Tu voulais juste me contrôler : le dernier chantage d’Antoine, ou comment Irina a refusé de sacrifier son bonheur et celui de sa fille pour une simple guirlande de Noël

13 décembre

Alors, tu as retourné ta veste sur la séparation ? Tu reviens penaude, la tête basse ?

Un rictus acide me traverse alors que le téléphone colle à mon oreille. Le dehors sétire, un ciel détain, uniforme, sans relief. Dans la cour, des enfants hurlent, filant sur des luges imaginaires, traînées de couleurs vives sur la neige sale.

Continue de rêver, Laurent. Je tappelle pour autre chose.

Le silence sétale, épais, comme une brume. Je le devine, sourcils froncés, cherchant la faille, pourquoi jai osé composer son numéro. Depuis mon exil, trois mois déjà, Camille et moi, on ne parle à Laurent que pour lessentiel : procédures, comptes, pension. Tout est froid, mécanique, sans chair.

Noël approche, je souffle, la voix lisse, sans contours. Camille réclame le sapin.
Achète-lui en un.
Elle veut celui de lan passé. Celui avec les guirlandes cousues dans les branches. Tu te rappelles ? Tu lavais enfoui à la cave.

Laurent se tait. Sa respiration, lourde, saccadée, me parvient. Il laisse le silence sinstaller, stratégie de prédateur, pour me faire vaciller, me pousser à mexpliquer.

Je me tais, moi aussi.

Je te le rends, finit-il par lâcher. Mais à une condition.
Laquelle ?
On fête Noël ensemble. Toi, moi, Camille. Comme une famille.

Je retire le téléphone, vérifie lécran. Cest bien lui. Je ne rêve pas.

Jamais.
Alors pas de sapin.

Je coupe la communication. Le portable sécrase sur le canapé. Je mapproche de la fenêtre, front contre la vitre gelée, paupières closes.

Trois mois. Trois mois à marracher à la vase. Et voilà quun sapin synthétique lui sert de corde pour me ramener.

Non. Impossible.

Le café déborde de monde. Face à moi, Claire, mon amie denfance, réchauffe ses doigts autour dun bol de cappuccino. Dehors, la neige hésite, les passants senroulent dans leurs écharpes, et au fond, un vieux jazz de Noël flotte, irréel.

Lâche ce sapin, murmure Claire en brisant sa tarte Tatin. Prends-en un autre, il y en a des montagnes chez Monoprix.

Je soupire.

Camille nen veut quun. Chaque soir, elle me demande : « Maman, quand est-ce quon met NOTRE sapin ? Celui qui brille tout seul ? » Et ses yeux

Claire secoue la tête, pensive.

Tu as appelé Laurent juste pour ça ?
Jai dû piétiner mon orgueil, grimace-je, comme si je croquais un citron vert. Tu sais ce que cest, supplier quelquun quon voudrait effacer ?
Je peux deviner. Sa main se pose sur la mienne. Il a toujours été particulier, ton Laurent. Je me souviens de tes anniversaires
Quand il a explosé parce que Paul de la compta ma enlacée ?
Oui. Il ta crié dessus tout le trajet.

Je bois une gorgée. Lamertume me calme.

Huit ans, Claire. Huit ans à subir. Surveillance, questions. Où jallais, à qui je parlais, pourquoi je ne répondais pas dans la minute. Il traquait chaque euro, commentait chaque dépense. « Pourquoi cette robe ? Tu vas où ? »
Et après tout ça, il ta trompée, souffle Claire.

Jacquiesce. Ma gorge se noue, mais je me ressaisis. Pas ici. Pas maintenant. Jai déjà trop pleuré sur ses messages.

Le plus absurde, cest quil se croit victime. « Tu ne maimais plus, alors jai cherché ailleurs. » Tu te rends compte ?
Claire hausse les épaules.

Cest du classique. Tous les infidèles sortent ça. Tu as eu du cran de partir. Beaucoup restent
Beaucoup restent. Pour lenfant. Pour la façade. Pour ne pas admettre léchec. Je tords une serviette en papier. Mais je ne pouvais plus. Cétait au-delà de mes forces.

La neige sépaissit dehors. Noël sapproche. Et quelque part, dans une cave à lautre bout de Paris, un sapin en plastique attend unique objet réclamé par ma petite Camille.

Je regarde la neige, perdue. Lamour maternel, cest tout accepter. Même parler à celui quon voudrait effacer.

Camille, assise sur le tapis, cernée de crayons et de feuilles, dessine un sapin : triangle vert, étoile dorée, points jaunes et orange. Les lumières.

Maman, quand est-ce que notre sapin arrive ?

Je maccroupis, caresse ses cheveux blonds, parfumés à la fraise, lenfance.

Bientôt, ma douce.
Cest papa qui va lapporter ?

Je me fige. Comment expliquer à une fillette de cinq ans pourquoi son père ne peut pas juste ramener le sapin ? Pourquoi les adultes embrouillent tout ?

Papa est occupé, je dis. Mais le sapin viendra, promis.

Camille hoche la tête, retourne à son dessin, ajoute des cadeaux sous larbre. Je la regarde, prête à tout.

Même à rappeler Laurent.

Le soir, Camille endormie, je compose son numéro. Les tonalités sétirent. Enfin, il décroche.

Ah, tu tes décidée à rappeler.

Sa voix jubile. Je serre les dents.

Le sapin, cest pour Camille. Pas pour moi.
Je sais.
Cest la magie de Noël, Laurent. Tu pourrais juste
Jai posé mes conditions. Tu les connais.
Cest du chantage.
Cest la vie. Il marque une pause. Tu mas tout pris, Élodie. Ma famille. Ma fille. Lappartement
Lappartement était à ma mère ! Je retiens un cri, pensant à Camille qui dort. Et ce nest pas moi qui ai brisé la famille. Tu veux que je te rappelle avec qui tu échangeais des messages ?
Tu recommences
Le sapin, Laurent. Donne-le, cest tout.
Jai déjà dit non.
Tu gâches la fête de ta fille.
Non, Élodie. Cest toi qui gâches tout. Parce que tu refuses de céder pour elle.

Je serre le téléphone, les jointures blanches.

Tu tentends ? Tu utilises le sapin pour me manipuler ! Pour tinfiltrer dans ma vie !
Dans notre vie. On nest pas encore divorcés ! Et Camille, cest notre fille.
Que tu vois deux week-ends par mois !
Parce que tu me las arrachée !

Je jette le téléphone. Je meffondre dans la cuisine, tête entre les mains. Mes tempes cognent. Trois mois à tenter de me reconstruire. Et chaque échange avec Laurent me ramène dans la vase.

Non. Plus jamais il naura ce pouvoir.

Trois jours dangoisse.

Chaque matin, Camille réclame le sapin. Laurent minonde de messages : « Quand cesseras-tu dêtre butée ? », « Pense à lenfant », « Jattends ta réponse ».

Le troisième soir, jécoute Camille raconter la maternelle, son amie Lucie, le cadeau quelle veut demander au Père Noël. Et le sapin, toujours le sapin.

Quand elle sendort, je reste longtemps à la table, le regard perdu. Laurent veut venir à Noël. Je ne le laisserai pas. Mais Camille veut ce sapin. Et il le sait.

Soudain, une idée me traverse.

Jattrape mon ordinateur, file sur LeBonCoin. Je retrouve une photo de lan dernier : Camille devant le sapin illuminé. Je poste une annonce : « Recherche sapin artificiel avec guirlande intégrée, urgent ».

Vingt minutes plus tard, le téléphone vibre. Premier contact.

Deux jours de recherches. Cinq appels. Un détour par le marché de Saint-Ouen, où un vendeur tente de me refiler un sapin déplumé. Enfin, à Versailles, une dame dune cinquantaine dannées vend exactement le même.

Ma fille a grandi, elle veut un vrai maintenant, explique-t-elle en maidant à charger la boîte dans le taxi. Que ce sapin fasse encore le bonheur de quelquun.

Je paie, rentre, hisse la boîte chez moi.
Le soir, quand Camille rentre de lécole, le sapin trône dans le salon. Le même. Ou presque. Parfaitement vert, doux au toucher, et surtout, les lumières dorées scintillent comme des lucioles.

Camille sarrête, bouche bée. Puis elle sécrie :

Le sapin ! Mon sapin !

Elle se précipite, enlace les branches, colle sa joue contre le plastique. Je la regarde, un sourire immense me tirant les joues.

Deux heures à décorer ensemble. Boules, guirlandes, étoile au sommet. Camille commande, jexécute. On éteint la lumière, on sassoit sur le canapé, hypnotisées par les lumières dansantes.

La magie est revenue.

Le dimanche, le froid mord. Maman a emmené Camille à la patinoire, puis manger des crêpes.

Je savoure le silence. Je me prépare un café, lance un film, menroule dans un plaid. Dehors, la neige recouvre Paris dun manteau blanc.
On sonne.

Je fronce les sourcils. Je nattends personne. Je regarde par le judas, le sang se glace.

Laurent. Avec une énorme boîte.

Jouvre, la chaîne tirée au maximum.

Que veux-tu ?

Laurent sourit. Ce sourire que jai aimé, que je déteste aujourdhui.

Jai apporté le sapin. Il brandit la boîte. Puisque tu ne viens pas, je me déplace. Il ne te reste quà accepter ma condition.

Je le fixe. Cette arrogance, cette certitude davoir gagné. Il croit mavoir piégée.

Tu sais, Laurent, on a déjà un sapin.

Son sourire sefface.

Quoi ?
Un sapin. Identique. Trouvé sur internet. Camille est ravie. Jouvre un peu plus la porte, il aperçoit le salon, le sapin brille dans langle. Je pourrais te montrer, mais tu nentreras pas.

Laurent reste planté, la boîte à la main. Son visage se colore.

Tu tu las fait exprès
Jai fait ce quil fallait pour ma fille. Sans toi, sans conditions, sans chantage.
Ce nest pas du chantage ! Je voulais juste
Contrôler. Je le coupe, calme. Tu voulais me contrôler. Comme toujours. Mais cest fini.

Il sapproche. Je ne bouge pas.

Élodie, écoute
Nessaie même pas de venir à Noël. Je te mettrai dehors. Je commence à fermer. Et la prochaine fois que tu veux voir Camille, tu appelles. À lavance. Comme il se doit. Pas de surprises.

La porte claque. Je my adosse, yeux clos.
Silence.

Jexpire, lentement. Je rouvre les yeux, contemple le sapin. Les lumières dorées dansent sur les murs.
Cétait la dernière tentative de Laurent. Elle a échoué.

Je mapproche de la fenêtre. En bas, Laurent charge la boîte dans sa voiture.
Je souris. Le divorce sera prononcé avant la fin de lannée. Plus jamais il ne viendra troubler nos vies. Ni la mienne, ni celle de Camille.
Ce Noël sera lumineux.

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