À peine seize ans, Vare a perdu sa mère. Son père, parti chercher fortune à Paris, a disparu là-bas depuis sept ans.

Je vous raconte lhistoire de Maëlys, qui navait que seize ans lorsquelle a perdu sa mère. Son père, il y a près de sept ans, est parti chercher du travail à Paris et nest jamais revenu. Plus aucune nouvelle, plus aucune sous. Tout le village de SaintJeandesChamps sest rassemblé pour les funérailles, chacun à sa façon. Sa tante Manon, la marraine de Maëlys, passait souvent à la maison, lui indiquait quoi faire, comment sy prendre. Maëlys a à peine fini lécole quand elle a trouvé un poste à la poste du hameau voisin.

Maëlys est une fille robuste, on dirait quelle a le sang chaud comme le lait. Son visage est rond, rosé, le nez un peu large, mais ses yeux gris brillent comme des éclats détoile. Elle porte une longue tresse châtain qui tombe jusquà la taille.

Le plus bel homme du village sappelle Pierre. Il est revenu de larmée il y a deux ans et na jamais eu de petite amie. Même les jeunes filles de la ville qui viennent en été ne le laissent pas de côté. On aurait dit quil devrait être cascadeur à Hollywood, pas chauffeur dans un petit hameau. Mais il na pas encore trouvé la force de choisir une épouse.

Un jour, Manon est venue voir Pierre et lui a demandé de réparer la clôture de Maëlys, qui commençait à seffondrer. Sans la force dun homme, il est difficile de tenir dans un village. Maëlys se débrouille au potager, mais la maison, elle, ny arrive pas du tout.

Sans hésiter, Pierre a accepté. Il est arrivé, a observé, puis a commencé à donner des ordres: «Apporte ça, cours ici, donnemoi cela.» Maëlys obéissait à chaque demande, les joues rougissant davantage, la tresse se balançant dun côté à lautre. Quand il sest fatigué, il a partagé une soupe bien chaude et un thé corsé. Elle, elle mâchait du pain noir avec des dents blanches comme la craie.

Trois jours durant, Pierre a installé la clôture; le quatrième jour, il est revenu simplement pour rendre visite. Maëlys la invité à dîner, et il a passé la nuit chez elle. Depuis, il vient discrètement au petit matin, avant que quiconque ne le voieon ne peut rien cacher dans un petit village.

«Ma petite, tu te trompes à le recevoir, il ne se mariera pas. Et sil le fait, il ne fera que tattacher. Quand lété arrivera, les belles citadines viendront, que ferastu? Tu vas brûler de jalousie. Ce nest pas le genre de garçon quil te faut,» lui lançait souvent Tante Manon.

Le cœur jeune nécoute pas toujours la sagesse des aînés.

Un jour, Maëlys a senti un malaise. Dabord elle a cru que cétait le rhume ou une intoxication. La faiblesse, les nausées la submergeaient. Puis, comme un coup de massue, elle a compris que le bébé était le fruit dune aventure avec Pierre. Elle a dabord voulu repousser cette idée, se disant quelle était trop jeune pour être mère. Mais elle sest dit que ce nétait pas si mal: elle ne resterait pas seule. Sa mère lavait élevée, elle pouvait le faire. Le père navait jamais été très présent, il buvait. Les commérages du village finiront par sapaiser.

Au printemps, elle a enlevé son manteau et tout le village a aperçu son ventre qui dépassait. Les voisines secouaient la tête, murmurant «Quelle mauvaise aventure!». Nicolas, le voisin qui possède un camion, est venu senquérir de la situation.

«Questce quon fait maintenant?» a-t-il demandé. «Accoucher, bien sûr. Ne ten fais pas, je veillerai sur lenfant.» a-t-il répondu, les bras chargés de charbon pour réchauffer le foyer. Ses joues rougissaient, ses yeux brillaient dune flamme nouvelle.

Pierre est revenu, mais il a compris quil ne pouvait plus suivre Maëlys. Lété est arrivé, les jolies filles de la ville ont envahi le village. Pierre navait plus le temps pour elle.

Maëlys continuait à travailler dans le jardin, tandis que Tante Manon venait laider à arracher les mauvaises herbes. Se pencher avec le ventre rond était difficile, elle transportait de leau du puits à la main. Les autres femmes du hameau la traitaient de «géante» et disaient «Que Dieu veuille que tout sarrange.»

À la miseptembre, une douleur aiguë la réveillée, comme si le ventre était tranché. La douleur est passée, puis est revenue. Elle sest précipitée vers Tante Manon, qui a tout compris dès le regard apeuré.

«Déjà? Assiedstoi, jarrive,» a crié Manon en sortant de la maison.

Maëlys a couru jusquà Nicolas, dont le camion était garé devant la ferme. Les agriculteurs étaient déjà partis en ville. Nicolas, qui avait trop bu la veille, était tout pâle. Manon la secoué pour le réveiller. Pierre, désemparé, ne savait pas où aller. Quand il a compris, il a hurlé :

«La clinique est à dix kilomètres! Si elle part avant le médecin, elle accouchera sur le chemin.»

«Sur le camion?» a protesté la femme de Nicolas. «Ça nira pas, elle accouchera en route.»

«Alors viens avec nous, au cas où,» a décidé Nicolas.

Ils ont pris la route cahoteuse, évitant les fossés, Manon assise sur un sac dans le hayon. Dès quils ont atteint lasphalte, ils ont accéléré.

Maëlys se tordait sur le siège, serre les lèvres pour ne pas crier, serre son ventre. Nicolas, soudain sobre, jetait des coups dœil rapides à la jeune femme, les doigts crispés sur le volant.

Ils sont arrivés à lhôpital à temps. On a laissé Maëlys et son bébé, puis ils sont repartis. Manon, en chemin, na cessé de gronder Pierre: pourquoi avoir ruiné la vie dune fille qui navait déjà perdu ses parents? Elle devait maintenant soccuper dun enfant toute seule.

Le camion na pas encore atteint le village quand Maëlys a donné naissance à un petit garçon en bonne santé. Le lendemain matin, on lui a apporté du lait et du pain frais pour lalimenter. Elle, terrifiée, ne savait comment le tenir contre son sein, mais elle a suivi les instructions, le cœur battant de joie en caressant la petite tête du bébé.

«Il viendra vous chercher?» a demandé le médecin sévère avant de la laisser sortir.

Maëlys a haussé les épaules, secouant la tête: «Probablement pas.» Le docteur a soupiré et est parti. Linfirmière a enveloppé le nouveau-né dans une couverture et la confiée à Maëlys pour le ramener chez elle.

«Fédor vous conduira à la maison, pas en bus avec un nourrisson,» a-t-elle réprimandé.

Maëlys la remerciée, marchant dans le couloir les yeux baissés, le visage tout rouge de honte.

Dans la voiture, elle serre le paquet contre son sein, anxieuse pour lavenir. Le congé maternité est maigre, presque rien. Elle se plaint, mais son petit visage ridé la regarde, et son cœur se remplit dune tendresse infinie, chassant les pensées sombres.

Soudain, la voiture sarrête. Maëlys regarde Fédor, lhomme trapu dune cinquantaine dannées, avec inquiétude.

«Il a plu deux jours daffilée. Les flaques sont immenses, on ne peut pas les traverser. Seulement un camion ou un tracteur peut passer. Il reste deux kilomètres. Vous pouvez courir?» a-t-il demandé, indiquant une mare qui semblait un lac.

Le bébé dort dans ses bras. Un seul mot passe dans sa tête: «Berserker». Elle sort prudemment, prend le paquet, et marche le long du bord de la mare. Ses bottes en ferraille glissent dans la boue jusquaux chevilles, chaque pas est un risque de chute.

Ses vieilles bottes usées claquent, elle aurait dû porter des bottes en caoutchouc. Une botte senfonce dans la boue, elle sarrête, réfléchit, puis continue, seule avec le bébé dans un seul soulier.

Quand elle arrive au village, la nuit tombe, le froid mord ses pieds. Elle trébuche sur les planchers secs, ses jambes engourdies, mais la lumière des fenêtres brille. Elle pousse la porte de la petite maison.

Une petite chambre denfant, une poussette, des vêtements empilés. Nicolas, assis à la table, la tête reposant sur ses mains, dort. Il lève la tête en la voyant, le visage rouge, les cheveux en bataille, lenfant dans les bras, la jupe trempée, les pieds dans la boue. Il se précipite, prend le bébé, le pose dans le berceau, allume le feu, prépare de leau chaude, laide à se changer, à se laver les pieds.

Sur la table, la soupe de pommes de terre, le pain, le beurre, le lait.

Le bébé se met à pleurer. Maëlys le prend, sassoit à la table, expose son sein sans hésiter et commence à le nourrir.

«Comment lappeler?» demande Nicolas dune voix rauque.

«Sébastien. Ça te va?» répond-elle, les yeux clairs et pleins de désir.

«Cest un beau prénom. Demain on ira lenregistrer,» dit-il.

«Ce nest pas obligatoire» commence Maëlys, observant le petit sucer.

«Mon fils doit avoir un père. Jai trop flâné. Je ne sais pas qui sera mon mari, mais je ne laisserai jamais mon fils.» conclut Nicolas.

Maëlys hoche la tête, sans lever les yeux.

Deux ans plus tard, ils ont eu une fille, quils ont nommée daprès la mère: Maëlys.

Peu importe les erreurs que lon commet au début de la vie, limportant, cest quon puisse toujours les corriger.

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Au fond du gouffre