus tard, Édith a emménagé dans notre salon. Trois valises, et aussitôt, elle a tout réarrangé. La télé près de la fenêtre, le canapé contre le mur, mes plantes reléguées au balcon.

*Ça éclaircit la pièce*, a-t-elle expliqué en déplaçant les meubles. *Et ces pots, ça fait de la poussière.*

Je regardais, silencieuse, mon salon se transformer en chambre dinvité. Antoine portait les affaires lourdes.

*Maman, tu seras bien ici ?* demandait-il avec douceur.

*Je me débrouillerai*, soupirait Édith. *Même si cest un peu étroit.*

Trois mois ont passé. Je suis devenue une ombre chez moi. Je marchais sur la pointe des pieds, mexcusant pour chaque bruit.

Édith a tout pris en main. Elle a jeté ma lessive, la remplacée par la sienne. Interdit dacheter mon saucisson préféré.

*Trop cher, prends le standard*, ordonnait-elle au supermarché. *Pas la peine de gaspiller.*

Le matin, je nettoyais sous son regard. Un jour, en sortant les poubelles, quelque chose ma arrêtée.

Un album photo. Celui de mon enfance. Mes seuls souvenirs.

Je lai sorti, taché de marc de café.

*Édith*, ai-je appelé en entrant dans le salon. *Pourquoi était-ce dans la poubelle ?*

Elle na même pas levé les yeux de la télé.

*Ah, ça ? Je lai jeté. Des vieilleries, ça prend de la place.*

*Ce sont mes photos denfant !* Ma voix tremblait.

*Du passé*, a-t-elle balayé. *Pourquoi garder ça ?*

Quelque chose a cédé en moi. Trois mois dhumiliation ont explosé.

*Dehors !* ai-je hurlé. *Sortez de chez moi, tout de suite !*

Édith a bondi du canapé, les yeux furieux.

*Comment oses-tu parler ainsi à ton aînée !* a-t-elle crié. *Tu devrais savoir tenir ta place !*

Antoine est arrivé en courant. Aux cris, il a pris le parti de sa mère.

*Maman ne partira pas !* a-t-il rugi. *Cest toi qui vas dégager !*

Mais en moi, tout sétait glacé. Jai regardé mon mari et sa mère avec un calme de glace.

*Lappartement est à mon nom*, ai-je dit fermement. *Moi seule décide qui y vit.*

*Tu oses !* Antoine sest avancé, écarlate. *Je suis ton mari !*

*Ton ex-mari*, ai-je corrigé en me dirigeant vers le placard.

Jai sorti un grand sac de sport et y ai jeté les affaires dÉdithrobes, chemisiers, pantouflessans ménagement.

*Tu es folle !* hurlait Antoine. *Arrête immédiatement !*

Je nai pas répondu. Les pantoufles sous le canapé, dans le sac. Édith courait, essayant de récupérer ses affaires.

*Ma fille, calme-toi !* suppliait-elle. *Nous sommes famille !*

*Famille ?* me suis-je retournée. *La famille ne jette pas les albums photos !*

Elle a reculé. Antoine a tenté de saisir le sac, mais jai esquivé.

*Maman a tout sacrifié !* criait-il. *Et toi, tu la jettes comme un chien !*

*Pendant cinq ans, jai enduré vos caprices*, ai-je fermé le sac. *Pendant trois mois, jai été un fantôme chez moi !*

Jai pris les affaires dAntoinepulls, chemises, jeansdans un autre sac. Il ma attrapé le bras.

*Réfléchis ! Où irons-nous ?*

*Ce nest pas mon problème*, me suis-je dégagée. *Allez chez Théo.*

*Il ny a pas de place chez Théo !* pleurnichait Édith. *Ils ont un enfant !*

*Et ici, il y a moi !* ai-je crié en posant les sacs près de la porte.

Je suis retournée chercher les chaussures, les produits de toilette, les bibelots.

*Tu vas mourir de solitude !* vociférait Antoine en enfilant sa veste. *Tu vas revenir supplier !*

Jai ouvert la porte en silence. Édith sanglotait, fourrant ses dernières affaires.

*Ma fille, réfléchis*, implorait-elle. *Où vivrons-nous ?*

*Où vous viviez avant moi*, ai-je répondu.

Antoine a saisi son sac, est sorti en trombe. Sur le palier, il sest retourné, le visage déformé.

Édith est passée en dernier, traînant ses valises. Elle a jeté un dernier regard.

*Ingrate !* a-t-elle crié. *Nous voulions ton bien !*

Jai refermé la porte. Clé tournée deux fois, chaînette glissée. Cris, pas précipités, portes dascenseur.

Puis le silence.

Je me suis adossée à la porte, écoutant ma propre respiration. Pour la première fois depuis des mois, pas de télé, pas de craquements de canapé.

Jai remis les meubles en place. Replacé la télé. Ramené mes plantes sur lappui de fenêtre.

Puis je me suis assise, lalbum photo sauvé entre les mains. Jai tourné les pagesanniversaire avec cinq bougies, spectacle de maternelle, remise des prix.

Et soudain, jai ri. Dabord doucement, puis plus fort. Le rire sest transformé en sanglots, puis en rire à nouveau. Jusquaux larmes, serrant lalbum contre moi.

La maison était à moi. Rien quà moi.

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Maman ne bougera pas d’ici ! C’est toi qui finiras à la rue !» cria son mari, oubliant à qui appartenait vraiment l’appartement.
Écoute, Alice ! Tu n’as plus ni mère ni père. Tu n’as même plus de maison, — répondit la mère.