Léna ! Il faut qu’on parle sérieusement…

**Journal dun mari épris dune souris**

*Paris, ce vendredi soir*

« Élodie ! Il faut quon parle sérieusement »

À peine franchi le seuil de notre appartement du 5e arrondissement, encore en manteau et chaussures, jai lâché ces mots comme une déclaration de guerre. Les yeux écarquillés, incapable de retenir mon souffle, jai poursuivi : « Je suis amoureux ! »

*« Tiens, voilà la crise de la quarantaine qui frappe à notre porte »*, a dû penser Élodie, muette, me dévisageant avec une attention quelle ne maccordait plus depuis des années. On dit quavant de mourir, toute sa vie défile sous ses paupières. Pour elle, ce fut notre histoire qui sest mise en mouvement.

Nous nous étions rencontrés sur Meetic, comme tant dautres. Elle avait rogné trois ans à son âge ; moi, ajouté trois centimètres à ma taille. Ainsi, tant bien que mal, nous avions répondu aux critères lun de lautre. Je ne me souviens plus qui avait envoyé le premier message, mais le mien était dépourvu de vulgarité, teinté dautodérision une qualité quelle appréciait. À trente-trois ans, consciente de sa beauté ordinaire, Élodie savait quelle nétait plus au premier rang du marché matrimonial. Pour notre premier rendez-vous, elle avait enfilé une lingerie en dentelle, glissé dans son sac des madeleines maison et un exemplaire de *Madame Bovary*, résolue à jouer la carte de la féminité sophistiquée.

Contre toute attente, la magie avait opéré. Notre idylle, tumultueuse et passionnée, nous avait conduits à lautel en six mois, sous la pression de parents désespérés de voir enfin des petits-enfants. La noce, célébrée dans lintimité à Chantilly, fut approuvée à lunanimité.

Notre vie commune ? Un climat tropical, sans tempêtes majeures, juste quelques averses passagères. Moi, javais rapidement abandonné le costume du « romantique aux mains dor » pour redevenir un homme simple, en jogging, bricoleur du dimanche. Elle, peu à peu, avait lâché son rôle de « séductrice-intellectuelle » après une grossesse qui avait accéléré les choses. Un an plus tard, elle troquait ses talons pour des pantoufles, soulagée.

Malgré ces métamorphoses, personne navait fui. Deux enfants étaient nés, secouant parfois notre barque, mais jamais au point de la faire chavirer. Douze ans plus tard, nous étions toujours là, gravissant lentement les échelons du Crédit Lyonnais et de la SNCF, entre deux weekends en Provence.

Et voilà que, ce soir, je déclare ma flamme pour une souris.

Élodie, peu jalouse de nature, a esquissé un sourire en mimaginant séduire une inconnue. Car, après des tentatives maladroites de compliments au début de notre relation, javais adopté une méthode bien à moi : le silence éloquent, agrémenté dun regard de grenouille hypnotisée. Elle avait appris à décoder mes émotions à la rondeur de mes pupilles de lémerveillement à lindignation totale.

« Alors, comment sappelle ta souris ? » a-t-elle murmuré, la gorge sèche.

Mes yeux ont failli tomber. « Comment as-tu deviné que cétait une souris ? » Balbutiant, jai sorti de ma poche une petite boule grise aux oreilles roses, au nez frémissant. « Regarde comme elle est douce, comme elle te ressemble »

*Morale de ce soir : lamour prend parfois des détours inattendus. Même une souris peut rapprocher deux cœurs.*

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