Je reviens raconter comment, après nos séparations, Claire et Benoît ont retrouvé leurs racines dans le petit hameau de SaintCyr, là où leurs parents les avaient accueillis. Dès leur première rencontre sous le toit familial, une étincelle a jailli, rappelant les souvenirs denfance et les années décole, et ils ont décidé de sy installer pour de bon, loin des villes qui les avaient éloignés.
Les parents étaient ravis. La ferme de Benoît, vaste et aérée, attendait dêtre animée: «Travaille, mais ne te laisse pas aller», lui disait son père. Tous deux avaient cinquante ans, leurs enfants déjà grands, leurs propres parents toujours en forme, et la seule activité viable du village était lagriculture.
Ils ont donc résolu délever des chèvres. Pour cela, il a fallu agrandir la cour intérieure et louer un pâturage. Benoît sest montré déterminé, ce qui a enchanté Claire. Les parents ont apporté leur aide, tant en argent quen maindœuvre, et très vite la petite exploitation a commencé à générer des revenus. Le travail était abondant, et les voisins, un couple dâge quaranteans, ont proposé leur soutien: les femmes soccupaient du lait et des chevreaux, les hommes menaient les troupeaux, veillaient à la santé des animaux, à la propreté des enclos et tenaient le registre dalimentation.
Le grandpère Étienne, père de Benoît, était le gardien du hangar à machines où subsistaient, depuis les années du collectivisme, un petit tracteur, une tondeuse, ainsi que divers outils: scie à chaîne, ponceuse, etc. La mère de Benoît, MarieAnne, malgré leurs soixantedix ans, continuait à préparer les repas pour la foule de travailleurs et douvriers qui arrivaient à midi.
Les sons longtemps oubliés du village résonnaient de nouveau: le bêlement des chèvres, le chant du coq, le gloussement des poulesla vraie «musique» de la ferme. Un jour, la doyenne du hameau, Augustine Lefèvre, est venue voir Claire et lui a demandé à rejoindre la communauté.
Comment? Je ne comprends pas, Augustine vous marchez encore avec tant dénergie?
Ma fille vit à Lyon, mais je nai jamais vraiment quitté ce coin. Maintenant que le village sanime, je ne veux plus partir. Accueillezmoi dans votre équipe; je peux mettre une partie de ma pension à contribution, mais surtout, je veux être parmi vous, sentir votre joie!
Claire, émue, a accepté.
Depuis, Augustine vient déjeuner chaque jour, toujours élégamment vêtue dune robe en laine soigneusement repassée, dun col en dentelle blanche et dun foulard dargent, ses bottines vernies brillant sous le soleil. La cuisinière, Madame MarieAnne, sétonna :
Mais doù vient une telle dame?
Claire, les yeux remplis de tendresse, la conduisit à la table.
Autrefois enseignante de littérature, Augustine dirigeait la petite bibliothèque du village pendant des décennies, quand celuici comptait encore une école, un club et un magasin. Au début, elle était si émue de retrouver la communauté quelle mangeait à peine, ajustant sans cesse son col, observant la vaisselle et le décor. MarieAnne linvita à aider à la plonge, et Augustine, malgré son âge, sappliqua avec entrain.
Un matin, Augustine arriva avec un sac plein de nouvelles tentures. Elle les déroula, offrant à la salle à manger un souffle de fraîcheur. Plus tard, elle offrit une partie de sa vaisselle, quelle nutilisait que pour les fêtes autrefois.
Pourquoi garder tout cela dans un placard? Ici, chaque jour est une fête, répondit Claire, souriante.
Les parents de Claire participèrent aux grands travaux de nettoyage, entre la salle à manger, la nouvelle fromagerie et les potagers. Mais cest la détermination dAugustine qui marqua le plus les habitants: elle sortit de ses coffres des nappes brodées, des serviettes de lin, des tapis colorés faits main, destinés à couvrir les longues bancs.
Une telle beauté au sol! Je la garderai au musée, déclara Claire, mais nous pourrons nous asseoir dessus!
Peu à peu, la ferme commençait à être rentable. Chaque weekend, Benoît et son père se rendaient au marché de la ville voisine, où leurs clients fidèles attendaient déjà leurs fromages et leurs légumes.
Grâce à Augustine et à MarieAnne, le «restaurant» du village se transformait. On décida de fabriquer du mobilier rustique: grandes tables et bancs à lancienne. Augustine apporta ses broderies, ses dentelles, ses torchons, ses petites casseroles. Les villageois dénichèrent des vieux fer à repasser, des bouilloires, des théières, des marmites et même des rouets de filature.
Un jour, pendant le repas collectif, Claire lança:
Pensezvous que les citadins aimeraient venir déjeuner chez nous?
Tous acquiescèrent. Avec Augustine et MarieAnne, ils élaborèrent un menu typique: potage de chou, soupe aux champignons, bouillabaisse de poisson deau douce, pommes de terre rôties au four, choux farcis, raviolis, gratins, choucroute aux airelles, côtelettes accompagnées dun millet, tourtes à la salade le tout à la façon de SaintCyr.
Le village, situé près de la route nationale, devint rapidement connu sans même publicité. Les citadins affluaient, laissant des dons volontaires pour soutenir la ferme. Le paiement se faisait au gré de leurs moyens, chacun aidant à sa façon.
Les tartes dAugustine devinrent la spécialité la plus prisée. Elle racontait, les larmes aux yeux, comment sa mère faisait du pain et des pâtisseries chaque jour, transmettant les traditions du hameau.
La rumeur de la renaissance de SaintCyr se répandit dans toute la région. Quand le nombre dinvités augmenta, on décida dagrandir le restaurant: une seconde aile fut ajoutée, avec un grand poêle à bois, de larges fenêtres et un beau porche. Les encadrements de fenêtres furent sculptés à la main, rappelant le style dAugustine.
Dans laile dorigine, on créa une petite salle dexposition. Avec les professeurs de lécole du village, Augustine rassembla des objets du quotidien, des photos, des décorations de la Grande Guerre et des trophées de laprèsguerre.
Quel bel ouvrage nous avons accompli, sexclama Augustine, maintenant je peux partir en paix
Pas question! répliquèrent Benoît et Claire, qui rirent: qui dautre guidera les visiteurs?
Aujourdhui, la communauté vit comme une grande famille: les anciens de SaintCyr, les jeunes agriculteurs, les visiteurs de passage. Le hameau ne grossit pas à la vitesse espérée, mais grâce aux convives, il reste toujours animé de discussions chaleureuses, de sourires et de travail partagé. Tout a commencé par le simple désir de vivre de la terre.







