Ils avaient soigneusement caché leur nouvelle maison de campagne à la famille. Tout devait être en ordre sans tarder. Prendre les pelles et commencer à creuser dans le jardin. Ils ne viendraient plus.
Un coup de téléphone brisa le silence matinal si brusquement que Élodie sursauta. L’écran affichait : « Tante Colette ».
« Élodie, ma chérie ! » Une voix enthousiaste retentit au bout du fil. « Devine quoi, nous arrivons à ta maison de campagne ! »
Sa tasse de café resta suspendue en l’air. Tante Colette était celle qui avait « passé quelques jours » dans leur nouvel appartement pendant trois mois pendant qu’elle retapait le sien. Ces trois mois interminables avaient été remplis de questions incessantes : « Pourquoi tu n’as pas ça ? » ou « Pourquoi cest arrangé comme ça ? » sans oublier ses remarques préférées sur « de mon temps ».
« Comment vous venez ? Qui est-ce «vous» ? » parvint à articuler Élodie.
« On vient avec les filles ! Pour se reposer une semaine », répondit la tante, tandis quon entendait des rires et le tintement de bouteilles. « Quel est le problème ? On est famille ! »
Le mot « famille » était pour Tante Colette une clé magique, capable douvrir toutes les portes. Après lépisode de lappartement, Élodie et Julien avaient décidé de ne rien dire à la famille au sujet de la maison de campagne. Mais quelquun de confiance avait dû parler et même donner ladresse.
« Tante Colette, ce nest pas possible », essaya de protester Élodie, en sefforçant de garder une voix calme.
« On est déjà dans le train ! » linterrompit joyeusement sa tante. « On arrive bientôt ! »
Une série de bip mit fin à la conversation. Élodie sentit son cœur semballer. Elle composa le numéro de son mari :
« Julien, Tante Colette et les filles débarquent. »
« Mon Dieu, encore », soupira-t-il. « Tu ne peux pas ne pas ouvrir ? »
« Elles ne partiront pas comme ça », répliqua Élodie en jouant nerveusement avec le bord de son tablier. « Elles resteront devant le portail, à nous humilier devant les voisins. Tu te souviens de lappartement ? «Ma nièce préférée a jeté sa tante à la rue !» »
À lheure du déjeuner, Tante Colette et ses acolytes trois cousines dâge moyen avaient déjà envahi la cuisine. La véranda, où Élodie avait savouré sa tranquillité ce matin, était encombrée de valises étrangères. Le frigo débordait non seulement de confitures maison, mais aussi de provisions qui nétaient pas les leurs, et des bouteilles de vin soigneusement alignées.
« Élodie, où sont tes serviettes ? » cria la cousine du milieu, Sophie, depuis la salle de bains.
« Et apporte du papier toilette ! » ajouta la plus jeune, Camille.
« Et ton shampoing est bizarre », critiqua laînée, Amandine, en reniflant le flacon à la lavande. « Trouve-moi un truc normal ! »
Élodie serra les poings si fort que ses ongles senfoncèrent dans ses paumes. Son shampoing était exactement comme elle le voulait personnel, unique, pas destiné à une horde dinvités. Il était temps dapprendre à dire « non », même à la famille.
« Et je vois que vous vivez bien ici ! » déclara Tante Colette en sinstallant confortablement dans le fauteuil en osier quÉlodie et Julien avaient ramené dItalie. « Le terrain est spacieux, vous avez un sauna Pourquoi ne pas nous en avoir parlé ? On est famille quand même ! »
« Justement à cause de ça », murmura Élodie, une émotion contenue dans sa voix.
« Quoi-quoi ? » fit Tante Colette en portant la main à son oreille. « Je nai pas bien entendu ! »
« Justement à cause de ça ! » La voix dÉlodie séleva soudain. « Parce que vous êtes exactement le genre de famille qui croit pouvoir débarquer, tout envahir et utiliser ce qui nous appartient ! »
« Élodie ! » Tante Colette se redressa comme pour se défendre. « Comment oses-tu »
« Comme ça ! » Quelque chose de brûlant, longtemps contenu, montait en Élodie. « Tu te souviens de lappartement ? «Oh, je reste juste une semaine !» et ça a duré trois mois ! Et tous les jours, cétait critiques et conseils sur comment vivre, quoi changer »
À ce moment, les « filles » apparurent dans lencadrement de la porte certaines avec des serviettes, dautres avec des verres à vin observant la scène avec perplexité.
« Et de toute façon, nous partons bientôt en vacances », essaya de dire Élodie calmement, bien que sa voix tremblât. « Nous avons déjà les billets de train. »
« Oh, ne tinquiète pas, on se débrouillera ! » Tante Colette fit un geste désinvolte en se rasseyant. « Pars en vacances tranquillement ! »
« Non », répondit Élodie, sentant ses genoux trembler mais gardant la voix ferme. « Vous ne restez pas ici. Ni maintenant, ni pour une semaine. Cest notre maison, et nous voulons être seuls. »
Tante Colette sembla ne pas avoir entendu ou feignit de ne pas comprendre.
Ils tinrent trois jours. Trois jours interminables dhospitalité forcée. Le matin des voix inconnues dans la cuisine ; laprès-midi des remarques sans fin : « Pourquoi cest comme ça chez toi ? » ou « Chez les autres, cest totalement différent » Le soir, les chansons à la guitare duraient jusquà minuit, ignorant les voisins dérangés. Les pétunias dÉlodie faillirent faner faute darrosage. Les jouets de Clara disparurent de la véranda « ils gênent pour se détendre ». Le chat préféra même se réfugier chez les voisins pour échapper au bruit.
Mais le quatrième matin
« Tante Colette », annonça fermement Élodie en posant les valises devant ses invitées. « Aujourdhui, il faut que vous partiez. »
« Comment ça «il faut» ? » rétorqua la tante, sécartant de son verre de vin. « On avait dit une semaine. »
« Non », secoua la tête Élodie. « Nous navons rien dit du tout. Vous avez décidé pour nous. Comme pour lappartement. Mais maintenant, ça suffit. Nos billets sont pour demain, et nous avons encore à préparer. »
« Comment oses-tu ?! » sindigna Amandine en se levant. « Nous »
« La famille, je sais », coupa Élodie avec un sourire triste. « Mais être famille nest pas une raison pour simposer. Vous navez même pas demandé si cétait possible. Vous êtes juste arrivées et »
« Et alors ? » ricana Sophie. « Une petite visite, ce nest rien ! »
« Une petite visite ? » Élodie sentit la colère bouillonner en elle. « Vous nêtes pas des invitées, vous avez occupé notre maison. Vous donnez des ordres, critiquez, changez lagencement Tu sais combien de fois jai pleuré dans cet appartement pendant ces trois mois ? »
Tante Colette resta immobile, son verre à la main :
« Élodie, nous ne voulions pas de mal »
Élodie se souvint de ce moment comme si cétait hier. Le coup à la porte, Tante Colette en larmes sur le seuil : « Élodie, ma chérie, jai des travaux ! Juste une semaine ! » Cette







