Marions-nous, mon amour

Oh, tu sais, cétait un dimanche, le genre de jour où on traîne au lit sans culpabiliser. Personne pour préparer le petit-déjeuner, aucun plan en vue. Après quelques heures à somnoler, Aurélie a fini par se lever, a pris une douche et a bu un café. Et après ? Comment tuer le temps ? Ses copines étaient trop occupées avec leurs maris et leurs enfants. Aller voir ses parents ? Sa mère lui resservirait la même rengaine : quelle erreur elle avait faite.

Une mélancolie sourde sest installée. Aurélie savait bien quelle avait eu tort de divorcer, mais cétait comme éteindre un incendie quand la maison est déjà en cendres. Au fond, Fabien nétait pas un si mauvais mari. Il ne buvait pas, ne la trompait pas, mangeait nimporte quoi sans râler. Elle aurait pu lui servir des pâtes froides, il naurait même pas relevé, trop absorbé par son ordinateur.

Il travaillait jusquau bout de la nuit, dormait jusquà midi. Le faire sortir était mission impossible : il sennuyait en société, sendormait au cinéma, ne rêvait que de rentrer pour se coller devant son écran.

Quand il allait se coucher, cétait lheure pour Aurélie de partir au travail. Et quand ils partageaient le lit, Fabien faisait lamour comme une course de cent mètres. En trois ans de mariage, jamais elle nétait tombée enceinte, alors quils étaient tous les deux en parfaite santé.

Labsence denfant nétait pas la seule raison de leur divorce. Elle en avait marre de parler à son dos voûté. Elle voyait plus souvent sa nuque que son visage. Comment vivre avec le dos de quelquun ? Autant adopter un chat : elle laurait nourri, nettoyé sa litière, et à la place des « mmh » de Fabien, elle aurait eu des ronronnements. La différence était mince, mais au moins, le chat lui aurait montré plus daffection.

Mais pour sa mère, être mariée, même mal mariée, valait mieux quêtre célibataire.

« Des milliers de femmes tenvieraient. Et toi, tu te plains. Quest-ce quil te faut ? » lui lançait sa grand-mère.

Personne ne comprenait son choix, pas même ses amies. Elles avaient des maris normaux, avec un boulot stable, des nuits partagées, des enfants sans problème. Elles se disputaient, se réconciliaient, sinquiétaient quand leur homme buvait un verre de trop, et le soignaient avec un remède de grand-mère le lendemain.

Aurélie et Fabien sétaient connus au lycée, onze ans plus tôt. Cétait un vrai intello, toujours le nez dans un livre. Plus tard, il sétait passionné pour linformatique. Aurélie et ses copines se moquaient de ce garçon maladroit avec ses lunettes. Quand il parlait ordinateurs avec les autres, cétait comme sil sexprimait dans une langue étrangère.

Ils sétaient retrouvés par hasard, quelques années après le bac. Fabien avait changé : plus de lunettes, des lentilles, un look soigné. Il était cultivé, intéressant à écouter. Et Aurélie savait écouter. Ils avaient commencé à sortir ensemble. Trois semaines plus tard, il lui avait fait une proposition maladroite, presque banale.

« Écoute, on traîne comme des ados. Pourquoi on ne se marie pas ? »

« Pourquoi pas ? » avait-elle répondu en riant.

« Maman, il est intelligent, cest passionnant », avait-elle expliqué en annonçant ses fiançailles.

« Mais est-ce que tu laimes ? » avait demandé sa mère.

La question lavait surprise. Ils se connaissaient depuis longtemps, il était captivant mais lamour ? Ils nen parlaient jamais. Aurélie pensait que si quelquun te demandait en mariage, cétait par amour. Non ? Leur union ressemblait à une amitié, à ceci près quils partageaient le même lit.

Sa mère naimait pas Fabien, trouvait son choix incompréhensible, mais la nouvelle du divorce lavait scandalisée.

« Tu es folle ? Il ne boit pas, il reste à la maison, il gagne bien sa vie, et toi tu veux le quitter ? Où tu vas en trouver un comme ça ? Ce nétait pas le pire. Tu naurais pas dû te marier. Tu tennuies, cest tout. Si tu avais eu un enfant, tu ne tennuierais pas. On naura jamais de petits-enfants, cest ça ? »

Aurélie navait rien répondu. Elle aurait bien eu un enfant, si seulement Toujours ces « si seulement ».

Fabien avait été sincèrement surpris quand elle avait parlé de divorce. Mais il navait pas discuté, avait pris ses affaires et était parti chez sa mère. Celle-ci avait aussitôt appelé pour cracher son venin sur cette « idiote capricieuse ». Aurélie avait raccroché sans écouter jusquau bout. Le divorce avait été rapide : pas denfant, et elle lui avait laissé son ordinateur sans regret.

Dabord, elle avait respiré, soulagée. Puis la tristesse était revenue. Lautomne sinstallait, elle navait plus envie de sortir, et lappartement lui pesait. Un long hiver solitaire lattendait. Elle sennuyait de Fabien. Après tout, cétait un être humain, quelquun à qui sattacher. Mais à quoi bon se ronger les sangs ?

Sa mère lui proposait des rencontres, mais Aurélie refusait.

Elle nétait pas la seule dans cette situation. Les divorces sont courants, on passe par une phase de blues, puis on rencontre quelquun, et la vie reprend, meilleure quavant. Sauf quil faut sortir pour ça

Une amie lavait inscrite sur un site de rencontres. Elle lavait forcée à poser devant son téléphone, à sourire de manière « sexy ». Comme si Aurélie savait ce quétait un sourire sexy. Elle navait personne pour le pratiquer. Sur le moment, elle avait trouvé ça drôle, peut-être une façon de rendre Fabien jaloux.

Un soir, Aurélie sest installée sur le canapé avec son ordinateur et a consulté le site, juste par curiosité. Tant dhommes cherchent lamour. Beaux, moins beaux, jeunes, moins jeunes, il y en avait pour tous les goûts.

Elle a lu les profils des femmes. Toutes se décrivaient comme des fées du logis, des cordons-bleus, avec un travail prestigieux, un appartement, mais pas damour.

Et elle ? Aucun talent particulier. Pas douée pour la couture, pas sportive. Elle a longtemps cherché quoi écrire sur son profil, puis sest souvenue que Fabien aimait quand elle lécoutait. Les hommes adorent parler, raconter des histoires, et encore plus quand on les écoute. Elle a donc écrit : « Je sais écouter. »

Les demandes ont afflué. Des beaux gosses, tous plus charmants les uns que les autres. Pourquoi étaient-ils sur un site de rencontres ? Ils ne devaient pas avoir de mal à séduire. Lun deux, avec une barbe de trois jours et un regard perçant, la intriguée.

Après une heure de discussion animée, il a proposé de se voir.

« Je ne pense pas quil faille se précipiter », a répondu Aurélie, prudente.

« Pourquoi attendre ? Autant savoir tout de suite », a-t-il répliqué.

Son prénom, Nicolas, était sans doute faux, comme sa photo. Pourtant, son argument la convaincue. Ils ont convenu dun rendez-vous, heureusement dans la même ville.

« On se voit ce soir ? Tu es libre ? » a-t-il écrit. Elle létait. « Alors dans une heure, au Café des Arts.

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