En fouillant dans les affaires de ma défunte grand-mère, j’ai découvert son journal intime et appris qui est réellement mon père.

En triant les affaires de ma grandmère décédée, jai découvert son journal et jai appris qui était réellement mon père.

Non, maman, je ne peux pas simplement tout balancer! sécria Nathalie, le téléphone collé à loreille. Cest du vieux, mais cest la mémoire de mamie!

Nathalie, ne crie pas, la voix de ma mère, fatiguée, se fit entendre dans le combiné. Je ne te dis pas de tout jeter. Mais tu nimagines pas le bazar: chiffons de trente ans, découpages de journaux, boîtes Ma mère ne jetait jamais rien.

Et elle avait raison, rétorqua obstinée Nathalie. Contrairement à nous, toujours à courir après les nouveautés, elle savait garder les choses.

Gardé soupira ma mère. Bon, fais comme tu veux. Mais dici la fin de la semaine il faut libérer lappartement. Les nouveaux propriétaires signent les papiers.

Nathalie reposa le combiné, le regard triste. Le petit studio dune pièce, à la périphérie de Paris, paraissait encore plus exigu à cause du tas daffaires qui occupait chaque centimètre. Grandmère Jeanne était partie paisiblement, dans son sommeil, et, à peine les funérailles terminées, ma mère décida de vendre le logement. «Pourquoi garder un appartement vide au bout du boulevard? Largent nous manque,» mexpliquatelle. Elle me confia donc le tri de ces huit décennies dhistoire.

Tu es en vacances, et moi je travaille, me lança ma mère. Je ne lai pas rappelé que son «vacances» était censé être un séjour à la mer, pas un marathon dans les placards. Au fond, Jeanne comptait plus pour moi que pour ma propre fille.

Nathalie débuta par la cuisine: elle passa en revue la vaisselle, gardant quelques objets précieux: une vieille théière en porcelaine, un sucrier peint, un jeu de cuillères à thé aux manches nacrés. Le reste fut mis en cartons pour la charité.

Le soir du premier jour, le dos meurtri, elle fit du thé dans la théière de Jeanne et sinstalla sur le canapé, feuilletant les vieilles photos du buffet. Voilà la jeune Jeanne, la tresse longue enroulée autour de la tête, exactement comme Nathalie. Voilà sa mère, adolescente en chemise à rayures. Et voici la petite fille, emmitouflée dans les bras de sa grandmère.

Étrangement, les photos du grandpère étaient rares. Il était mort avant la naissance de Nathalie, et la famille en parlait à peine, presque à contrecœur. «Cétait un homme bien, mais la vie ne la pas favorisé,» disait ma mère lorsquon la pressait.

Le deuxième jour, elle sattaqua à la chambre. Une montagne de vêtements la découragea: chemises de nuit soigneusement pliées, pulls en laine, chutes de tissu Jeanne adorait coudre. Tout était vieux, mais impeccablement propre et repassé.

En fouillant chaque étagère, chaque tiroir, elle découvrit, au fond dun coin du placard, une boîte en carton dorigine chaussure, ligotée dune ficelle. Elle la dénoua doucement.

À lintérieur, des lettres, quelques cahiers, et un vieux cahier à couverture en cuir usé. Elle prit au hasard une des lettres: une enveloppe jaunie, cachetée des années cinquante.

«Chère Ninette! Jécris depuis la route. Demain jarrive au bataillon» lécriture était masculine, soignée. Signature: «Ton André». Le grandpère sappelait Victor. Qui était donc cet André?

Nathalie posa la lettre et ouvrit le cahier. La première page, à lencre de la main de Jeanne, annonçait: «Journal de Jeanne V Commencé le 12 avril 1954».

Lorsque la nuit tomba, elle ne put lâcher la lecture. Dans les premières entrées, la jeune Jeanne racontait sa vie à linstitut, ses amies, son premier amour: le même André de la lettre. Ils sétaient rencontrés à une soirée dansante, étaient tombés amoureux, avaient projeté un avenir commun, puis André fut appelé sous les drapeaux.

Une page daoût 1956: «Aujourdhui jai reçu une lettre dAndré. Il revient bientôt. Comme je languis!»

En novembre, elle notait: «André est parti. Ces deux semaines furent les plus belles de ma vie. Il faut attendre une année pour son retour. Nous avons décidé de nous marier dès son retour. En attendant, je garde sa photo sous loreiller.»

Les pages débordaient daveux, danxiétés, despoirs. Puis le ton changea brutalement. En février 1957, lécriture était tremblante:

«Aujourdhui jai appris la nouvelle. André est mort en service. Aucun détail. Je nen crois pas mes yeux. Comment vivre désormais?»

Nathalie ferma le cahier, la gorge serrée. La première grande histoire damour séteignait tragiquement.

Le jour suivant, elle apprit que Jeanne sombra dans une profonde dépression après la mort dAndré. Puis apparut Victor, camarade de larmée, venu lui offrir du réconfort. Il devint son soutien.

«10 septembre 1957. Victor ma demandé en mariage. Je ne laime pas comme jaimais André, mais il est bon, sûr. Maman dit que je dois me faire une vie, que je ne suis plus une gamine. À vingttrois ans, il faut un foyer. Mais je ne peux pas oublier André»

Le mariage fut modeste. Jeanne sefforçait dêtre une bonne épouse, mais pensait sans cesse à André. Victor devinait, sans le dire.

Puis une entrée qui coupa le souffle de Nathalie:

«20 juin 1958. Je suis enceinte, trois mois. Le bébé nest pas celui de Victor. Avant son départ en commission, jai rencontré Sacha, cousin dAndré. Nous nous étions connus auparavant, il ressemble tant à André Un soir, au parc, nous avons parlé dAndré, et cétait comme un rêve. Une nuit de folie, je le regrette, mais maintenant jattends un enfant. Victor croit que cest le sien. Je ne peux pas lui dire, cela le briserait.»

Nathalie claqua le journal. Le silence retentit. Sa mère nétait donc pas la fille du petitbonhomme Victor? Qui était son vrai grandpère, ce Sacha?

En poursuivant la lecture, elle découvrit que Jeanne navait jamais révélé la vérité à Victor, préférant protéger la famille.

Quand la petite fille, la mère de Nathalie, naquit, Jeanne écrivait quelle ne pouvait plus la regarder: «Mélusine ressemble à André, mêmes yeux, même forme de visage. Sacha, sil voyait la photo, le comprendrait. Mais il est parti à Leningrad, plus jamais revu»

Les entrées devinrent rares, puis cessèrent en 1965: «Aujourdhui Mélusine a sept ans. Victor laime comme sa propre fille. Ils construisent une nichoir pour le chalet. Je réalise que le sang nest pas ce qui compte. Victor restera toujours son père. Je ferme le journal à jamais. Adieu, vie passée.»

Nathalie reposa le cahier, lesprit bourré de questions. Sa mère savaitelle la vérité? Probablement pas, puisquelle parlait toujours avec amour de son père Victor. Sacha serait donc son vrai grandpère? Seraitil encore en vie? Y auraitil des oncles, des tantes inconnus?

Au fond dune boîte, elle trouva une photo fanée dun jeune militaire en képi, souriant. En bas, la légende «André, 1955». À côté, une autre, signée «Sacha, 1958», le visage très proche du premier, les traits plus doux, les cheveux plus clairs.

En se regardant dans le miroir du placard, Nathalie reconnut le reflet: les mêmes yeux, la même ligne de mâchoire. Elle comprit pourquoi sa mère disait souvent: «À qui ressembletu? Tu nes comme aucun de nous.»

Il fallait décider: tout dire à sa mère ou garder le secret?

Alors que le silence sépaississait, la porte dentrée claqua.

Nathalie! Tu es là? appela la voix de ma mère, la ramenant à la réalité.

Oui, dans la chambre! sécria-telle, rangeant précipitamment le journal et les photos dans la boîte.

Ma mère entra, curieuse.

Comment ça se passe? Je suis passée après le travail pour taider.

Ça avance, répondit Nathalie avec un sourire gêné. Je fais le tri petit à petit.

En parcourant les cartons, elle aperçut la boîte de lettres.

Cest quoi ça?

Juste des lettres de grandmère, son journal je nai pas tout lu encore.

Un journal? haussa les sourcils ma mère, surprise. Je ne savais pas que maman tenait un journal.

Elle sapprocha, et Nathalie comprit quelle ne pourrait plus dissimuler la découverte.

Maman, commençaelle doucement, tu tes déjà demandé pourquoi grandmère parlait si peu de sa jeunesse?

Non, pourquoi? sassitelle au bord du lit. Elle naimait pas se replonger dans le passé, quoi de plus?

Tu savais quavant Victor elle a eu un autre fiancé? André, qui est mort à la guerre?

Jen avais entendu parler un peu, avoua ma mère, hésitante. Cest écrit dans le journal?

Oui, et plus encore, prit une profonde inspiration Nathalie. Tu es sûre de vouloir savoir?

Dis-moi tout, insista ma mère, le visage se crispant.

Le journal révèle que Victor nest pas ton père biologique, ditelle, la voix tremblante.

Un lourd silence sinstalla, interrompu seulement par le tictac du vieux pendule.

Cest quoi ce délire? sécria enfin ma mère, saisissant le journal.

Elle mit ses lunettes, feuilleta les pages. Son expression passa de la surprise à lindignation, puis à la colère.

Impossible mon père maimait plus que tout. Il disait toujours que je suis son reflet

Maman, touchaelle doucement la main, ce qui est écrit ne change rien. Victor ta élevée, ta aimé, il a été ton vrai père. La biologie nest quune donnée.

Pourquoi ne latelle jamais dit? la voix de ma mère tremblait. Jai le droit de savoir!

Elle craignait de briser la famille, répondit Nathalie calmement. Et ton véritable père, ce Sacha, nen savait rien.

Ma mère feuilletait, cherchant une preuve contraire.

Jai soixante ans, murmuratelle, toute ma vie sans vérité. Que faire maintenant? Partir à la recherche de Sacha? Sil est encore vivant, il doit avoir plus de quatrevingts ans.

Cest à toi de décider, disje, masseyant à côté delle. Mais peutêtre astu des frères ou sœurs inconnus. Notre famille pourrait être plus grande quon le pense.

Ma mère secoua la tête.

Je ne sais pas, Nathalie. Jai besoin de temps pour digérer tout ça. Ce nest pas ton monde qui se bouleverse!

Je restai muet. Son trouble était bien plus aigu que le mien. Elle continua de feuilleter le journal, les photos, et son visage se radoucit peu à peu.

Tu sais, ditelle après un moment, je me suis toujours demandée pourquoi je ne ressemblais pas à papa. Il était calme, posé, et moi je suis toujours en mouvement, impatiente. Maman disait que je ressemblais à son père, mais je nai jamais vu de photo du grandpère Maintenant je comprends.

Elle prit la photo de Sacha, lexamina.

Il me ressemble, surtout les yeux, admitelle avec un soupir. Donc le sang de deux militaires coule en moi: André et Sacha. Pas étonnant que je sois si têtue.

Les gènes, on ne les trompe pas, répliquaje en souriant. Mais cela ne change rien à lamour que Victor a eu pour toi.

Ma mère sourit à peine.

Oui, lamour dépasse le sang. Mais merci davoir trouvé ce journal. La vérité est amère, mais il vaut mieux la connaître que de vivre dans lignorance.

Que comptestu faire? demandaije. Chercher des proches?

Je ne sais pas, passaelle la main sur la photo, peutêtre. Mais dabord, il faut régler la vente de lappartement, trier les affaires. La vie continue, même avec ces révélations.

On pourra retarder la vente? proposaije prudemment. Au moins un mois, pour finir linventaire, peutêtre trouver une adresse ou un indice.

Daccord, acquiesça ma mère avec un soulagement inattendu. Jappellerai lagent immobilier, on repoussera la transaction. Tu as raison, il ne faut pas se précipiter. Sept décennies de secret, ça peut attendre un peu.

Assis sur le lit de Jeanne, entourés de ses souvenirs, nous restâmes silencieux, chacun perdu dans ses pensées. Nathalie réfléchissait à quel point les destins se tissent, comment une simple décision peut bouleverser plusieurs générations. Ma mère méditait sur ce que signifie être fille, sur lamour qui surpasse le sang, et sur une vérité qui arrive parfois trop tard.

Tu sais, conclut ma mère, je ne suis pas en colère contre Jeanne. Elle a fait ce quelle croyait être le mieux. Et papa il restera toujours mon vrai père, quoi quen dise la biologie.

Je comprends, acquiescéje. La famille, ce nest pas seulement le patrimoine génétique.

Ma mère referma doucement le journal, le remettant dans la boîte, mais garda la photo de Sacha.

Je la garderai, ditelle. Une part de mon histoire, même si je ne lai connue que maintenant.

Je létreignis, sentant entre nous une nouvelle proximité, née du secret partagé, de la découverte commune.

La vie continuait, avec de nouvelles connaissances, de nouvelles questions. Mais lessentiel restait le même: lamour qui lie notre famille à travers les décennies et les mystères. Grandmère Jeanne a emporté son secret dans la tombe, mais elle a laissé ce journal, tel un pont entre le passé et lavenir, une preuve que chaque histoire familiale recèle un univers démotions, de choix et de destins.

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En fouillant dans les affaires de ma défunte grand-mère, j’ai découvert son journal intime et appris qui est réellement mon père.
Une vieille dame assise sur un banc devant la maison qui n’est plus la sienne.