Pourquoi une mère aurait-elle besoin de deux pièces ? Elle a déjà soixante-cinq ans. Elle risque de ne plus recevoir de visiteurs, et avec ses sœurs, elle peut tout aussi bien prendre le thé dans la cuisine.

Pourquoi maman a besoin de deux pièces? Elle a déjà soixantecinq ans. Elle ne recevra guère dinvités, et avec ses sœurs ses propres soeurs elle peut très bien prendre le thé dans la cuisine.
Honnêtement, un studio suffit largement à maman.

Lucie Martin sait bien pourquoi son fils Julien et sa fille Manon sont venus. Elle a compris le sujet dans les propos de Julien il y a une semaine, quand toute la famille sest réunie pour fêter lanniversaire de Solène, la petitefille cadette de Lucie.

Julien et Manon viennent à peine darriver et nont même pas encore entamé la conversation que la porte sonne. Cest la voisine qui se montre.

Oh, ma petite Lucie, je suis en retard. Tu as des invités? bafouille la dame dun certain âge.
Ce sont les nôtres, Ninon répond Lucie. Questce qui tamène?
Ma machine à coudre se bloque encore. Le fil sest emmêlé, je narrive plus à retirer la bobine. Je repasserai plus tard, désolée sexcusetelle.
Pas de souci, je vais jeter un œil tout de suite réplique Lucie.

Elle retourne dans le salon et sadresse à Julien et Manon :

Je parle à Ninon cinq minutes, vous passez à la cuisine; la bouilloire est déjà sur le feu. Allez, mettez de lordre.

Lucie règle rapidement le problème de la voisine et se dépêche de rentrer. En sarrêtant dans le hall, elle entend ce qui la frappe.

Manon, jai tout calculé, dit Julien, on peut vendre cet appartement au moins trois millions deuros, et dans le petit quartier où maman veut déménager, un deuxpièces équivaut à environ un million.
Tu veux que maman nous file la différence? Un million pour chacun? demande sa sœur.
Bien sûr, pourquoi pas? Et pas un million, mais un million deux cent mille. répond Julien.
Doù elle va bien trouver largent? sinterroge Manon.
Je tai dit que jai étudié le sujet! Pourquoi maman auraitelle besoin de deux pièces? Elle a déjà soixantecinq ans. Elle ne recevra guère de visiteurs, et avec ses sœurs elle peut prendre le thé dans la cuisine.
Franchement, un studio suffirait à maman, et on peut en acheter un correctement rénové pour six cent mille. ajoute Julien.
Jai cherché dans un immeuble récent pas trop loin du centre, avec commerces et clinique à proximité, précise-til.
Et si maman refuse? tente de contester Manon.
Pourquoi? Je suis contre lidée quelle déménage, mais si elle sy voit obligée, quelle nous fasse un beau geste. répond Julien.

Lucie pense depuis longtemps à retourner dans sa ville natale. Lorsquelle a quitté la province pour la région parisienne, elle avait quarantecinq ans. À cet âge, il nest plus facile de se faire de nouvelles amies. Elle avait quelques connaissances, mais rien de comparable à des amitiés denfance.

À lépoque, elle ne voulait pas déménager: quitter son travail, arracher ses enfants de lécole, sinstaller dans une ville inconnue. Mais son mari a reçu une belle proposition dans une usine de la banlieue, et elle a accepté.

Vingt ans passent: famille, travail, rares visites à la ville dorigine. Deux ans plus tôt, son mari décède subitement. Le fils et la fille ont leurs propres foyers, leurs propres vies, et Luc

ie se sent comme dans un vide. À la retraite, la solitude saccentue et les appels de ses sœurs la poussent à réfléchir sérieusement au déménagement.

Lucie ne attend pas la réponse de sa fille. Elle frappe fort à la porte, comme si elle venait darriver.

Julien et Manon sont déjà à la cuisine. Manon a versé le thé dans les tasses et découpe la charlotte que sa mère a préparée avant son arrivée.

Maman, tu es sûre de vouloir déménager? demande Manon.
Oui. Maintenant que votre père nest plus là, rien ne me retient ici. En vingt ans, cet endroit na jamais été vraiment le mien.
Rien ne te retient? Et nous? Et les petitsenfants? sétonne la fille.
Manon, vous avez votre vie, vos soucis. Je ne veux pas vous gêner. Vos enfants ont grandi, plus besoin de nounou. Que veuxje? Masseoir sur un banc avec dautres retraitées, me balader avec une canne? répond Lucie.
Certains trouvent ça agréable. Pas moi. Questce quil me reste? Des livres et la télé? Jai mes sœurs, beaucoup damis, une maison de campagne pas loin, où toute la famille se réunit lété. réplique Manon.
Vous savez, je rêve déjà de marcher dans les rues de ma ville natale, de croiser des visages familiers. ajoute Lucie.

Et lappartement? recentre Julien la discussion.
Je le vends, jen achète un nouveau, répond-elle.
Tu veux quon taide à la vente? propose le fils.
Je passe par une agence. Lannonce est déjà en ligne. Je commence à préparer mes cartons. répond Lucie.
Je te le dis, le marché est plein descrocs. On peut se retrouver sans argent et sans toit. insiste Julien.
Ne ten fais pas. Liza Collet, la femme de mon neveu Jean, mon adjoint au travail, maidera; elle a sa propre agence. Elle connaît aussi Natasha, une agente fiable; elles ont aidé Paul à acheter son appartement récemment. précise Lucie.
À quel prix tu comptes le vendre? demande Julien.
Liza estime trois millions deuros raisonnables, mais on peut commencer un peu plus haut. Jai vu les annonces, cest conforme. répond Lucie.
Mais les appartements làbas sont moins chers, note Man

o.
Oui, un deuxpièces similaire se vend autour de deux millions. répond Lucie.
Maman, Manon et moi avons une demande: pourraistu nous donner au moins un million chacun après la vente? demande Julien.
Un million? Je naurais plus assez pour mon nouvel achat. rétorque Lucie.
Pourquoi pas? On pourrait prendre un studio, par exemple. suggère Julien.
Un studio me serait inconfortable; jai besoin de deux pièces: chambre et salon. répond Lucie.
Certaines familles de trois personnes vivent dans un studio, objecte Julien.
Ce sont ceux qui ne peuvent pas acheter plus grand. Moi, jai la possibilité, et je ne comprends pas pourquoi je devrais men priver. Je veux vivre confortablement. insiste Lucie.
Ce serait juste pour Manon et moi, cest notre maison familiale. rappelle Julien.
Julien, je ne pensais pas devoir aborder ce sujet, mais souvenezvous que le testament de votre père vous a légué tout ce qui vous revenait. répond Lucie.
Il ne vous a rien fait de mal. Tout ce que jai reçu, cest cet appartement. Maintenant vous voulez que je le partage? réplique Julien.
Julien ne sest pas exprimé correctement, intervient Manon pour aider son frère. Il voulait dire que tu pourrais nous soutenir si tu disposes dune somme.
Il a une hypothèque, on veut acheter une maison de campagne. Même cinq cent mille euros nous seraient utiles. propose Manon.
Même si tu achètes deux millions deuros dappartement, il te restera encore un million. Cest ce dont nous parlons. insiste Julien.
Oui, il restera. Mais je lutiliserai pour le déménagement, les travaux, laménagement; il me faut des meubles et des appareils. répond Lucie.
Ce qui reste sera ma réserve de sécurité, au cas où la santé me ferait défaut. ajouteelle.
Donc tu ne nous donneras rien? demande le fils.
Julien, je suis surprise que vous ayez lancé ce sujet. Vous avez trentesept ans, Manon trentequatre, vous avez tous les deux des diplômes, vous travaillez, vous avez encore des échéances demprunt. répond Lucie.
Oui, vous devez encore payer lhypothèque. Mais vous nêtes pas dans le besoin. Si je navais pas osé déménager et vendre, auriezvous trouvé une solution pour me reloger plus simplement? sinterroge Julien.
Non. répond Lucie.
Pardon davoir déclenché cette discussion, sexcuse Manon. Nous avions juste pensé
Vous avez pensé que votre mère, qui vous a toujours aidés, accepterait encore, conclut Lucie.
Et je naurais pas refusé si vous aviez vraiment besoin. Mais je crois que vous vous en sortirez : Julien paiera lhypothèque, vous et Jean économiserez pour la campagne, tout ira bien. ajoute Lucie.

Lucie réalise son plan: elle vend lappartement, déménage dans sa ville natale, achète un nouveau logement près du lieu où elle vivait avec son mari et ses enfants. Ses proches laident à meubler et à rénover. Chaque matin, en ouvrant les yeux, Lucie Martin se sent enfin chez elle.

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Pourquoi une mère aurait-elle besoin de deux pièces ? Elle a déjà soixante-cinq ans. Elle risque de ne plus recevoir de visiteurs, et avec ses sœurs, elle peut tout aussi bien prendre le thé dans la cuisine.
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