26 mai 2025
Cher journal,
L’été approche et, contrairement à ce que lon pourrait dire, je nattends pas avec enthousiasme la chaleur. Ce qui me pèse, cest que Jean, mon mari, disparaît presque complètement pendant la saison. Depuis que nous sommes mariés depuis sept ans, notre vie était paisible, sans grands conflits. Je suis reconnaissante à Jean davoir accepté de mépouser alors que jattendais déjà notre premier enfant: Léo, alors âgé dun an.
Lorsque mon excompagnon Antoine apprit ma grossesse, il sévanouit de ma vue, refusant de répondre à mes appels et ne voulant même plus ouvrir la porte de son appartement. Un jour, je décidai daller le voir au travail, juste pour croiser son regard. En me voyant, il trembla si fort que je ne pus mempêcher de rire :
«Ne tinquiète pas, Antoine, je ne te réclame rien, ce nest pas ton enfant.»
Il poussa un soupir de soulagement, puis, observant nos collègues, lança :
«Tu ne pourras pas me mettre au monde un enfant qui nest pas le tien!»
Je rétorquai calmement :
«Ce nest pas ton enfant, cest le mien. Les hommes comme toi ne connaissent pas leurs propres enfants; tous les enfants leur semblent étrangers.»
Antoine resta sans voix, et les témoins, dédaigneux, séloignèrent. Je partis, décidée à ne plus revoir cet homme que je pensais autrefois aimer.
Lorsque Léo eut six mois, je demandai à ma mère, retraitée à la suite dun accident, de garder le bébé pendant que je reprenais un emploi. Avant mon congé maternité, je travaillais dans une boutique de meubles à Lyon et on me réengagea avec plaisir; des salariés aussi fiables et aimables sont rares. Cest là que je rencontrai Jean Voltaire, qui livrait les meubles depuis lusine de la région.
Je lui parlai de Léo, et il ne seffraya pas. Au contraire, il déclara, très sérieux :
«Alors, marionsnous, tu auras encore un garçon, puis peutêtre une fille. Jadore les enfants.»
Sa proposition me surprit; je nétais pas prête à me remarier. Mais il était charmant, sérieux, gagnait bien sa vie en conduisant son camion, et javais besoin dun soutien, ma mère étant souvent malade. Trois mois plus tard, je devins Mme Voltaire.
Le mariage fut une agréable surprise. Jean était travailleur, jamais colérique et, surtout, pas jaloux. Je restai fidèle, espérant que lui non plus ne regarderait ailleurs. Lorsquun jour je lui demandai sil me trompait, il éclata de rire et rétorqua que, tant que je ne deviendrais pas «une vieille femme en peignoir râpé», il ny aurait rien à redire. Cette perspective me rassura; javais bien lintention de rester élégante à la maison.
Sept années sécoulèrent. Jean acheta un nouveau camion, sillonnant désormais toute la France, transportant toutes sortes de marchandises. Il gagnait bien, mais était rarement à la maison. Jouvris ma propre boutique de mobilier et my consacrai avec ardeur. Léo, maintenant huit ans, était un garçon doux, sportif, déjà décoré de plusieurs médailles. Il aimait Jean, même sil savait que ce nétait pas son père biologique, et faisait toujours de son mieux pour le rendre fier.
Malgré nos rêves, nous ne pûmes jamais avoir dautre enfant. Il y a cinq ans, un examen médical révéla une incompatibilité. La nouvelle ne me bouleversa pas profondément, car javais déjà Léo, mais je ressentis une profonde culpabilité envers Jean. Je lui promis un autre enfant. Il attendit, espéra, puis, lorsquil comprit que cela narriverait jamais, sombra brièvement dans la mélancolie avant de se ressaisir, redevenant plus attentionné à la boutique et aux progrès de Léo. Cette évolution me réjouit.
Les parents de Jean vivaient à une centaine de kilomètres, dans un petit hameau de la Loire. Il y faisait souvent halte, y passant parfois la nuit. Je ressentais parfois une petite rancune, le voyant plus souvent chez eux que chez nous, mais je me consolais en pensant quils étaient déjà âgés, entourés de leurs voisins, et que leur vieille maison demandait souvent de laide. Je ne disputais pas cela avec Jean, de peur de raviver les sombres moments de ses deux années de désespoir.
Ce soir de mai, une inquiétude inexplicable menvahit. Peutêtre lété, avec labsence quasi permanente de Jean, me rendait plus sensible à son manque. Jappelai son portable :
«Jean, où estu? Chez tes parents? Pourquoi ta voix estelle si triste? Pardon si je tai vexé.»
Son ton, si dur, me brisa le cœur. Sans autre option, je conduisis Léo chez ma grandmère, puis, à bord de mon propre véhicule, je me rendis au hameau où résidaient les parents de Jean.
Je tardai à arriver ; le camion de Jean nétait plus devant la porte. Malgré tout, je frappai. Nina, la mère de Jean, ouvrit, surprise mais accueillante, minvita à entrer. Nous nous installâmes autour dun thé, Ivan, le père, dormant déjà. Je tentai dexpliquer mon trouble quand, soudain, une petite fille denviron trois ans, aux cheveux en bataille, sortit dune pièce en larmes, appelant sa mère. Nina la prit dans ses bras, la berça, fredonnant une berceuse douce.
«Doù vient cette petite?», demandaije, perplexe.
«Cest la fille de notre cousine, Lucie. Elle est décédée il y a quelques jours, nayant plus personne, nous avons recueilli la petite.», répondit Nina rapidement.
«Allezvous la garder?Ce ne seratil pas difficile? Elle est si petite. Et son père?», insistaije.
Avant quelle ne réponde, Ivan sortit, visiblement réveillé. Il resta figé à lentrée, puis, quand je mapprochai, je lembrassai sur la joue :
«Pardonneznous de vous avoir réveillé, la petite sest réveillée. Elle est adorable, cest une perte terrible pour sa mère. Vous avez été très généreux.»
Il répondit dun signe de tête, puis regagna sa chambre.
Je proposai à Nina de rester la nuit, de veiller sur la petite, quon lappellerait Adèle. Elle acquiesça, légèrement émue.
Toute la nuit, je ne dormis pas ; je caressai les cheveux dorés dAdèle, sentant déjà le poids de la décision à prendre le lendemain. Au petit matin, je me réveillai en sentant un regard sur moi. Jean était là, debout près du lit, observant Adèle et moi avec une tension palpable.
«Jean», murmuraije, suppliant, «Pouvonsnous ladopter?Je veux la garder, lui offrir une vraie famille.»
Il se détourna brusquement et sortit. Je le suivis dehors, où il était assis sous un vieux bouleau, les larmes aux yeux.
«Je suis désolé,», ditil doucement, «Je ne pensais pas que ça arriverait ainsi.»
Je le questionnai sur ses réticences, il expliqua que, quelques années auparavant, il avait brièvement été impliqué avec Lucie, qui vivait avec sa grandmère dans un village voisin. Elle était tombée enceinte, il avait accepté de laider, mais navait jamais voulu se marier avec elle. Elle était morte récemment, laissant derrière elle la petite Adèle. Il ne savait comment réagir face à cette situation, surtout avec nos parents vieillissants qui désapprouveraient sûrement.
Je restai silencieuse, écoutant son tumulte intérieur. Au fond, je sentais une connexion étrange entre Adèle et Jean, comme si elle portait une part de lui. Les larmes me montèrent, mais je les laissai couler, ne les essuyant pas, espérant quelles laveraient aussi la blessure de mon cœur.
Adèle leva les yeux, grands yeux bleus, et dit avec innocence :
«Je ne suis pas sale, je veux une tresse.»
Un sourire se dessina sur mon visage ; je lui promis de lui faire une tresse, même si je ne maîtrisais pas encore cet art.
Quelques semaines plus tard, le tribunal autorisa ladoption dAdèle par Jean et moi. Léo, désormais grand frère, jura de la protéger. Jean décida de quitter les longs trajets, nous concentrant tous deux sur nos boutiques, ouvrant même un deuxième magasin à Bordeaux.
Le souvenir de la brève infidélité de Jean ne disparut jamais totalement, mais je le pardonnai, voyant la sincérité de son remords.
En décembre, nous rentrâmes à la maison après le spectacle de Noël. Adèle était ravie, tenant une immense boîte de bonbons offerte par le Père Noël. Elle se blottit contre moi et chuchota :
«Papa, jai demandé au Père Noël un petit frère ou une petite sœur.»
Jean, un peu surpris, lui répondit :
«Ce nest pas possible, ma petite, essaie autre chose.»
Je souris, puis, dun ton taquin :
«Pourquoi pas? On ne refuse jamais un souhait à une fille aussi adorable.»
Jean resta figé, moi, hilare, acquiesçais. Lorsque Léo revint de son entraînement, il trouva Jean, éclatant de rire, tournoyant autour de moi, tandis quAdèle, couverte de chocolat, samusait sur le canapé. Léo sassit à côté delle, lui tendit un bonbon et lança :
«Nos parents sont géniaux, non?»
Ainsi, au fil des jours, la petite famille Voltaire, désormais composée de quatre, avance, mêlant les cicatrices du passé à la douceur dun nouveau départ.







