**Un ange nommé André**
Émilie était déjà habillée quand Julien entra dans le bureau.
Tu es seule ? demanda-t-il en s’approchant.
Oui.
Je passerai ce soir. Jai une bonne nouvelle pour toi, murmura Julien avant de vouloir lembrasser. Mais des pas résonnèrent dans le couloir. Il recula aussitôt et se dirigea vers la porte.
À ce soir, dit-il en sortant.
Devant lascenseur, Émilie espérait encore quil la rejoindrait pour en savoir plus. Peut-être avait-il enfin décidé de quitter sa femme ? Et sil restait dormir ? Il fallait préparer le dîner. Si seulement elle avait sorti la viande du congélateur ce matin Heureusement, elle avait acheté une bouteille de vin la veille.
Elle tapota du pied, impatiente. Enfin, lascenseur arriva.
De retour chez elle, Émilie mit la viande au micro-ondes pour la décongeler avant de changer de tenue. La pièce était propre.
Au début de leur relation, Julien sétait plaint de sa femme : elle ne travaillait pas, passait ses journées entre shopping, salons de beauté et salles de sport, sans même préparer le dîner. Émilie sen était souvenue. Elle faisait le ménage et cuisinait soigneusement avant ses visites. Pourtant, il ne mangeait presque rien, et le reste finissait à la poubelle. Il venait deux fois par semaine, après avoir déposé son fils au club de sport. Ils avaient une heure. Elle ne pleurait pas, ne se plaignait pas. Lamante parfaite.
Sa sœur aînée avait fréquenté un homme marié pendant des années, mais il navait jamais quitté sa femme. Quand elle avait rompu, il était mort dune crise cardiaque. Émilie sétait alors juré déviter les hommes engagés. Mais on dit bien : « Jamais dire jamais. »
Avant Julien, elle avait été avec un homme pendant quatre ans, sans quil ne propose. Un jour, elle lavait vu dans un café avec une autre femme. Elle avait rassemblé ses affaires dans une valise et les avait laissées dans lentrée.
Après son départ, elle avait pleuré toute la nuit, regrettant sa précipitation. Le temps passa. Elle essaya de rencontrer dautres hommes, mais rien ne collait. Avant, Thomas lemmenait travailler ; désormais, elle perdait des heures dans les transports. Elle démissionna et trouva un emploi à deux arrêts de bus, quelle rejoignait à pied.
Là, le directeur adjoint, un bel homme rappelant lacteur Omar Sy, lavait remarquée. Une collègue lavait prévenue : il était marié, avec un fils. Émilie fut déçue. Julien lui plaisait tant. Mais elle décida de rester distante.
Au réveillon du Nouvel An, elle partit tôt. Le verglas rendait les rues glissantes. Dans une ruelle sombre, elle manqua tomber, mais une main la rattrapa. Cétait Julien, qui lavait suivie. Il la raccompagna sans demander à entrer.
Peut-être fut-ce ce geste, ou simplement le moment de retomber amoureuse. Dès lors, elle trouva chaque matin sur son bureau un petit bouquet, une tablette de chocolat ou une carte avec un mot doux. Qui aurait résisté ?
Un mois plus tard, ils devinrent intimes. Émilie se persuadait que ce nétait que du sexe. Mais le cœur écoute-t-il la raison ?
Julien ne venait que deux fois par semaine, une heure à peine, le temps des entraînements de son fils. Lassée, elle songea à rompre. Mais il devança ses pensées : il allait quitter sa femme, qui commençait à soupçonner quelque chose. Il voulait une vie heureuse avec elle. Pour preuve, il passa la nuit. Une nuit enivrante. Elle crut ses promesses, parce quelle le voulait désespérément.
Puis son fils tomba malade, et Julien disparut. Elle jura de ne plus laccueillir, mais quand il sonna à sa porte, elle courut ouvrir. Rompre dépassait ses forces.
Les semaines passèrent, et il restait avec sa femme. Un jour, il avoua avoir tenté de partir, mais sa femme avait avalé des pilules. Il était rentré à temps pour appeler les secours. Rien ne changea.
Ce soir-là, Émilie venait de finir la cuisine quand la sonnette retentit. Elle vérifia son reflet dans le miroir avant douvrir. Il lenlaça aussitôt.
Ça sent bon, dit-il.
Jai fait de la viande. Tu en veux ?
Non, je nai pas le temps.
Il lentraîna sur le canapé, déjà recouvert de draps frais. Plus tard, allongés côte à côte, elle murmura :
Tu avais une nouvelle à mannoncer. Moi aussi, dailleurs.
Une bonne ?
Je ne sais pas. Toi dabord.
Tu sais que Paul-Henri prend sa retraite ? demanda Julien. Elle ne répondit pas. Jai parlé au directeur. Il accepte que tu le remplaces. Tu auras ton propre service. Tu nes pas contente ?
Si, mentit-elle, incapable de sourire.
Elle cacha ses larmes contre son épaule. Elle avait tant espéré
Dommage que tu sois à un autre étage, mais ça limitera les ragots. Je peine à me contenir quand je te vois au travail. Il voulut lembrasser, mais elle sécarta. Et toi, ta nouvelle ?
Tu es sûr de ne pas manger ? demanda-t-elle en se levant.
Non. Oh, lheure ! Je dois récupérer mon fils.
Il partit après un baiser. Elle rangea la viande et le vin, puis éclata en sanglots.
Cette nuit-là, elle fixa le plafond, décidée à rompre. Il ne fallait pas que sa femme découvre tout ça. Demain, elle lui dirait
Le lendemain était un samedi. Tant pis. Elle avait jusquà lundi. Elle ne lui avait pas révélé lessentiel, ce qui pourrait peut-être le pousser à agir.
Le soir, la pluie cessa. Émilie sortit se promener. Elle marcha jusquà une épicerie, prit du thé et des biscuits. Une seule caisse était ouverte.
Devant elle, un garçon posa sur le tapis des pâtes, des concombres, du pain et du beurre.
Tu es seul ? Où est ta maman ? Tu as de largent ? demanda une vieille dame.
La caissière le regarda avec méfiance.
Dépêchez-vous. Faut être content quun gamin aide sa mère au lieu de lembêter, grogna un homme.
Un ado a fui sans payer la semaine dernière, rétorqua la caissière.
Jai de largent, affirma le garçon en fouillant sa poche.
Émilie avança.
Ouf, jarrive à temps. Elle ajouta ses achats aux siens.
Vous êtes ensemble ? demanda la caissière, sceptique.
Bien sûr. Nest-ce pas, mon chéri ? Elle posa une main sur son épaule.
Tu aurais pu dire que ta maman était là !
Dehors, le garçon la remercia.
Garde le thé et les biscuits. Pourquoi fais-tu les courses seul ? Tu as quel âge ?
Neuf ans, répondit-il sans sourciller.
Il en paraissait sept à peine, mais elle ninsista pas.
Ta maman te laisse sortir si tard ?
Elle ne peut plus marcher depuis quune voiture la renversée.
Et ton père ?
Il est parti en apprenant quelle resterait en fauteuil.
Les médecins ne peuvent rien faire ?
Je ne sais pas.
Cest toi qui toccupes delle ?







