**Lex est venue parler**
Quand Aurélie sest mariée, elle avait vingt-cinq ans. Ce nétait plus une jeune fille naïve rêvant dun prince charmant : elle gagnait bien sa vie, avait un appartement hérité de sa grand-mère et savait exactement ce quelle voulait.
Pour elle, le mariage, cétait lhonnêteté, le soutien, le « partage à parts égales » et, bien sûr, lamour. Pour la vie.
Et Théo était de ceux dont on ne peut que tomber amoureux. Intelligent, calme, bien élevé. Il tenait toujours parole, ne mentait pas, ne haussait jamais la voix. Avec lui, cétait le calme. Un peu trop, peut-être.
Ils ont vécu ensemble presque huit ans. Un fils est né, Baptiste.
Et puis, sans raison apparente, tout sest effrité. Les factures qui saccumulaient, la fatigue chronique, les non-dits, la froideur entre eux, et enfin le silence.
Ils ne se sont pas trompés, ne se sont pas disputés, ne se sont pas lancés dans des drames inutiles.
Ils ont juste cessé dêtre un. Une famille.
Quand Théo a annoncé quil partait, Aurélie na pas pleuré. Elle a juste soupiré :
Où ?
Il a haussé les épaules.
Étonnamment, elle na pas ressenti de colère. De la fatigue, oui. Du vide, oui. Mais pas de rancœur. Même pas de rage. Juste une indifférence totale.
***
Trois mois plus tard, Théo sest remarié avec une collègue. Sans faste, mais officiellement.
Aurélie a été surprise, mais na pas fait dhistoires, na pas harcelé pour la pension alimentaire.
Et il faut dire que Théo a été correct. Largent arrivait sans rappel.
Il voyait Baptiste non seulement le week-end : il le récupérait en semaine, laidait pour ses devoirs, allait aux spectacles de lécole, faisait du vélo avec lui au parc.
Aurélie appréciait ça, alors elle a agi en adulte.
Quand elle voyait Théo, elle parlait calmement, sans reproches, allait avec lui aux réunions parents-profs.
Les années ont passé.
Elle avait son travail, ses amies, sa stabilité.
Théo était heureux dans son nouveau mariage.
Baptiste grandissait sans poser de problèmes.
***
Un soir, il a demandé, un peu nerveux :
Maman, je peux aller vivre un peu chez Papa ? Ils ont un chat Papa et tante Sophie me proposent depuis longtemps.
Le cœur dAurélie sest serré, mais elle a souri, caressé les cheveux de son fils et la laissé partir.
***
Les premiers jours, ils sappelaient, échangeaient des messages. Il envoyait des photos du chat, disait que Papa faisait de bonnes crêpes et que Sophie le laissait jouer sur la tablette jusquà 21h.
Aurélie likait, répondait « Bravo ! » et ajoutait, par précaution : « Noublie pas de te brosser les dents ».
Puis plus rien.
Deux jours sans nouvelles. Dabord, elle a pensé quil était juste occupé. Nouveau lieu, nouvelles excitations. Mais le troisième jour, linquiétude a pointé.
Théo non plus nécrivait pas. Dhabitude, il envoyait un « Tout va bien, il dort » ou « Je lai récupéré à lécole ». Là, silence.
Aurélie savait quil ny avait pas de drame. Mais elle sennuyait.
Et elle était en colère.
Pas contre son fils. Contre elle-même. Pour ce vide dans lappartement. Pour lavoir laissé partir. Pour cette autre femme qui fait maintenant sa soupe, lui dit « Bonne nuit » et « Bonjour ».
Et puis, il avait oublié ses affaires. Son pyjama, ses chaussons, son livre préféré sur les chevaliers.
Cest avec ça pyjama, livre et chaussons quelle est partie.
Chez eux
***
Elle sest arrêtée devant la porte.
Le sac serré dans ses mains, comme si cétait son dernier rempart.
Son cœur battait à tout rompre
Enfin, elle a sonné.
Le loquet a cliqué.
La porte sest ouverte.
Sur le seuil, une femme visiblement plus âgée quAurélie, un peu plus grande, mince, avec un visage doux, comme éclairé de lintérieur. Sans maquillage. Un pull gris trop large. Les cheveux en chignon maladroit, quelques mèches échappées.
Pas une beauté.
Pas tape-à-lœil.
Mais chaleureuse. Calme. Rassurante
« Cest elle ? », sest demandé Aurélie, perplexe. « Celle avec qui Théo a refait sa vie si vite ? »
Bonjour, a murmuré la femme dune voix douce et rauque. Vous êtes Aurélie ?
Aurélie a hoché la tête.
Jai apporté des affaires à Baptiste. Il a oublié.
Elle a tendu le sac et, sans le vouloir, cherché dans les yeux de cette femme une trace de gêne.
Mais son regard était tranquille. Serein.
« Pourquoi sest-il remarié si vite avec elle ? Qua-t-elle de plus ? »
Entrez, a dit Sophie en seffaçant.
Merci. Je ne resterai pas longtemps.
Baptiste nest pas là, a ajouté Sophie, presque désolée. Il est chez sa grand-mère.
Je sais, a répondu Aurélie. Et je ne suis pas venue pour lui.
Je vous fais un thé ?
Avec plaisir
La cuisine était simple : nappe claire, cuisinière, bouilloire déjà en train de siffler comme si Sophie lavait préparée davance.
Sucre ? a demandé Sophie en sortant les tasses.
Non, merci. Sans
Un silence.
Baptiste ma dit que vous aviez un chat, a lancé Aurélie, ne sachant comment aborder le vrai sujet.
Oui, il ne le lâche pas, a souri Sophie. Mistigri est capricieuse. Elle naime pas tout le monde. Mais elle la tout de suite adopté. Il est gentil, votre fils.
Merci, a murmuré Aurélie en baissant les yeux. Baptiste dit du bien de vous aussi. Javais peur que ça ne se passe pas bien.
Inutile de vous inquiéter. Il est comme chez lui ici. Parfois, jai même peur que vous pensiez que je veux vous le voler.
Aurélie a esquissé un sourire :
Le voler ? Il nest pas un objet. Sil est heureux je suis contente.
Vous connaissez Théo depuis longtemps ? a-t-elle demandé, comme en passant.
Oui, a répondu Sophie calmement. On a travaillé ensemble autrefois.
Aurélie a levé un sourcil, surprise.
Non, non, a enchaîné Sophie, devinant sa pensée. Il ny a jamais eu rien entre nous. Il était marié. Et pour moi, cétait inconcevable. Même en pensée. On sentendait juste bien. Cétait simple, naturel.
Aurélie écoutait chaque mot.
Quand vous avez divorcé, a repris Sophie. Il ma appelée un jour. Juste pour parler. Il avait besoin, et jétais là.
Elle a bu une gorgée et regardé Aurélie droit dans les yeux.
Et là, quelque chose sest passé. Brusquement. Ça arrive comme ça. Un jour, paf ! Tu réalises : cest ça. Et tout change autour de toi
Aurélie est restée silencieuse. Calme en apparence. Seule
