Le Quartier des Grand-Mères Dupees

Je me souviens, il y a bien longtemps, du petit hameau de SaintJustlesBains, où les vieilles dames se retrouvaient comme si elles étaient toutes piégées par le même sort.
«Notre tribu arrive!» sécria Éléonore Andréa, en désignant la silhouette qui avançait lentement. «Encore une amatrice dair frais et de sa petite propriété!»

«Tu es cruelle, Andréa», répliqua Odile Martineau en secouant la tête.

«Crue?Tu te trompes!Je suis aussi gentille quune brise dété. Quand jatteindrai ces acrobates, aucune convenance ne marrêtera!»

«Si nous y parvenons, rien ne pourra plus nous retenir!», marmonna AnneSophie Lefèvre.

Le groupe attendait, silencieux, larrivée de la nouvelle venue.

«Excusezmoi, où se trouve la dixseptième maison?», demanda la dame qui sapprochait.

«Ce nest pas important, répondit Andréa.Nous nous regroupons tous au huitième; mieux vaut y traîner votre charrette pleine de trésors dès le départ!»

«Jai déjà mon domicile,» protesta la nouvelle arrivante.

«Nous sommes tous propriétaires ici,» grogna Lefèvre. «Prenez place, faisons connaissance!»

«Je mappelle Valérie Dubois,» se présenta la jeune femme. «Jaimerais simplement me reposer, je suis épuisée davoir fait le trajet.»

«Installezvous, vous vous reposerez bien,» proposa Martineau.

«Je préfère rentrer chez moi pour me préparer à la nuit,» sourit Valérie.

«Vous avez de largent liquide?» demanda Andréa.

«Pourquoi?Jai une carte!» sétonna Valérie.

«Mais les distributeurs sont rares ici,» ricana Andréa en sinstallant sur le banc. «Ne vous fatiguez pas les jambes, nous ne sommes plus tout jeunes!»

«Je souhaiterais rentrer chez moi,» dit Valérie, embarrassée.

«Asseyezvous!Nous navons plus vraiment de maisons!Enfin, plus de véritables foyers: que des cabanes de contreplaqué sans lumière, eau ou chauffage.»

Aujourdhui, pour ne pas périr, nous habitons tous sous le même toit, nous nous chauffons les uns les autres. Lhiver viendra, et nous serons serrés comme des sardines.

Les personnes âgées et seules sont toujours les cibles de prédilection des escrocs. Elles ont vécu, vu le monde, accumulé de lexpérience, et pourtant elles se laissent parfois happer, perdant argent, logement, parfois même la santé.

Le plus cruel, cest quand les victimes ne sont pas seulement âgées, mais aussi isolées. Sans famille ni amis, elles nont nulle part où fuir. La vie devient alors une question de temps.

Quand les volontaires du fonds de charité «Sourires dÂge» sont venus chez Valérie, elle na pas accepté tout ce quils proposaient.

Ils offraient tout : un panier de courses, une aide à domicile, même une infirmière.

«Je peux me prendre en charge, me rendre à la maison de santé toute seule!» déclara Valérie.

Elle refusa aussi les travaux de rénovation. «Il y a trois ans, les voisins mont aidée à remettre de la peinture. Un gros chantier, ce nest pas nécessaire, je suis à laise comme ça.»

La proposition de transférer sa pension dans une banque privée pour profiter de placements à court terme la fit réfléchir. Elle voulait plus, mais les brochures étaient incompréhensibles et les explications des jeunes la perdaient davantage.

«Je vais y réfléchir,» réponditelle calmement.

Les jeunes ne la pressèrent pas, ils ne la poussèrent pas ; ils ne firent que suggérer. Même quand elle refusa, ils restèrent souriants, proposant dautres possibilités pour alléger son quotidien.

«Nous ne vous demanderons jamais dargent pour les courses,» direntils, «questce que serait une association caritative qui prendrait votre poche?»

Ainsi, Vadin et Eugène, les deux bénévoles, vinrent chaque semaine chez Valérie. Parfois ensemble, parfois séparément, ils apportaient les provisions et évoquaient des projets de sorties ou daccompagnement.

«Et si vous aviez besoin, nhésitez pas à demander», lança Eugène. «Nous avons déjà aidé dautres personnes dans la même situation.»

Valérie était ravie des visites; elle vivait seule depuis vingt ans, son mari était décédé, elle navait ni enfants ni proches. Les rencontres nétaient pas de simples passages administratifs, mais des échanges sur la vie, le temps, les souvenirs, les joies et les peines.

Un jour, Vadin et Eugène revinrent, lair excité.

«Valérie, vous refusez toujours laide, mais nous avons une proposition qui vous fera accepter!Nous avons un grand sponsor qui finance la construction dun nouveau lotissement à la campagne. Des petites maisons en bois, trois pièces, cuisine, salle de bain, petite véranda. Conçues pour vivre seul confortablement.»

«Cest dans un coin verdoyant, près dune forêt et dune rivière, avec une épicerie, un bureau de poste et une agence bancaire au village voisin.»

«Notre sponsor veut offrir ces maisons à nos pensionnés, sans frais de construction.» sexclama Vadin, les yeux brillants.

«Comment ça?Cest une maison offerte?» sétonna Valérie.

«Pas tout à fait,» soupira Vadin. «Le sponsor attend en retour un petit geste symbolique, mais rien de commercial.»

«Votre appartement vaut trois millions deuros, et ils demandent seulement un million pour la maison,» ajouta Eugène. «Il vous resterait deux millions à investir dans votre nouveau logement.»

Valérie voulut prendre le temps de réfléchir, mais on lui accorda à peine quelques minutes.

«Le terrain nest pas infini, loffre est alléchante, nous voulons que nos aînés deviennent propriétaires de ces foyers idylliques!» insista Vadin.

Elle se dit que lidée était tentante, mais la procédure semblait compliquée: vendre lappartement, acheter la maison, déménager les affaires.

«Je vous amène les brochures et les photos,» proposa Vadin en se levant. «Nous réglerons tout sur place, sans tracas.»

Les dépliants étaient très soignés, remplis de photos retouchées montrant des chalets en bois avec fenêtres en PVC.

«Jai moimême pris les clichés,» déclara Vadin. «Pas de retouches artistiques, juste la vérité.»

Valérie accepta de parler avec le notaire qui devait établir une procuration générale pour que lagence achète son appartement. Lagence rédigerait une instruction de paiement de trois millions deuros sur son compte, puis, simultanément, le sponsor lui enverrait une demande de paiement dun million depuis sa carte, comme «contrepartie».

«Comment largent circulera?» demanda Valérie.

«Le mandat et la demande sont les deux faces du même mouvement bancaire,» expliqua Vadin avec un sourire. «Les banques décident quand envoyer les fonds.»

Valérie ne comprenait pas ces subtilités, mais accepta. Elle rassembla ce quil lui fallait pour les premiers jours, et le reste serait transporté par Eugène dès quun camion serait disponible.

Le lendemain, Vadin la conduisit à la périphérie du nouveau lotissement.

«Je ne peux pas aller plus loin, ma voiture ne passe pas les sentiers,» sexcusa Vadin.

«Ce nest pas grave, je marcherai un peu,» répondit Valérie, souriante.

Elle rencontra les futurs voisins, mais la réalité savéra bien différente de la brochure.

«Tout est conforme à la loi,» grogna Andréa en inspectant les maisons. «Les maisons ont été achetées au prix exact de lappartement, mais les murs sont faits de deux panneaux de contreplaqué recouverts dun papier peint imitant le bois.»

Lélectricité ne serait installée quau printemps suivant, leau proviendrait dune citerne, le chauffage serait électrique.

«Nous sommes seize à habiter ici, peutêtre dixsept si on compte les nouveaux,» poursuivit Andréa. «Les pensions arrivent sur nos cartes, mais on ne peut les dépenser quau village lorsque le terminal fonctionne, ce qui dépend du bon vouloir du patron du terminal.»

Valérie, désespérée, demanda : «Que faire?»

«Rester calme et marcher lentement vers la grotte,» conseilla Lefèvre. «Quand le froid frappe, on ne pourra plus rien faire.»

«Il faut porter plainte!Cest une escroquerie!» sindigna Valérie.

«On a déjà tout signalé,» ricana Lefèvre. «Tout est légal!»

Les anciens du hameau navaient plus de proches; ils navaient nulle part où fuir. La seule issue semblait être de senfoncer dans les soussols du village.

«Je ne veux pas menfoncer,» déclara Valérie. «Nous avons besoin daide, dune âme plus malheureuse que la nôtre pour nous soutenir.»

Cest alors quapparut Barbara Illien, mère de deux fils jumeaux, Colin et Thierry. Dans leur enfance, ils jouaient aux «Cassecasseurs». En grandissant, Colin devint policier, Thierry, bandit.

Valérie sollicita les frères pour quils interviennent.

«Tout est clair, ils ont signé tout euxmêmes!», sécria Vadin en voiture de police. «Vous navez aucun droit!»

«Vraiment?» demanda Colin, feignant la surprise. «Alors ils ont volé mon véhicule de service!»

«Et vous, les gars, vous avez compris que vous piétinez les vieux?Vous ne pouvez même pas leur rendre la monnaie!», lança Thierry, le sourcil levé.

«Nous respectons la loi,» affirma Vadin. «Vous en subirez les conséquences si vous continuez ainsi.»

Après une semaine, les anciens retrouvèrent leurs appartements, même si certains meubles manquaient. Ils saidèrent mutuellement, et le hameau, bien que singulier, devint une petite communauté soudée. Ils nétaient plus seuls, même si les circonstances les avaient réunis de façon improbable.

Оцените статью