Oser Vivre Pour Soi-même

« Maman, tu peux garder Maxime aujourdhui? » demande Camille, la voix usée. « Je dois aller chercher des dossiers urgents au bureau. »

Odile tourne les pages de son agenda. « Camille, jai une réunion avec le rédacteur à dix-huit heures. » répond-elle. « Je ne pourrai pas. »

« Toujours occupée, maman! Cest ton petitfils, pas vrai? Le travail compte plus que nous? »

Odile serre les lèvres. Encore cette manipulation par la culpabilité.

« Camille, je tai déjà dit que mettre au monde un enfant avec quelquun que tu connais à peine, cest trop tôt. Tu nas pas écouté; cest ton choix, ta responsabilité. »

« Très bien, » réplique froidement Camille. « Donc tu te fiches de moi et du bébé. Merci pour ton «soutien». »

Camille raccroche.

Odile vient davoir cinquantedeux ans, et pour la première fois, elle sent enfin pouvoir respirer. Le divorce a bouleversé sa vie ; pendant quinze ans, elle a élevé seule ses deux filles, jonglant entre deux emplois, se privant de tout. Il y a cinq ans, Michel, un homme calme et fiable, entre dans sa vie, laccepte avec tout son passé et ne demande rien dimpossible.

Les filles grandissent, obtiennent leurs diplômes. Avec Michel, Odile a acheté à Camille un appartement dune pièce à Paris, à Léa un studio dans une nouvelle résidence à Lyon. Odile obtient enfin un poste de cadre dans une maison dédition, sinscrit à des cours ditalien et commence à mettre de côté pour un voyage en Italie, le rêve de toute une vie.

Camille se marie à vingttrois ans avec le premier qui se présente. Six mois plus tard, elle accouche. Odile lavait mise en garde contre la précipitation, mais elle na pas écouté. Le mari se révèle irresponsable, travaille en alternance, les revenus arrivent au comptegouttes. Camille se débat entre le bébé et des petits boulots pour joindre les deux bouts. Depuis, le téléphone dOdile sonne sans arrêt.

Odile appuie son front contre la vitre froide. « Ça suffit, » pensetelle, fatiguée dêtre constamment sacrifiée. Camille laisse entendre quelles pourrait revenir vivre chez leurs parents, que ce serait plus simple pour tout le monde. Odile refuse, expliquant quelle a sa propre vie, son travail, ses projets. Camille pleure au téléphone, se plaint de sa jeunesse volée.

Une semaine plus tard, Léa, vingt ans, vient dobtenir son diplôme et annonce quelle est enceinte. Le père nest que trois mois de relation, un coursier qui loue une chambre en résidence universitaire, sans perspective davenir. Léa arrive, radieuse, cherchant soutien et enthousiasme.

« Maman, imagine! Victor et moi allons devenir parents! » sexclamet-elle, seffondrant sur le canapé. « On aura un petit! Cest génial! »

Odile regarde sa fille, lirritation monte. Encore la même histoire que pour Camille.

« Léa, avezvous pensé à comment vous allez élever cet enfant? Où allezvous vivre? Vous pouvez vraiment tout acheter dans un studio? » demandet-elle calmement.

Léa se mord le bord de son pull. « Pour linstant, Victor a une chambre On trouvera une solution. Maman, tu nous aideras, non? On aura besoin de ton aide. Sans toi, on ny arrivera pas »

Odile pose sa tasse plus durement que prévu. « Non, Léa. Accoucher, cest votre droit, je ne my oppose pas. Mais subvenir aux besoins dune jeune famille, je ne le ferai pas. Lappartement ta déjà été offert, tout ce que je pouvais donner, je lai donné. Maintenant, débrouillezvous. »

Léa saute du canapé, les larmes aux yeux. « Comment peuxtu dire ça? Tu nas aucun cœur! Je suis ta fille, et ce bébé sera ton petitfils! »

« Cest pourquoi je te dis la vérité. Vous êtes adultes. Tu as ton diplôme, Victor travaille. Si vous avez décidé davoir un enfant, vous devez assumer la responsabilité. Jai rempli mes obligations. Jai ma propre vie, mes projets. »

« Quels projets? Questce qui peut être plus important que la famille? Tu ne penses quà toi! » crie Léa, saisissant son sac. « Camille a raison, tu es égoïste! »

Camille sort en trombe de lappartement. Odile reste, les yeux fermés, au milieu du salon. Les deux filles se sont alliées contre elle. Le groupe familial en ligne déborde daccusations dégoïsme et de dureté. Camille écrit de longs messages sur la difficulté dêtre seule, que la mère doit aider, que cest sacré. Léa acquiesce, ajoutant quelle naurait jamais imaginé que sa mère puisse être aussi indifférente.

Michel la soutient, létreint le soir, la console du mieux quil peut. Mais la tension augmente. Camille arrive sans prévenir, pousse la poussette dans lappartement, puis part en disant: « Maman, je reste deux heures, garde Maxime. »

Odile tente de protester, mais Camille descend déjà les escaliers. Michel fronce les sourcils, mais reste silencieux. Léa téléphone en pleurant, réclame un soutien moral, se plaint que Victor ne la comprend pas, quelle na aucun argent, quelle ne sait plus quoi faire.

Odile se sent acculée. Ses filles ne cessent de demander, comme si elle était une source inépuisable. Le samedi soir, elle et Michel prévoient de regarder un film et de parler des détails du voyage en Italie. Soudain, on frappe à la porte, pressé, insistant.

Michel ouvre. Camille apparaît, valise en main, le bébé dans les bras. Léa, les yeux rouges, suit derrière.

« Maman, on va emménager chez toi temporairement, » annonce Camille sans préambule, traînant la valise dans le hall. « Sérgio amènera le reste des affaires ce soir. On loue mon appartement pour toucher un loyer! Ainsi, je pourrai travailler plus, et tu pourras garder Maxime plus souvent. »

« Quoi? » reste bouche bée Odile, au seuil du salon. « Camille, cest quoi ce discours? On nen a jamais parlé. »

« Questce quon doit en discuter? Tu es ma mère, tu dois aider. Qui dautre? »

Léa sinfiltre à son tour. « Maman, il me faut de largent pour le lit bébé, » sangloteelle en essuyant son nez avec la manche. « Nous navons rien. Victor gagne peu, je ne peux pas encore prendre un congé maternité, jai besoin de travailler. »

Odile sent une explosion intérieure. Toute la fatigue, le ressentiment des derniers mois éclatent.

« Non, » claquetelle, savançant. « Camille, tournetoi et rentre chez toi. Léa, il ny aura pas dargent. Cest fini. »

Les deux sarrêtent, figées, le regard planté dans celui dOdile.

« Tu plaisantes, maman? » demandet-elle, oscillant, Maxime qui pleure dans ses bras. « Cest sérieux? »

« Absolument, » répond Odile, les bras croisés. « Je vous ai élevées, vous ai donné une éducation, acheté des appartements. Maintenant, quittez le nid et bâtissez le vôtre sans me charger vos enfants! »

« Comment peuxtu dire cela!» hurle Léa. « Nous sommes tes filles, ton sang! »

« Je le peux, cest pourquoi je le dis. Vous êtes majeures, vous avez choisi vos partenaires, le moment davoir des enfants. Je vous ai averties, vous navez pas écouté. Cest votre responsabilité, pas la mienne. »

Camille change lenfant de main, le regarde avec incompréhension et colère. « Tu nous expulse? Sérieusement? Tu envoies ta fille dehors avec son bébé? »

« Je ne vous expulse pas. Tu as un toit, » insiste Odile, sans détourner le regard. « Et tu as un mari, Camille, résolvez vos problèmes vousmêmes. »

« Égoïste!» crie Léa, piétinant le sol. « Tu ne comptes que pour lItalie! »

« Oui, lItalie compte pour moi, » réplique tranquillement Odile. « Mes projets, ma vie. Jai vécu vingt ans pour vous. Que voulezvous de plus? Que je vous garde comme nounou jusquà la tombe? »

Les deux filles se regardent. Camille saisit sa valise, fait demitour et se dirige vers la sortie. Léa la suit. Odile les entend descendre les escaliers, leurs voix mêlées, incompréhensibles, mais le ton est clairement amer.

Une semaine passe sans appel ni message. Michel lui assure quelle a fait le bon choix. Mais au fond, langoisse serre Odile. « Estce que cest trop dur? »

Plus tard, elle apprend que Camille a finalement vendu son appartement. Elle vit chez les parents de son mari, dans un petit deuxpièces, subissant les critiques de la bellemère pour chaque faute. Le beaupère râle, juge les jeunes paresseux.

Léa, quant à elle, est repérée par une voisine qui la vue pleurer sur le banc de la résidence. Victor a fui, abandonnant tout, laissant Léa seule, enceinte, sans ressources.

Odile se tient dans sa cuisine, les nouvelles la submergent. La pitié pour ses filles se heurte à la décision ferme de ne plus intervenir. Elle leur a donné un bon départ; comment elles lont utilisé nest plus son affaire.

Les filles recommencent à appeler. Camille se plaint de la bellemère, pleure, dit quelle nen peut plus. Léa sanglote, affirme être seule, incapable de tenir. Odile écoute, compatit, mais ne propose aucune aide, seulement des conseils.

Pourtant, les filles ne veulent que des solutions. Elles veulent quOdile ouvre la porte, donne de largent. Elle refuse chaque fois.

Avec Michel, elle achète les billets pour lItalie, trois semaines de voyage tant attendues, repoussées maintes fois. Avant de partir, elle appelle ses filles. « Maman, tu deviens folle? » interroge Camille. « Et nous? »

« Vous êtes adultes, vous vous débrouillerez, » répond Odile, en regardant la valise à côté de la porte. « Quand vous apprendrez à résoudre vos problèmes sans me voir comme une nounou gratuite ou une tirelire, je pourrai vous parler comme une égale. En attendant, grandissez. »

« Tu nous abandonnes? » souffle Camille. « Que doisje faire »

« Je ne vous abandonne pas. Vous avez le droit à lerreur, mais je nai pas à payer vos fautes. » prendelle la veste. « Je resterai toujours votre mère, mais je ne sacrifierai plus ma vie pour des adultes et leurs décisions irréfléchies. »

Michel attend près de la voiture. Odile descend, monte dans la berline, inspire profondément. Elle a enfin décidé de ne plus se laisser ronger par la culpabilité. Elle a offert à ses enfants une éducation, un toit, de lamour. Elle a donné des conseils, mais ils ne les ont jamais écoutés. Sa mission est accomplie. Il est temps de penser à elle.

Odile rêve dun séjour avec Michel, des ruelles de Rome, des musées de Florence, des canaux de Venise. De la liberté quelle mérite. Tout cela est merveilleux.

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Oser Vivre Pour Soi-même
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