Questce qui peut être plus précieux que largent?
Éléonore et André étaient mariés depuis presque dix ans et partageaient deux enfantstemps. Éléonore travaillait dans une crèche, André dans une usine de la banlieue de Lyon. Le portemonnaie grinçait: presque tout le salaire était englouti par les prêts, et il ne restait presque rien pour vivre.
«Éléonore, quen distu de ton anniversaire? On le fête? Cest quand même un jubilé, » proposait André, désireux que sa femme se souvienne de ses trente ans. Mais les sous manquaient, comme le rappelait la femme: la beauté et le soin.
«Et quon servira aux invités? Du pain sec et de leau du robinet?»
«Pourquoi se précipiter? Pas besoin dun banquet fastueux. Un gâteau, quelques bonbons, un thé, et on invite les parents et quelques proches. Dailleurs, ton frère revient bientôt de la capitale.»
«Oui, Antoine ma dit quil arriverait à la fin du mois, même si ce ne sera quun bref séjour. Mais je nai pas envie de linviter.»
«Pourquoi? Cest un homme daffaires, il te fera peutêtre un cadeau. Et même si ce nest pas le cas, toute la famille sera réunie.»
«Je ne sais pas, il faut réfléchir,» répondit Éléonore, qui rêvait dune petite fête pour rompre la monotonie des journées avec les toutpetits et la pauvreté qui lécrasait.
Après réflexion, Éléonore décida tout de même de convier les proches au thé. Elle les appela, leur demandant de venir à la fin du mois, et contacta son frère. Antoine vivait depuis des années à Paris, où il dirigeait une grande société de construction. Il navait pas de famille, était absorbé par le travail et navait plus de temps pour les relations.
Les affaires dAntoine décollèrent dès son installation dans la capitale. Largent et le succès le rendirent orgueilleux, méprisant, qualifiant sans cesse les parents de «pauvres ratés». Ce comportement irritait Éléonore, qui réduisit leurs contacts au minimum.
«Tu viendras à mon anniversaire?» demanda Éléonore, bien que sa mère napprouverait jamais lidée.
«Bien sûr!» sexclama Antoine dès quil entendit parler de la fête. «Dans quel restaurant?»
«Restaurant? Non, nous resterons à la maison, autour dun thé, et nous discuterons.»
«Ah, je comprends,» ricana le frère, «jai oublié votre situation financière. Bon, je réfléchis à votre proposition.»
Le jour venu, presque tous ceux quÉléonore avait appelés se présentèrent. Mais Antoine était absent, même sil était revenu de Paris vers la ville natale, il ne franchit jamais le seuil de la maison.
«Tu connais ton frère, il sattendait à un banquet et ne veut pas venir ici. Mais il ta tout de même envoyé un cadeau!» annonça Nathalie Dupont, mère dÉléonore et dAntoine, en tendant une petite boîte.
«Questce que cest?» sétonna la fille.
«Je ne sais pas, il ne ma rien dit.»
En déchirant lemballage, Éléonore découvrit une vieille statuette.
«Que doisje faire de ce babiole?» demandatelle, déçue.
«Je ne sais pas non plus,» répondit Nathalie, qui espérait un présent plus utile de son fils riche, mais, voyant cet objet inutile, elle se sentit tout autant frustrée. «Appellele quand même pour le remercier.»
Après labsence du frère et le transfert du cadeau à travers la mère, Éléonore ne voulait plus parler à Antoine. Pourtant, à la tombée de la soirée, le frère décrocha :
«Je ne suis pas venu, jai des affaires plus importantes que du thé,» déclaratil.
«Alors le cadeau navait même pas lieu dêtre. Tu aurais pu le garder pour toi.»
«Une babiole?!» ricana Antoine. «On voit tout de suite que tu ne comprends rien aux choses de valeur. Cest un antiquité qui vaut pas mal deuros. Mes amis me lont offerte, mais elle ne collait pas à mon intérieur moderne, alors je lai débarrassée ainsi.»
«Et que veuxtu que jen fasse?» demanda Éléonore, qui ne ressentait aucune joie à lidée dun présent si onéreux. Elle le prit pour un affront.
«Posela sur la commode, quelle te rappelle les euros que vous ne gagnerez jamais,» plaisanta Antoine, avant de menacer: «Ne la vends surtout pas! Chaque mois, photographesla et envoiemoi le compterendu. Je ne laisserai pas votre prospérité profiter de moi!»
Ces mots stupéfièrent Éléonore. Elle connaissait larrogance dAntoine, mais jamais à ce point
Elle ne suivit pas la consigne, mais sa mère, voulant éviter le conflit ouvert, prit les photos en secret et les lui remit.
Quelques mois après lanniversaire, la famille dÉléonore se trouva dans une situation financière désespérée. André perdit son emploi, les crédits saccumulaient sans moyen de les rembourser.
«Ne tinquiète pas, je trouverai vite un travail,» tentait André, sans grand succès.
«Nous naurons bientôt plus rien à manger,» lança Éléonore, en scrutant la statuette. «Peutêtre la vender? Elle vaut une jolie somme, ça nous permettrait de tenir le premier temps et je pourrai chercher un emploi.»
«Mais Antoine la interdit»
«Et alors? On doit mourir de faim? Si on ne trouve pas dargent rapidement, on naura même plus dendroit où la poser.»
André ne chercha pas à la dissuader ; après tout, cétait son cadeau, elle pouvait décider. Elle vendit la pièce à une boutique dantiquités, récupéra une belle somme, remplaça les dettes, et enfin respira. André retrouva un poste, et la vie redevint plus douce.
Cependant, un mois plus tard, Nathalie cessa de lui envoyer les photos de la statuette. Elle refusait davouer à Antoine que sa sœur avait vendu le présent. Elle inventa des excuses, mais le frère, perspicace, sentit que quelque chose clochait. En revenant à la ville pour des «affaires», il voulut vérifier que lantiquité était toujours sur place, envisageant même de la récupérer. Pourquoi agissaitil ainsi resta un mystère.
«Alors, mon cadeau, il trône toujours sur la commode?» demandatil, surgissant sans prévenir.
«Euh», bafouilla Éléonore, prise au dépourvu, et, ne voulant pas mentir, répondit la vérité. «Il fait la joie dautres amateurs dart.»
«Comment?» répliqua Antoine, déconcerté. «Que veuxtu dire?»
«Je lai vendue,» avoua Éléonore, la gorge serrée. «Nos dettes nous ont forcés à le faire.»
«Tu las vendu!» sécria le frère, le sang aux yeux. «Je tavais interdit! Qui ta donné ce droit?»
«En fait, cest toi qui mas donné ce droit quand tu las passé par maman.»
«Non!Jai dit que la figurine devait rester à la maison!»
«Arrête tes absurdités!» semporta Éléonore, ne supportant plus larrogance du frère. «Pourquoi garder ce babiole coûteux? Elle a pris la poussière pendant des mois. Si nous ne lavions pas vendue, nous serions sans toit. Tu comprends?»
«Ça ne me regarde pas!Réglez vos problèmes vousmêmes!»
«Très bien,» rétorqua la sœur. «À mes frais!»
«Personne ne ta demandé de faire ce cadeau!Tu voulais me ridiculiser, mais cest à moi de décider de mes biens. Si tu me reproches encore la vente, je te fais sortir dici!»
«Men expulser?» sécria Antoine, furieux. «Je partirai de ma propre volonté!Je savais que tu étais incapable de tenir parole, alors je nai même pas commencé ce jeu!Mes jambes ne fouleront plus ce sol!»
Ce furent les derniers mots dAntoine à sa sœur. Le riche entrepreneur resta meurtri, pensant pouvoir se jouer de la sœur, mais cest elle qui, finalement, se servit de son impudence.
Lorsque le frère quitta lappartement dans un scandale, Éléonore ressentit un soulagement immense. Elle neut plus à craindre le regard du frère sur la précieuse babiole. Vendre cet objet antique permit de lever la plupart des problèmes financiers, et cela comptait bien plus que loffense dun parent.
Nathalie, attristée dapprendre la dispute entre ses enfants, aimait ses deux enfants de façon égale et tentait de rester à lécart du conflit. Pour Éléonore comme pour Antoine, la vie continuait, chacun suivant son chemin.







