Je connais ton secret vieux de trente ans» murmura la belle-sœur

Tu sais, jai cette histoire qui ma vraiment touchée, et je me suis dit quelle méritait une version bien française. Imagine un peu cette scène :

*Je connais ton secret dil y a trente ans*, murmura la belle-sœur.

*Anne-Sophie, tes feuilles de vigne farcies sont divines ! Tu me passes la recette ?* demanda Élodie en tendant son assiette vide pour se resservir, le visage épanoui. *Les miennes ne sont jamais aussi tendres.*

*Rien de spécial*, sourit Anne-Sophie en lui resservant une portion. *Juste de la patience pour la farce et une cuisson douce pour les feuilles. Viens un jour, je te montrerai.*

Autour de la table dressée pour les soixante-dix ans de Michel, toute la famille était réunie : enfants, petits-enfants, proches. Le salon, dhabitude si spacieux dans leur maison de Provence, paraissait étroit ce soir-là, empli de rires, de conversations et des délicieux effluves du repas.

Anne-Sophie surprit le regard insistant de Laurence, la sœur de son mari, venue spécialement de Lyon pour loccasion. Elles ne sétaient pas vues depuis dix ans, et Anne-Sophie fut frappée par son changement. Autrefois si vive, Laurence semblait sêtre recroquevillée, comme fanée. Seuls ses yeux restaient les mêmes pénétrants, légèrement moqueurs.

*Laurence, tu veux encore un peu de quelque chose ?* tenta Anne-Sophie pour briser létrange tension.

*Non, merci*, répondit Laurence sans détourner les yeux. *Je suis rassasiée. Dans tous les sens du terme.*

Son ton glaça Anne-Sophie. Elle allait demander si tout allait bien quand Michel se leva, tapotant son verre avec une cuillère.

*Mes chers amis, ma famille !* Sa voix chaise résonna dans la pièce. *Merci dêtre là pour moi aujourdhui. Surtout toi, ma petite sœur*, dit-il en souriant à Laurence. *Tu as fait un long chemin pour être là.*

*Pour mon frère adoré, je traverserais bien plus*, répondit-elle avec un sourire qui natteignit pas ses yeux.

*Et bien sûr, un merci immense à mon Anne-Sophie*, ajouta Michel en posant une main sur lépaule de sa femme. *Quarante-trois ans ensemble, et chaque jour, je remercie le ciel pour toi.*

Anne-Sophie rougit sous les regards attendris des invités et sous celui, scrutateur, de Laurence.

La soirée se poursuivit jusquà lheure du café. Peu à peu, les invités partirent. Les petits-enfants furent emmenés jouer, le fils et sa femme insistèrent pour faire la vaisselle. Anne-Sophie saffala sur le canapé, soulageant ses jambes fatiguées, quand Laurence vint sasseoir à côté delle.

*Tu es épuisée ?* demanda-t-elle, lobservant avec une curiosité inhabituelle.

*Un peu*, avoua Anne-Sophie. *Mais cétait une belle journée.*

*Oui, mon frère a de la chance*, murmura Laurence. *Une si belle famille, une si belle épouse Quarante-trois ans. Pourtant, tout aurait pu être différent.*

Un frisson parcourut Anne-Sophie.

*Quest-ce que tu veux dire ?*

*Rien de grave*, haussa les épaules Laurence. *Juste la vie fait parfois des détours étranges, tu ne trouves pas ?*

Avant quAnne-Sophie ne réponde, Michel les rejoignit, rayonnant davoir bien mangé et bu.

*De quoi chuchotent mes deux femmes préférées ?* plaisanta-t-il en entourant sa sœur dun bras. *Vous complotez contre moi ?*

*Bien sûr que non, Michel*, rétorqua Laurence en lui tapotant la main. *Anne-Sophie et moi évoquions juste notre jeunesse. Nest-ce pas, Anne ?*

Plus tard, alors que la maison retrouvait son calme, Anne-Sophie frappa doucement à la porte de la chambre damis.

*Laurence, tu dors ? Je peux te préparer une tisane ?*

La porte souvrit. *Entre. Pas besoin de tisane, mais jaimerais parler.*

Anne-Sophie sentit une inquiétude sourde lenvahir en pénétrant dans la pièce. Laurence sassit sur le lit et lui désigna une chaise.

*Quelque chose ne va pas ?* demanda Anne-Sophie. *Tu as été étrange, ce soir.*

*Oui*, admit Laurence, les yeux dans les siens. *Il y a trois mois, les médecins mont diagnostiqué un cancer. Stade quatre.*

Anne-Sophie porta une main à sa bouche. *Mon Dieu Pourquoi ne rien dire ? Il faut consulter, essayer des traitements*

*Trop tard*, coupa Laurence. *Six mois, maximum. Ça ma fait réfléchir et me souvenir de choses que javais enfouies.*

*Quelles choses ?*

Laurence se pencha vers elle et murmura :

*Je connais ton secret dil y a trente ans.*

Le sang quitta le visage dAnne-Sophie. Son cœur battit la chamade.

*Quel secret ?* balbutia-t-elle.

*Arrête de feindre*, répliqua Laurence, impassible. *Je sais pour François Lemoine. Cet été en Corse. Ce qui sest passé quand Michel était parti fouiller des mines dans les Alpes.*

*Comment* La voix dAnne-Sophie se brisa.

*Je vous ai vus*, dit simplement Laurence. *Jétais venue en surprise, pour passer quelques jours avec vous. La porte de lappartement était entrouverte. Jai entendu puis vu.*

Anne-Sophie cacha son visage dans ses mains. Ce jour, trente ans plus tôt, quelle avait tenté doublier, lui revint en un éclair. François, lami de Michel, était passé lui rendre un livre. Une bouteille de vin sur la terrasse, le coucher de soleil, les confidences Puis cette passion soudaine, brûlante. Sa seule infidélité en quarante-trois ans de mariage.

*Pourquoi navoir rien dit ?* finit-elle par demander.

*Jai voulu le dire à Michel*, avoua Laurence. *Mais il taimait tant. Et François est parti à Paris juste après Alors jai gardé le silence. Je voyais que tu souffrais.*

*Et maintenant ? Pourquoi aujourdhui ? Tu veux lui avouer avant de ?*

Laurence secoua la tête. *Non. Je suis venue demander pardon.*

*Pardon ? Pour quoi ?*

*Pour ce qui est arrivé après*, murmura Laurence. *Pour ce que tu ignores.*

*Explique-toi.*

Laurence inspira profondément. *Après vous avoir vus, je suis partie à lhôtel. Jétais furieuse. Le lendemain, jy ai croisé François.*

Anne-Sophie se raidit.

*Il était ivre, désespéré. Il parlait de trahison, de remords. Quand jai menacé de tout révéler à Michel, il ma suppliée. Ma offert de largent. Jai refusé. Alors il a proposé autre chose.*

*Quoi ?* chuchota Anne-Sophie, devinant déjà.

*Lui*, répondit Laurence. *Et jai accepté. Une nuit contre son silence. Le matin, il est parti. Pour toujours.*

Anne-Sophie la dévisagea, horrifiée.

*Toi et François ? Mais pourquoi ?*

*Parce que je tai toujours enviée*, avoua Laurence, amère. *Belle, intelligente, adorée de mon frère. Ce jour-là, jai vu que tu nétais pas parfaite. Et jai voulu me sentir supérieure, ne serait-ce quun instant.*

*Mon Dieu*, murmura Anne-Sophie.

*Puis jai découvert que jétais enceinte*, continua Laurence, les yeux brillants. *Jai avorté. Je ne lai dit à personne. Un an plus tard, jai épousé Philippe. Nous avons eu deux enfants. Mais je nai jamais oublié cette nuit.*

Anne-Sophie était sidérée.

*Pourquoi me révéler ça maintenant ?*

*Parce que je vais mourir*, répondit Laurence. *Je ne veux pas partir avec ce poids. Javais besoin que tu saches et peut-être me pardonner.*

Un long silence sinstalla.

*Tu ne diras rien à Michel ?* demanda finalement Anne-Sophie.

*Non. Pourquoi briser ce que vous avez bâti ? Je vois combien il est heureux avec toi. Cest lessentiel.*

Anne-Sophie tendit la main et serra celle de Laurence.

*Merci. Et je suis désolée, Laurence. Pour ta maladie. Pour ces années perdues.*

*Moi aussi*, souffla Laurence. *Mais étrangement, je me sens plus légère.*

Elles parlèrent toute la nuit, évoquant leur jeunesse, leurs rêves, leurs familles. Laurence confia avoir longtemps espéré leur rupture, avant de réaliser, des années plus tard, quelle admirait leur amour intact.

*Cela na pas été facile*, avoua Anne-Sophie. *Ma culpabilité ma suivie chaque jour. Jai essayé de me racheter.*

*Et tu as réussi*, sourit Laurence. *Une nuit na pas effacé quarante-trois ans.*

À laube, Laurence sendormit, épuisée. Anne-Sophie la borda doucement et sortit. Dans le couloir, elle croisa Michel, encore en pyjama.

*Où étais-tu ?* sétonna-t-il.

*Avec Laurence. Nous avons parlé toute la nuit.*

*De quoi donc ?*

Anne-Sophie hésita, puis répondit :

*Du passé. De nos erreurs et du pardon.*

Il sourit, lattirant contre lui. *Alors, on petit-déjeune ? Je fais des crêpes.*

Elle acquiesça, le regardant avec tendresse. Quarante-trois ans. Chaque jour était un cadeau, malgré tout ou peut-être grâce à ça.

Elle jeta un dernier regard vers la chambre de Laurence. Cette femme qui avait été une rivale, une confidente et maintenant, presque une sœur.

*Allons-y*, dit-elle en prenant la main de Michel. *Doucement, Laurence dort.*

Ils avancèrent vers la cuisine, main dans la main : un homme aux cheveux gris en pyjama rayé, et sa femme aux yeux brillants de larmes et despoir. Une nouvelle journée commençait, avec ses joies, ses peines, ses vérités. Une journée à vivre pleinement surtout pour ceux dont le temps était compté.

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