Salut! Alors, je te raconte ce qui sest passé samedi dernier, quand le mois de mars laissait enfin place à avril, dans notre petit appart du 11ᵉ à Paris. Le weekend était en mode «repos» comme dhabitude. Sébastien, dès le matin, sest lancé dans son passetemps préféré: il jouait avec la cafetière à piston, ajustant les doses pour tester un nouveau grain darabica. De mon côté, jétais confortablement installée sur le canapé, à feuilleter une pile de magazines et à griffonner la liste des courses: je pensais passer à la supérette après le déjeuner, mais la bruine de printemps sest invitée.
Dehors, la neige fondait lentement, laissant des flaques où le verglas tenait encore. À lentrée, un petit archipel de bottes en caoutchouc et de pantoufles sétait formé.
Sébastien a levé les yeux de son café et ma demandé:
Tu veux grignoter quelque chose? Jai trouvé une recette de flans au fromage sans semoule.
Jai souri, tranquille, le plan était simple: petitdéjeuner ensemble, puis chacun à ses trucs. Avant que je ne réponde, on a entendu un coup franc à la porte.
Cétait notre voisine, Sophie, de lappart den face. Un peu plus agitée que dhabitude, elle tenait dune main un petit garçon denviron huit ans, pas tout à fait inconnu mais pas non plus un ami proche.
Désolé de vous déranger Jai une urgence pro, mon mari est bloqué quelque part entre le périphérique et la lune. Vous pourriez garder Théo quelques heures? Il est calme Voilà son sac,
Elle a tendu un petit sac à dos où se cachait un dinosaure en plastique,
Pas besoin de le nourrir, il a déjà pris son petitdéjeuner, mais il adore les pommes
Sébastien ma lancé un regard, jai haussé les épaules: qui refuserait si rapidement? On a acquiescé dun hochement :
Bien sûr, il peut rester! Pas de souci.
Théo a franchi le seuil en scrutant le sol dun air curieux. Ses petites bottines ont ajouté de nouvelles empreintes mouillées à la trace déjà existante à lentrée. Sophie a rapidement expliqué: le téléphone des parents est toujours à portée, appeler si besoin, aucune allergie, il adore les dessins animés danimaux. Elle a donné un baiser sur le front de son fils et a disparu derrière la porte.
Le gamin a enlevé sa veste et la suspendue près du radiateur. Il a jeté un œil autour de lappart: les rideaux lourds rendaient le salon un peu plus sombre que chez lui, mais lair sentait bon le café frais mêlé à la chaleur du radiateur.
Alors Théo? Tu veux un dessin animé ou jouer à quelque chose?
Jai essayé de me souvenir de toutes les jeux denfants possibles.
Théo a haussé les épaules :
On peut regarder des dinosaures? Ou bricoler quelque chose
Les trente premières minutes se sont déroulées tranquillement: Sébastien a lancé «Jurassic Park» sur la télé, puis est allé lire les infos sur son téléphone. De mon côté, je feuilletais les magazines tout en jetant un regard sur le nouveau petit habitant, qui sétait installé sur le tapis devant la télé, sac à dos à la main. Mais limpression que tout était provisoire ne partait pas, même après trois spots publicitaires consécutifs.
À une heure, les plans des adultes ont commencé à fondre comme la neige sur le radiateur. Sophie a envoyé un texto: «Désolée! On est coincés dans les bouchons depuis une heure, on essaie de revenir ce soir.» Puis le père de Théo a appelé, la voix embarrassée :
Les amis, merci! On arrive bientôt! Tout se passe bien chez vous?
Je lai rassuré :
Oui, oui! Tout va bien, ne vous inquiétez pas.
Jai raccroché, puis je me suis tournée vers Sébastien :
On va devoir changer nos plans de déjeuner
Il a haussé les épaules :
Bon, ce sera une petite expérience à deux!
La première gêne sest évaporée grâce à la spontanéité du gamin. Théo a sorti sa petite collection de figurines de dinosaures (trois au total) et a demandé sil pouvait aider à préparer le repas.
Sébastien sest lancé sans difficulté: il a sorti des œufs du frigo pour une omelette, Théo les a cassés en les faisant glisser sur le bord du bol (et quelques-uns ont raté). Lodeur du beurre et du pain grillé a envahi la cuisine, le petit a remué la pâte avec une cuillère en bois jusquà ce quelle ressemble à du béton.
Pendant que les adultes débattaient du film à mettre pour un enfant de huit ans (du Roi Lion à une comédie rétro), Théo a empilé tous les coussins du salon en un gros monticule près de la table basse. En deux minutes, la construction était proclamée «camp de base de lexpédition», ouvert à tous, quel que soit lâge.
À lextérieur, le crépuscule savançait tôt pour la fin mars; les réverbères reflétaient leurs lueurs sur les flaques, comme des lucioles sur la neige près de limmeuble.
Quand les parents ont rappelé, cette fois les deux, il est devenu clair quils ne rentreraient pas avant la nuit.
Sébastien a brisé le silence :
On dirait quon va passer la nuit ici! Tu en penses quoi?
Jai jeté un regard à Théo, qui affichait un large sourire devant sa forteresse de coussins, sans aucune trace de peur, juste lexcitation dun explorateur.
Alors, camp dappartement! a déclaré Sébastien avec un petit ton solennel. On prépare le dîner ensemble! Qui soccupe du menu?
On a cuisiné à trois; cétait étonnamment amusant même pour nous, vieux habitués de la routine. Théo pelait les pommes de terre (une presque carrée), Sébastien coupait les légumes pour la salade, et jai dressé la table avec des assiettes en plastique, parce que dans un camp, il faut une ambiance spéciale.
Le bruit de la pluie contre la fenêtre sintensifiait, et on parlait de nos films denfance (chacun a son époque), des anecdotes décole (Théo a raconté lhistoire de la prof de maths et dun lézard en plastique). Les rires fusaient, comme si on nétait plus des étrangers les uns pour les autres; les soucis se dissipaient au parfum des légumes rôtis et à la lumière douce de la lampe.
Dans le salon, on a improvisé une petite tente avec des draps tendus sur le dos du canapé; les règles du camp étaient simples: chuchoter les histoires et se cacher des «esprits de la forêt», rôle confié à un hippopotame en peluche. Quand lhorloge a dépassé lheure habituelle du coucher, personne na pensé à rappeler Théo à son emploi du temps.
La petite tente tenait bien: les draps restaient en place, les coussins servaient à la fois de murs et de lits. Théo, vêtu dune grenouillère qui lui était trop grande, sest installé avec lhippo, le sac à dos avec le dinosaure à côté.
Jai apporté une tasse de lait chaud et un plateau de biscuits.
Voilà votre ration nocturne pour lexpédition, aije annoncé avec un air sérieux.
Sébastien a mis une serviette de cuisine sur la tête comme sil sagissait dune bandeau.
Dans notre camp, règle spéciale: après le couvrefeu, on ne parle quen chuchotant!
Il a fait un clin dœil à Théo, qui a hoché en feignant de creuser un nouveau tunnel de coussins.
Le soir a duré plus longtemps que dhabitude. On a lu à Théo des contes rigolos sur un ours maladroit (en changeant les prénoms à chaque fois), on a débattu de ce quon emporterait en vrai trek. Sébastien sest souvenu de sa première nuit chez des potes, où il sétait effrayé des papiers peints, puis rêvé dune forteresse de chaises. Jai reparlé de nos vacances à la campagne et du jour où jai perdu une pantoufle dans la neige près de la porte.
Théo écoutait, parfois souriant, posant des questions: pourquoi les adultes aiment parler du passé? Doù viennent leurs petites peurs? Il parlait de lécole avec plus de calme le soir que le jour, sans quon le coupe. Puis il a avoué :
Je pensais que ce serait ennuyeux Mais cest comme une petite fête.
Jai ri :
Tu vois! Lessentiel, cest la bonne compagnie.
Peu à peu, les conversations se sont tuees. Dehors, la rue était presque plongée dans lobscurité, seules quelques voitures lançaient des traits de lumière entre les rideaux. La tasse de thé à moitié vide et une tranche de pain restaient sur la table: personne navait pressé de ranger. Une douce fatigue nous enveloppait, comme si on avait vécu une journée un peu plus longue que dhabitude.
Jai installé Théo dans son camp de coussins, jai posé un plaid à rayures jaunes dessus celui que Sébastien adore depuis quil était gosse. Il sest installé confortablement. Sur sa demande, je lui ai lu une dernière histoire, celle dune ville où, la nuit, des bateaux en papier voguent sur les flaques de printemps. Après, on est restés silencieux un moment.
Tu nas pas peur sans ta maman?
Non Cest rigolo Un peu bizarre, mais jaime.
Demain matin tout reviendra à la normale et si tu veux revenir, on sera toujours là.
Il a hoché la tête, les yeux se fermant presque tout de suite.
Quand il sest endormi, respirant paisiblement, je suis allée rejoindre Sébastien à la cuisine. Son téléphone affichait un message de Sophie: «On est enfin rentrés, tout va bien, on sera là demain matin.» Jai posé le pied sur le tabouret à côté de lui.
Je nattendais pas une soirée comme ça
Il a souri :
Moi non plus Cest plus cosy que nos dîners habituels.
On sest regardés, complices, sachant que cétait un moment rare, pas seulement avec le gamin du voisin, mais entre nous deux.
La chaleur du radiateur baignait la cuisine, la pluie continuait son doux martèlement, et le souffle du petit Théo séchappait doucement de la porte entrouverte du salon. Sébastien a proposé :
Et si on organisait ce genre de camp de temps en temps? Pas seulement pour les enfants
Jai ri :
Les adultes ont aussi besoin dun jour off improvisé.
On a décidé dessayer, au moins une fois par mois, juste pour le plaisir de partager un repas ou une partie de jeu de société.
Le matin suivant, le soleil a percé les rideaux épais, dessinant une bande de lumière sur le sol près du radiateur. Lair était frais, quelquun a grand ouvert la fenêtre pour aérer après la nuit.
Théo sest levé un peu avant nous, a examiné la collection de magnets sur le frigo, puis ma aidée à mettre la table: tartines au fromage et compote de pommes en pot. Il était content du menu simple du camp.
Les parents sont arrivés; Sophie semblait fatiguée mais reconnaissante, le père de Théo a interrogé son fils sur la nuit, et Théo a raconté avec enthousiasme la forteresse de coussins. Sébastien a tout détaillé: où on a dormi, ce quon a mangé, quels films on a vus.
Avant de partir, Théo a demandé :
Je peux revenir encore? Pas que quand maman est occupée Juste comme ça?
Jai éclaté de rire :
Bien sûr! On a maintenant un camp dappartement chaque samedi!
Les parents ont soutenu lidée, promettant dapporter la prochaine fois le jeu de société «Mémoire», au cas où ça servirait à toutes les générations.
Quand la porte des voisins sest refermée et que lappart est redevenu spacieux, Sébastien ma lancé :
Alors, on invite dautres gens la prochaine fois?
Jai haussé les épaules :
On verra Lessentiel, cest quon ait notre petit secret contre les weekends ennuyeux!
Et on sest senti un peu plus jeunes, comme si on venait de créer un petit miracle du quotidien. À bientôt pour la prochaine aventure!







