Une bonne histoire ne saurait se passer damour.
La petite Capucine, huit ans, rentrait de lécole lorsquelle fut prise dune envie irrésistible de voir sa mère, qui vivait dans un village voisin. Au lieu de rentrer chez son père et sa grand-mère, elle bifurqua vers larrêt de bus, attendit patiemment le car et monta dedans.
« Pourquoi maman est-elle comme ça ? Elle na pas voulu rester avec papa, alors quil est si gentil. Jai déjà vécu avec elle, mais je naimais pas quand elle mabandonnait seule à la maison avec ce type, Jocelyn, tous les deux complètement ivres. Pourtant, même si je suis bien avec papa et mamie, maman me manque »
Capucine descendit du car et se dirigea vers la maison de sa mère. En approchant, elle laperçut, assise sur un banc devant chez elle, les traits visiblement marqués par lalcool.
« Oh, ma puce, doù viens-tu comme ça ? » fit Irène en lenlaçant maladroitement.
« Maman, tu mas manqué, » murmura la petite fille en se blottissant contre elle.
Après quelques mots échangés, Irène demanda brusquement :
« Capucine, tu as de largent sur toi ? »
« Juste assez pour le retour en bus. »
« Quoi ? Cest tout ? Alors à quoi bon venir me voir ? Jai besoin de sous, tu ne comprends pas ? »
« Mais je nen ai pas, maman »
« Bon, retourne chez ton père, alors. On sest vues, cest suffisant. Moi, je vais me débrouiller. »
Et sur ces mots, Irène repéra une femme plus loin et se précipita vers elle, laissant Capucine plantée au milieu de la rue, le cœur serré. Cest à ce moment quelle comprit quelle ne comptait pas pour sa mère. Elle navait plus que son père, Théo, et mamie Lucie. Éperdue, elle se mit à marcher sans réfléchir, confondit un petit bois avec une forêt et senfonça parmi les arbres, les larmes aux yeux Quand elle réalisa quelle était perdue, elle éclata en sanglots.
Théo et Irène sétaient rencontrés à la fête du village, où elle était venue avec ses copines pour danser. Il lavait tout de suite remarquée et, après lavoir invitée à valser, ne lavait plus lâchée. Irène, elle non plus, ne sétait pas plainte.
Tout lautomne, Théo avait fait des allers-retours en mobylette pour la voir, et quand lhiver arriva, il la demanda en mariage.
« Irène, épouse-moi. Jen ai assez de faire la navette. Viens vivre chez moi. Ma mère est adorable, tu tentendras bien avec elle. »
Elle neut pas besoin dêtre convaincue. Elle aussi voulait se marier cétait dailleurs pour ça quelle était venue dans ce village, car chez elle, aucun prétendant ne lintéressait.
« Daccord, je veux bien, » répondit-elle simplement. Et Théo fut aux anges : il allait avoir une belle femme.
Après le mariage, ils sinstallèrent chez la mère de Théo. Lucie accueillit Irène comme sa propre fille, sans jamais un mot dur. Un an plus tard, Capucine vit le jour, la petite-fille adorée de Lucie. Tout semblait aller pour le mieux, jusquà ce que Théo remarque que sa femme supportait mal la maternité.
« Ça passera, mon fils, » le rassurait Lucie. « Cest juste le baby-blues. Tout rentrera dans lordre. »
Mais le changement fut brutal quand Capucine eut trois ans. Irène se mit à sortir avec ses amies, rentrant ivre. La routine familiale lennuyait. Théo espérait quelle reviendrait à la raison, mais les choses empirèrent.
« Je vais à lanniversaire de Nath, » annonça-t-elle un jour.
« Bien sûr, vas-y, » répondit Théo, comprenant quelle avait besoin de saérer.
Elle ne rentra pas cette nuit-là. Elle réapparut au petit matin, alors que Théo et Lucie prenaient leur petit-déjeuner.
« Oh, vous ne dormez pas ? » marmonna-t-elle dune voix pâteuse avant de sécrouler sur le lit, tout habillée.
Théo ignorait quIrène avait déjà un penchant pour lalcool. Dans son village natal, beaucoup savaient quelle suivait les traces de sa mère, mais personne nen souffla mot à Théo.
Capucine grandissait, sans vraiment connaître sa mère. Théo commença même à douter de ses sentiments pour Irène. Souvent ivre et négligée, elle disparaissait des jours entiers, jusquà ce quelle parte une semaine entière dans son village.
« Papa, où est maman ? » demandait Capucine. « Elle me manque »
« Elle est dans son village. »
« Ramène-la, papa, » suppliait la petite.
Un dimanche, Théo partit la chercher. Elle nétait pas chez elle. Sa propre mère lui lança :
« Elle est chez Jocelyn, là-bas. »
Quand il entra, il trouva une bande divrognes. Irène était perchée sur les genoux de Jocelyn, riant aux éclats.
En voyant son mari, elle bredouilla :
« Oh, Théo, ce nest pas ce que tu crois Tant mieux que tu sois venu, tu me manquais »
Pendant une semaine, Irène resta sobre, comme changée. Théo hésitait à lui pardonner, mais finit par céder, pour Capucine. Il ne comprenait pas que lalcool était plus fort quelle. Dix jours plus tard, elle recommença, pire encore, en provoquant une scène publique :
« Vous me fatiguez tous ! Toi, ta mère Et Capucine, je nen veux plus ! Elle est assez grande, jen ai marre de jouer la mère parfaite ! »
Cette fois, ce fut la goutte deau. Théo prit la décision de protéger sa fille. Irène retourna dans son village, mais deux semaines plus tard, elle revint et emmena Capucine de force pendant labsence de Théo.
Le lendemain, il se rendit chez elle pour récupérer sa fille. Irène hurla quelle ne la rendrait pas. Théo se tourna alors vers les services sociaux. Quand ils arrivèrent, ils trouvèrent Irène ivre, enlacée à Jocelyn, tandis que Capucine regardait tristement par la fenêtre.
Les services sociaux lui retirèrent la garde. Théo divorça et entama les démarches pour la priver de ses droits parentaux. Capucine, maintenant en CP, vivait paisiblement avec son père et mamie Lucie. Un soir, Théo rentra en criant :
« Je suis là, maman ! Jai une faim de loup Capucine, viens voir ce que je tai acheté ! »
Lucie mit le couvert. Capucine se précipita dans les bras de son père, qui la fit tournoyer. Lucie observait son fils avec inquiétude, mais il lui sourit et hocha la tête. Elle respira enfin.
« Maman, pas besoin de tout sortir du frigo, on va éclater ! » plaisanta Théo.
Mais Lucie saffairait, songeant que son fils, malgré ses trente-trois ans, portait désormais seul le poids de léducation de Capucine. Quand la petite filée dans sa chambre, elle demanda :
« Alors, comment ça sest passé ? Qua dit lavocat dIrène ? »
Théo eut un rire amer. « Il était stupéfait. Irène est arrivée saoule, incapable de parler. Le juge na pas hésité une seconde. Elle a perdu ses droits. »
« Elle la bien cherché Quest-ce quelle pourrait offrir à Capucine, une mère toujours ivre ? »
Capucine était heureuse avec son père et sa grand-mère. Elle pensait parfois à sa mère, mais de moins en moins. Lucie savait quune mère comptait beaucoup pour une enfant mais pas une mère comme Irène.
Agathe, vingt-six ans, adorait la nature et partait souvent seule en forêt cueillir des champignons et des baies. Elle sy était même perdue plusieurs fois, dormant à la belle étoile, mais sans jamais avoir peur. Son grand-père Louis, ancien garde forestier, lui avait appris à construire un abri et allumer un feu.
Un après-midi de septembre, Agathe senfonça dans les bois, distraite par sa cueillette. Soudain, elle réalisa quelle était à nouveau perdue.
« Bon, autant faire une pause. Si on me cherche, on finira par me trouver. »
Le soleil déclinait, le froid sinstallait. Heureusement, elle avait emporté un pull et une vieille veste. Elle alluma un feu.
« Pourvu quil ne pleuve pas »
Un craquement de branches la fit sursauter.
Devant elle se tenait une petite fille, visiblement épuisée par les larmes et tremblant de froid ou de peur.
« Qui es-tu ? » demanda Agathe.
« Capucine Je suis perdue » sanglota-t-elle.
« Ça suffit, les pleurs ne serviront à rien. Où habites-tu ? » Agathe lui passa son pull.
Autour du feu, Capucine raconta tout.
« Papa et mamie doivent me chercher Ils ne savent pas que je suis allée voir maman »
« Ne tinquiète pas, moi aussi je suis perdue. Dans quel village habite ta mère ? »
Agathe sut alors où elles se trouvaient, loin de chez elle. Elle fut surprise davoir pu ségarer ainsi.
« Bon, il fait nuit. On partira demain matin. »
Elles sendormirent épuisées. À laube, elles marchèrent vers un bruit de voitures.
« Capucine, tu entends ? Je crois quon a trouvé la route »
Elles débouchèrent enfin sur une départementale.
Depuis la veille, Théo avait mobilisé tout le village, y compris le gendarme, pour retrouver Capucine. Ils étaient allés voir Irène, qui, à peine lucide, se souvenait vaguement de la visite de sa fille. Théo faillit la frapper, mais le gendarme len empêcha.
« Ça ne sert à rien, Théo »
Sur la route, Agathe et Capucine virent une voiture sarrêter.
« Papa ! » hurla la petite en courant vers lui. Agathe resta immobile.
« Cest mon papa, Agathe ! »
Théo, tendu, toisa Agathe.
« Qui êtes-vous ? Où avez-vous trouvé ma fille ? »
« Papa, ne sois pas méchant ! Elle ma sauvée ! »
« On va chez le gendarme. »
« Voilà comment on remercie les gens, » murmura Agathe en montant dans la voiture.
Plus tard, sous le soleil, Théo, gêné par sa rudesse, lui dit :
« Je vous ramènerai chez vous. Mais dabord, venez manger. Vous devez avoir faim toutes les deux. »
« Je ne veux pas vous déranger »
« Cest moi qui suis désolé, Agathe. Jétais à cran. »
Elle sourit, comprenant son histoire grâce à Capucine. Et elle sentait que cette rencontre avec Théo nétait pas un hasard
Elle avait raison. Six mois plus tard, ils se marièrent. Capucine était aux anges.
Après tout, une bonne histoire ne saurait se passer damour.







