Quand l’heure est venue….

Quand le moment est venu…

Début des années 90. Je vivais et travaillais en Belgique. Une vie paisible et bien réglée dans ce petit pays européen semblait déjà toute tracée. Mais le monde changeait, les frontières souvraient, les murs tombaient. Et soudain, une offre à laquelle il était difficile de résister : Paris. Un nouveau projet. Des perspectives

Je travaillais sur ma thèse en ingénierie médicale : nous concevions des modèles dappareils capables de détecter les biopotentiels du corps, « découter » le cœur et le cerveau sans incisions ni aiguilles. Lavenir de la médecine était à portée de main.

Et voilà que cette opportunité se présentait. Mais pour cela, il fallait déménager. Jai longtemps hésité avant den parler à maman.

Elle était assise un soir dans la cuisine, dans son vieux fauteuil, faisant tranquillement glisser son chapelet entre ses doigts. Jai pris mon courage à deux mains.

Maman je dois te dire quelque chose On ma proposé un travail. À Paris

Elle a levé les yeux vers moi profonds, clairs, mais avec une ombre de fatigue.

Cest loin, ma petite. Il ny avait aucun reproche dans sa voix, seulement une douleur discrète.

Cest une chance Je pourrai finir ma thèse, travailler avec des gens qui comprennent ce domaine

Maman est restée silencieuse. Seules ses lèvres ont tremblé. Et soudain, des larmes ont perlé au coin de ses yeux. Jai été saisie : de toute ma vie, je ne lavais jamais vue pleurer.

Tu partiras, et moi ? a-t-elle murmuré à peine audible. Jai déjà 79 ans, mes forces déclinent.

Je me suis blottie contre sa main.

Maman Je ne tabandonnerai pas. Mais je dois aussi penser à lavenir

Elle ma regardée avec gravité, presque sévèrement :

Souviens-toi, ma petite. Rien narrive pour rien. Si le Bon Dieu touvre la route, tu partiras. Et sinon cest quIl veut que tu restes près de moi.

À partir de ce moment, détranges obstacles ont commencé à se dresser.

Dabord, on ma refusé un congé académique : « Votre soutenance ne peut être reportée ». Je suis rentrée chez moi en larmes.

Encore un refus ? a demandé ma sœur en me voyant dans lentrée.

Oui ! Jai jeté mon sac sur une chaise. Je ne comprends pas pourquoi ! Tout pourrait sarranger, jen ai parlé au professeur

Ma sœur ma serré les épaules.

Et si cétait un signe ?

Jai haussé les épaules :

Un signe Quelle bêtise ! Ce ne sont que des papiers !

Mais mon cœur sest serré.

Quand enfin les documents ont été en ordre, une nouvelle épreuve est survenue : un refus de visa. Le fonctionnaire a déclaré sèchement : « Il manque une attestation ».

Je suis sortie dans la rue, le dossier tremblant dans mes mains. Javais envie de crier.

Mon Dieu, pourquoi ?! ai-je murmuré.

Et à la maison, maman se sentait de plus en plus faible. Elle était fatiguée même après une courte promenade.

Maman, veux-tu quon appelle un médecin ? ai-je demandé prudemment.

Elle a souri.

Ce nest pas la peine. Je sens bien ce qui se passe.

La nuit, je veillais près de son lit. Elle a pris ma main.

Ma petite, ne te tourmente pas. Tu auras le temps. Mais là, jai besoin de toi.

Jai pressé sa paume contre mon visage.

Maman, je reste.

Elle a regardé au loin, comme si elle voyait quelque chose qui méchappait.

Tu resteras. Parce que le Bon Dieu la voulu ainsi.

Quelques jours plus tard, elle nous a quittés.

La maison est tombée dans un silence pesant. On aurait dit que les murs eux-mêmes pleuraient.

Je restais assise près de la fenêtre, tandis que les bougies brûlaient et que les gens chuchotaient dans le couloir.

Et cest à ce moment-là que le téléphone a sonné. Une voix de lambassade :

Vos documents sont prêts. Toutes les signatures sont apposées. Vous pouvez venir.

Jai raccroché, le souffle coupé. Deux jours plus tôt, tout semblait perdu. Et maintenant, tout était réglé.

Je pleurais, et je comprenais : ce nétait pas un hasard. Je devais rester. Je devais être là. Accompagner maman une dernière fois.

Ce nest quaprès cela que la route sest ouverte.

Aujourdhui, en y repensant, jentends clairement sa voix :

Si le Bon Dieu touvre la route, tu partiras.

Et Il la ouverte. Mais seulement lorsquelle me regardait déjà depuis le ciel.

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