Il était une fois, dans un petit village près de Lyon, un homme nommé Théo Moreau qui ne demandait plus à sa femme ce quil désirait pour le dîner.
Pourquoi ne me demandes-tu jamais ce que je souhaite manger ce soir ? interrogea Théo en partant travailler un matin. Est-ce que cela ne tintéresse plus ?
Je pensais préparer quelque chose selon mon inspiration, répondit Élodie avec indifférence. Mais si tu préfères, je peux cuisiner un plat précis.
Ce nest pas la question, rétorqua Théo. Il sagit du geste. Est-ce si difficile de demander ? Cela ne te concerne donc plus ?
À vrai dire, non, avoua Élodie, cela ne mintéresse guère. Où est le mystère ?
Ah bon ? sexclama Théo. Nous y voilà. Pourtant, autrefois, tu me le demandais. Cétait donc important avant !
Élodie réfléchit un instant.
« Hum, songea-t-elle. Effectivement, je le faisais avant. Quelle situation embarrassante. Il vaut mieux que je demande, sinon il nen finira pas. »
Que désires-tu pour ce soir ? questionna-t-elle.
Théo esquissa un sourire narquois.
« Elle me fait une faveur, pensa-t-il. Soit. Je ne serai pas trop exigeant. La vie conjugale est une affaire délicate, faite de compromis. Je ferai preuve de mansuétude. Après tout, je ne suis pas un tyran domestique. Il faut savoir pardonner, sinon, comment prétendre à la noblesse dâme ? »
Très bien, concéda-t-il avec magnanimité. Des boulettes de viande.
Lesquelles ? poursuivit Élodie. De porc, dagneau ou de bœuf ? Je pourrais aussi te préparer des croquettes de poisson ?
Tout sauf du poisson ! sécria Théo. Tu te moques de moi ? Tu sais bien que je déteste ça depuis lécole maternelle.
« Encore une gaffe, réalisa Élodie. Pourquoi suis-je si distraite aujourdhui ? Il ma raconté cent fois ces histoires de cantine où il étouffait avec ces croquettes. Une erreur de ma part. Il va men reparler pendant des jours. Ah oui, et noublions pas quil hait aussi la gelée de groseille. »
Et comme accompagnement ? reprit-elle. Des pommes de terre, des pâtes ou du riz ? Peut-être de la semoule ?
Fais-moi des pommes de terre sautées, ordonna Théo. Bien croustillantes, pas molles.
Bien sûr, mon cœur, acquiesça Élodie. Je les ferai dorées à point, ne tinquiète pas.
Je ne minquiète pas, assura Théo avec assurance. Cest à toi de ten soucier.
« Mais pourquoi ai-je dit ça ? regretta-t-il intérieurement. Voulais-je affirmer une supériorité ? Quelle maladresse. Il me reste tant à perfectionner pour atteindre la sagesse. »
Si cela ne tennuie pas, ma chérie, ajouta-t-il dune voix douce pour adoucir latmosphère, prépare aussi une salade de tomates et concombres.
Avec plaisir, mon amour, répondit Élodie avec tendresse.
Et noublie pas lail et laneth, rappela Théo.
Lail et laneth, répéta Élodie en souriant.
Et de la crème fraîche.
De la crème fraîche.
Et saupoudre les pommes de terre daneth et doignon, insista Théo.
Tout sera comme tu le souhaites, mon chéri, promit Élodie.
Sur ces mots, Théo quitta lappartement dun pas léger. Mais durant tout le trajet jusquà son bureau, il ne cessa de songer au comportement étrange de sa femme, sans pourtant en comprendre la cause. Toute la journée, il fut distrait, lesprit obsédé par cette énigme.
« Peu importe, se rassura-t-il. Ce soir, nous en discuterons sérieusement. Peut-être lai-je blessée sans men rendre compte. Il faut régler cela avant quil ne soit trop tard. »
À table, Théo poussa du bout de sa fourchette ses boulettes de viande, ses pommes de terre et sa salade, tandis quÉlodie dévorait avec délectation un poulet rôti, arrosé dune sauce tomate, croquant à chaque bouchée. Elle souriait, lui adressant même des clins dœil complices.
Attends, dit Théo, interloqué. Pourquoi manges-tu du poulet et pas les boulettes ?
Javais simplement envie de poulet ce soir, expliqua Élodie. Quand tu as parlé des boulettes, jai réalisé que je nen voulais pas. Quel délice, ce poulet à lail ! Tu devrais essayer. Quelque chose ne te plaît pas ?
Non, mais Théo était déconcerté. Je croyais que nous mangerions la même chose.
« Pauvre chou, songea Élodie. Il imaginait que je me contenterais de ses boulettes insipides. Quelle drôle didée. »
Désolée, répondit-elle, la bouche pleine. Chacun son plat, non ? Toi, ce que tu aimes, moi, ce que je préfère. Nest-ce pas merveilleux ?
Très amusant, murmura Théo. Puis-je goûter ton poulet ? Tu as lair de tant lapprécier.
Non, refusa Élodie. Je lai préparé juste pour moi. En revanche, toutes les boulettes sont pour toi. Ainsi que la salade et les pommes de terre. Bon appétit, mon amour.
Mais il te reste une cuisse, insista Théo. Je partagerai mes boulettes.
Celle-ci est mienne, déclara Élodie. Je lai réservée. Les boulettes, cest pour toi.
Théo mangea ses boulettes, le regard rivé sur la cuisse croustillante quÉlodie dégustait avec volupté. Chaque bouchée était une torture. Sa propre nourriture lui semblait soudain insipide.
Je lai laissé cuire un peu plus pour que la peau soit bien croustillante, commenta Élodie. Un régal ! Si tu savais.
Jimagine, soupira Théo, achevant sa dernière boulette avec une grimace.
Le lendemain matin, avant de partir, Théo fixa Élodie avec attention.
Que veux-tu pour ce soir, mon chéri ? demanda-t-elle.
Du poulet rôti, annonça-t-il fermement. Jen ai rêvé toute la nuit. Prépare-le exactement comme le tien. Sans accompagnement, juste la sauce tomate.
Comme tu voudras, mon amour, acquiesça Élodie.
Ce soir-là, Théo mangea son poulet sans enthousiasme, tandis quÉlodie se régalait dun ragoût dagneau.
Cest bien meilleur brûlant, sexclama-t-elle. Jen mangerais tous les jours. Un souvenir denfance.
Toute la semaine, Théo subit les fantaisies culinaires dÉlodie. Un soir, ce fut la friture de petits poissons qui lacheva.
Jen veux aussi, geignit-il.
Pourquoi ne las-tu pas dit ce matin ? sétonna Élodie. Jai préparé des côtelettes pour rien.
Comment aurais-je pu deviner ? rétorqua Théo. Un indice aurait été bienvenu.
Je ne savais pas moi-même ce dont jaurais envie, répliqua Élodie.
Donne-men un peu, supplia-t-il.
Hors de question, trancha-t-elle. Et moi







