Lorsque jai épousé Théo, je savais quil avait une enfant dun premier amour. Aurélie, son ancienne compagne, avait quitté la petite six ans plus tôt elle avait pris ses valises et filé en Suisse avec un nouvel amant, recommençant tout ailleurs. Depuis, elle a eu deux autres bébés, elle appelle son aînée une fois par semaine en vidéo, et les cadeaux narrivent quà Noël. Je voyais cette gamine languir après sa mère, collée à lécran de son portable, espérant quelle murmurerait : « Viens chez moi. » Mais jamais elle ne la demandé, jamais elle nest venue. Elle la effacée, comme une vieille photo jaunie.
Au début, la petite vivait chez ma belle-mère, la mère de Théo. Mais elle sest vite épuisée, submergée par les leçons, les caprices, les larmes. Elle a simplement rendu lenfant à son père. Théo la ramenée à la maison, ma fixée droit dans les yeux et a chuchoté : « Lucie reste avec nous. Pour de bon. »
Jai vraiment tenté dêtre une bonne marâtre. Jachetais des robes, préparais ses desserts préférés, la conduisais au collège, parlais sous la couette. Je voulais devenir une copine. Mais elle sest murée. Comme si une vitre sétait glissée entre nous, sans une brèche. Elle ne mévitait pas elle me faisait sentir que, dans son univers, je nétais quun fantôme.
Trois ans ont filé. Aujourdhui, cette gamine a treize ans. Et elle trône toujours chez nous, donnant des ordres comme si cétait son royaume et non le nôtre. Tous les soirs, elle chuchote à son père : « Tatie Mathilde ma obligée à plier mes affaires », « Tatie Mathilde a oublié mes bonbons. » Puis ma belle-mère mappelle pour me reprocher de « négliger cette pauvre chérie » et que « moi aussi, jaurai bientôt mon bébé, alors il faudrait apprendre à être mère. » Mais elle-même refuse de garder sa petite-fille, ne serait-ce quune heure, quand jai une urgence chez le dentiste ou au bureau.
Je suis vidée. Je travaille, je gère la maison, je cuisine, et maintenant, je porte un enfant. Théo, bien quil ne prenne pas le parti de sa fille, me demande quand même dêtre plus tendre, plus patiente. Mais je nen peux plus. Cette gamine est devenue une épine. Elle est désordonnée, insolente, oublie les mercis, nécoute rien et boude sans cesse. Elle nest pas la mienne, et je ne me le cache même plus.
Parfois, la nuit, assise dans la cuisine, je pense : « Si seulement javais refusé quelle sinstalle ici Si javais tenu bon » Mais cest trop tard. Je ne peux pas quitter Théo nous allons avoir un enfant. Et, aussi cruel que ça sonne, je rêve de plus en plus que sa fille veuille retourner chez sa grand-mère. Quelle dise : « Je préfère vivre avec mémé. » Je ne la supplierai pas de rester. Je ne verserai même pas une larme.
Je veux juste respirer. Sans reproches, sans me battre pour ma place sous ce toit. Je veux que mon enfant grandisse dans la douceur, pas dans les cris. Peut-être que cest ma seule chance de sauver cette famille sans moublier moi-même.







