Deuxième Jeunesse: Redécouvrir la Vitalité et la Passion à l’Âge Mûr

23avril2025

Aujourdhui, en revivant mes souvenirs, je réalise à quel point les vingtsix années passées avec Alexandre ont été à la fois ordinaires et extraordinaires. Nous nous sommes rencontrés à la faculté de Lyon, nous sommes mariés dès la fin des études, et deux ans plus tard notre fils, Baptiste, est né. Rien de plus banal, presque cliché : une famille typique.

Baptiste a grandi, sest marié, et sest installé avec sa femme à Paris. Son départ a totalement bouleversé le quotidien de notre couple. Soudain, il ny avait plus rien à se dire, aucune petite routine à partager. Nous nous connaissions par cœur, on se comprenait dun regard, dune phrase à moitié prononcée. Maintenant, nos échanges se résumaient à quelques mots pour mieux se taire.

Quand je commençais à travailler après luniversité, une collègue denviron quarantecinq ans occupait le même bureau que moi. Elle me paraissait vieille malgré son âge, à cause de son teint hâlé qui contrastait avec sa coupe garçonne aux cheveux blonds, presque rasés. Elle partait souvent en congé lhiver et revenait toujours bronzée, comme si elle sortait dun solarium.

« Elle doit aller au solarium, » murmura notre nouvelle stagiaire en me jetant un regard curieux.

Un jour, je nai plus pu contenir ma curiosité et je lui ai demandé où elle parvenait à prendre une telle couleur.

« Nous sommes allés au ski à Chamonix avec mon mari, » a-t-elle répondu, un sourire espiègle aux lèvres.

« À votre âge? » ai-je rétorqué, étonnée.

Elle a éclaté de rire, comme si le temps était un simple détail.

« Mon âge? Jai quarantecinq ans, ma chère. Quand on atteint cet âge, on découvre que la vraie jeunesse nest pas naïve mais mûre. Souvienstoi, lennui est le plus grand ennemi du couple. Tous les adultères, les divorces naissent de lennui. Quand les enfants grandissent, la vie devient paisible, et les hommes, perdus, cherchent à combler le vide. Nous, les femmes, navons pas le temps de nous ennuyer : nous travaillons, nous nous occupons des enfants, des tâches ménagères. Pendant ce temps, le mari se prélasse sur le canapé, se demandant comment utiliser son énergie. Certains boivent, dautres cherchent de nouvelles sensations »

Sa tirade ma profondément marquée. Jai compris pourquoi, lorsque mon premier mari a un jour déclaré quil était tombé amoureux dune autre femme et quil en avait assez de moi, il était parti sans un regard en arrière.

Depuis que je me suis remariée avec Alexandre, jai changé ma façon dêtre. Je lai obligé à participer aux corvées, nous partons le weekend à la campagne, en hiver nous faisons du ski à Les Deux Alpes. Aucun moment de répit sur le canapé ; je le bouscule, je le secoue. Aujourdhui, nos enfants sont adultes, nous voyageons à travers la France, du bord de la mer aux sommets alpins. Peutêtre que ce mode de vie ne convient pas à tout le monde, mais je garde son enseignement en tête.

Je me souviens de ces soirées où, après un dîner copieux, Alexandre se glissait sur le canapé devant la télévision, difficile à le faire lever. Il était auparavant un randonneur passionné, un rameur de rapides sur lArdèche, un musicien qui jouait de la guitare et chantait. Les surprises quil me réservait pour mon anniversaire restent gravées.

Jai essayé de le motiver : billets de théâtre, croisière sur le Rhône à bord dun paquebot à trois ponts. Au théâtre, il somnolait ; à bord du bateau, il se plaignait de létroitesse de la cabine ; le ski, rien à dire, il rechignait à bouger avec son ventre qui sélargissait.

Lorsquelle me proposa daller au cinéma, il me lança, les yeux tristes :

« Vers où tu memmènes? Je veux juste me reposer le weekend, dormir un peu. Va avec tes amies. »

Au début de notre vie commune, Alexandre partait en trek avec ses amis, formant une petite bande daventuriers qui aimaient le rafting, les descentes en kayak sur les rapides. Il jouait de la guitare, chantait avec une voix agréable. Moi, je ne lai jamais accompagné : le travail, la grossesse, le petit Baptiste me retenaient.

« Tu le laisses partir? Il va sûrement trouver une compagne daventure, » mavertissait ma mère.

« Pour tromper, il na pas besoin de partir en montagne. Il peut le faire ici même, » rétorquaisje, confiante.

Je croyais vraiment en lui, attendant quil revienne de ses expéditions. Puis, les amis ont fondé leur propre famille et les randonnées ont cessé.

Un dimanche, je me suis assise à côté de lui sur le canapé avec un album photo. Dabord à contrecœur, il a commencé à feuilleter les clichés, à se remémorer.

« Tu ne veux pas revivre nos jeunes années, te replonger dans le passé? »

« Non, avec qui? Tout le monde a des obligations, des petitsenfants. »

« Avec moi. Je nai jamais participé à tes sorties. Fais le premier pas, invite tes anciens compagnons, peutêtre quils accepteront. »

« Tu plaisantes? Avant, on était jeunes, insouciants, maintenant »

« Trop sages? aije rétorqué en souriant. Allons au théâtre ce weekend, passons une soirée culturelle, aije ajouté en refermant lalbum, soulevant un nuage de poussière. »

Il a réfléchi. Un soir, pendant le dîner, il a dit :

« Jai parlé à un ami, Thierry. Il peut nous fournir un itinéraire, il possède encore des tentes. On pourra louer un raft au club. »

Son enthousiasme ma réchauffée le cœur. Il ne parlait plus que de la prochaine expédition.

« Tu sais, Pauline, tu es novice, ce ne sera pas facile. Il y aura des rivières, des rapides, des moustiques. On dormira à la belle étoile, sans douches, sans toilettes, on devra se réfugier sous les buissons. Tu reviendras au premier jour, jen suis sûr, ma averti Alexandre.

« Je ny commencerai pas, promisje.

Il a haussé les épaules, un regard sceptique, vêtu dun chapeau élégant, dun peignoir à motifs doiseaux exotiques.

« Il faut téquiper correctement, pas de talons pour la randonnée. »

Nous avons fait les magasins ensemble ; il ne me lâchait pas dune seconde.

« Je te connais, tu achèteras maillots de bain et robes, mais pour la randonnée il faut des vêtements chauds et de bonnes chaussures, me disaitil.

Je me suis laissée guider, suivie aveuglément. Bientôt nos sacs à dos étaient prêts.

« Enfileles, je veux voir ta préparation, a ordonné Alexandre.

Jai soulevé le sac, me tordant comme un épinard à la poêle, sentant le poids écraser mes épaules. Le sentier ne serait pas un chemin plat, mais un terrain accidenté, sillonné de ravins.

« Déchargele, atil ordonné. Voyons ce que tu portes. »

Je lai dézippé, soulagée, pour découvrir rouleaux de bigoudis, trousse de maquillage, sèchecheveux, tubes de crèmes, bonnets de bain tout ce qui convient à la terrasse dun chalet, pas à une rando.

« Les moustiques vont bien rire de toi, atil conclu. Tu veux vraiment rester, Alexandre ? atil demandé avec pitié.

Je lai enveloppée de mon chagrin.

Après un long instant, Alexandre a retiré le superflu, ne gardant que lessentiel. Le sac était beaucoup plus léger.

« Je peux le faire, aije déclaré, les ailes du cœur battant.

Je me suis rappelée les fois où jessayais de le faire venir au théâtre, où je lui imposais mes passions. Il avait bien accepté au début. Aujourdhui, en tant que compagne daventure, je devais être à ses côtés, dans la joie comme dans la sueur.

À lapproche du départ, le doute me rongeait. Nous étions à la gare de Lyon, attendant le train qui nous emmènerait loin du confort civilisé. Trois hommes et une femme nous accompagnaient.

« Tes amis sont-ils divorcés? aije demandé doucement.

« Non, leurs épouses sont avec leurs petitsenfants, atil répondu.

Le voyage en train fut gai : les hommes racontaient des anecdotes, Alexandre grattait quelques accords sur la guitare rangée sous le lit. Jai senti que, si tout continuait ainsi, je réussirais à profiter pleinement.

À la sortie du wagon, à quelques kilomètres de la gare, mon dos a commencé à hurler sous le sac, mes jambes tremblaient, la sueur coulait. Jai eu honte de me plaindre, alors que les hommes portaient leurs sacs de couchage, leurs tentes, leur petite embarcation gonflable.

Le paysage était splendide, mais je ne voyais rien dautre que le besoin de ne pas tomber, de ne pas me blesser. Quand nous avons atteint la rivière, je voulais mallonger sur lherbe et ne plus bouger. Les hommes ont rapidement allumé le feu, monté les tentes, comme sils navaient jamais été fatigués.

« Tu thabitueras, ma encouragée Tatiana, lépouse dun des randonneurs. Allons chercher de leau, il faut préparer le dîner. »

Les larmes me montaient aux yeux, lenvie de rentrer à la maison, de prendre une douche, de me glisser dans un lit moelleux.

Mais le feu crépitait, Alexandre jouait de la guitare avec une passion que je navais plus entendue depuis des années. Sa voix, claire, résonnait dans la nuit, et jai revu lhomme que javais aimé sans retenue.

« Tu penses déjà à fuir? atil demandé le lendemain, en observant les ampoules sur mes paumes après le rafting.

« Non, aije répondu avec conviction.

Aux abords des rapides, le bruit de leau me faisait peur, les rochers tranchants surgissaient. Jai voulu proposer de longer la berge, mais le regard moqueur dAlexandre ma fait taire. Jai agrippé les bords du radeau, oubliant les pagaies, redoutant de plonger dans le froid.

Quand les rapides ont disparu, jai poussé un cri de joie, le cœur débordant.

Nous sommes rentrés chez nous après une semaine, épuisés mais comblés. Jai compris que les nouveaux amis, les chants autour du feu, lair pur et le silence me manqueraient.

Après la douche et un dîner copieux, nous nous sommes installés près de lordinateur, à regarder les photos, à se taquiner comme autrefois. Cette randonnée a ravivé nos intérêts communs. Nous nous sommes endormis enlacés, comme au premier jour.

« Lan prochain, on repart? aije murmuré, serrée contre le côté chaud dAlexandre.

« Tu as aimé? atil ri. Ce nest pas le théâtre ni les restaurants, cest la vraie vie. »

« Maintenant je sais comment my préparer, je ne te ferai pas honte, aije promis.

« Tu ne mas pas fait honte. Pour une débutante, tu as été formidable. Tu mas surpris. matil complimenté.

Je suis restée rougir, flattée.

Quand mon fils a appelé, je lui ai raconté notre aventure en détail.

« Vous avez la vie mouvementée, je pensais que vous seriez tristes, ennuyés. atil dit.

« Nous nous ennuyons un peu, mais pas trop, aije répondu. On attend un petitenfant, un petit garçon ou une petite fille.

Après les vacances, je suis rentrée au travail, les yeux brillants, un bracelet de corde et de perles au poignet.

« Vous avez bronzé à la montagne ? a commenté une collègue en remarquant le bracelet. Cest joli, cest quoi? »

« Cest un talisman, un cadeau dun ami chaman, aije répondu.

Alors, pour raviver la flamme, je ne resterai pas enfermée chez moi. Je partagerai les passions dAlexandre, même si laventure extrême ne convient pas à tout le monde. Comme le disait un écrivain, « il ne faut pas regretter les efforts quand il sagit de sauver lamour ».

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