**Pas son problème**
« Dis à Théo de venir tout de suite ! » sanglotait sa fille au téléphone. « Les trois petits ont de la fièvre et sont insupportables. Je ne peux pas les emmener tous seuls au médecin. Quil prenne la voiture et quil vienne maider ! »
Valérie hocha la tête, même si Chloé ne pouvait pas la voir. Son cœur se serra dangoisse pour ses petits-enfants.
« Je men occupe tout de suite, ma chérie. Ne tinquiète pas. » Elle sefforça de parler calmement pour ne pas aggraver le stress de sa fille.
Elle raccrocha et resta immobile, les doigts tremblants cherchant le numéro de son fils dans ses contacts. Trois enfants malades, Chloé seule, son mari au travail. La situation était critique.
Théo viendrait, elle en était sûre
Première sonnerie. Deuxième. Enfin, il répondit.
« Bonjour, Maman », dit-il dune voix pressée.
« Mon chéri, cest grave » Valérie cherchait ses mots. « Chloé vient dappeler. Les trois enfants sont malades, il faut les emmener chez le médecin. Son mari ne peut pas se libérer. Tu pourrais aller laider ? Ce ne sera pas long. »
Un silence tendu sinstalla. Valérie entendait la respiration de son fils et un bruit de fond.
« Maman, aujourdhui, cest impossible », soupira Théo. « Cest lanniversaire de Camille. On a réservé ce restaurant il y a deux semaines. Pour aller chez Chloé, il faut traverser toute la ville, et les embouteillages sont horribles. On va rater la réservation. Je ne peux pas »
Valérie serra le téléphone plus fort. Sa paume était moite. Il refusait vraiment daider ?
« Théo, tu entends ce que tu dis ? Les enfants sont malades ! Tes neveux et nièces ! » Elle luttait pour ne pas crier. « Chloé ne peut pas sen occuper seule. Ils doivent voir un médecin ! »
« Maman, je comprends, mais on a des projets », répondit-il dun ton plat. « On ne va pas tout annuler pour ça. Quelle prenne un taxi. Ou toi et Papa, vous pouvez y aller. Où est le problème ? »
Valérie saffaissa sur une chaise. Ses jambes flageolaient. Elle nen croyait pas ses oreilles.
« Papa est au travail ! » Elle ne se retenait plus. « Je ne peux pas moccuper de trois enfants malades toute seule ! Tu ne comprends pas ? »
« Je ne peux pas, désolé. » Cette fois, Théo était coupant. « Ce nest pas mon problème. Les enfants, cest la responsabilité de Chloé. Quelle se débrouille. »
Valérie suffoqua dindignation. Comment osait-il ?
« Comment ce nest pas ton problème ?! » hurla-t-elle. « Cest ta famille ! Ta sœur ! Tu ne peux pas laider une seule fois ?! »
« Jai dit non. On doit se préparer, excuse-moi. » Il raccrocha.
Les tonalités coupèrent net. Valérie fixa lécran, incapable de réaliser ce qui venait de se passer. Ses mains tremblaient. Elle rappela. Pas de réponse. Une seconde fois. Silence.
Une rage brûlante montait en elle. Comment son fils avait-il pu faire ça ? Elle composa le numéro de sa belle-fille. Peut-être que Camille le raisonnerait.
« Allô, Valérie ? » répondit Camille aussitôt.
« Ma chérie » Valérie forçait sa voix à rester calme. « Pourquoi ne demandes-tu pas à Théo daider ? Ce sont ses neveux et nièces ! Ils sont malades ! Chloé est dépassée ! Tu devrais comprendre, toi, une femme »
Camille soupira. Son ton était détaché, presque indifférent.
« Valérie, les parents doivent gérer leurs problèmes seuls. Il y a des taxis, des urgences. Les enfants ne sont plus des bébés. Chloé est adulte, elle sen sortira. »
Valérie resta pétrifiée. Ces mots lui firent plus mal que le refus de Théo.
« Camille, tu imagines emmener trois enfants malades en taxi ?! Ils sont tout petits ! Chloé ne peut pas y arriver seule ! »
« Ce sont ses enfants, Valérie. » La voix de Camille resta glaciale. « On a organisé cette soirée depuis longtemps. On ne va pas la gâcher pour les problèmes des autres. »
La colère prit le dessus, pure et dévorante.
« Alors, quand vous aurez vos enfants, ne comptez pas sur nous ! » Valérie claqua le combiné.
Les jours suivants passèrent dans un brouillard. Valérie nappela pas Théo. Lui non plus ne donnait pas signe de vie. Elle essayait de ne pas y penser, mais la rancœur la rongeait.
La nuit, elle restait éveillée, ressassant cette conversation. Comment avait-il pu agir ainsi ? Où avait-elle échoué en tant que mère ?
Son mari essaya den parler plusieurs fois, mais elle lévitait. Elle devait comprendre seule ce qui avait mal tourné.
Le quatrième soir, elle ny tint plus. Elle partit chez Théo. Il fallait quelle le regarde en face et sache pourquoi il avait trahi sa famille.
Camille ouvrit la porte, surprise, mais seffaça sans un mot. Valérie entra, gardant même son manteau.
« Où est Théo ? » demanda-t-elle sèchement.
« Dans la chambre. » Camille désigna la porte.
Valérie louvrit dun coup. Théo leva les yeux vers elle. Une ombre passa dans son regard, vite remplacée par de la froideur.
« Maman ? Quest-ce qui se passe ? »
« Comment as-tu pu ?! » Sa voix tremblait de colère. « Abandonner des enfants malades ? Ta sœur ? Je ne tai pas élevé pour que tu deviennes un égoïste ! »
Théo se leva lentement, impassible.
« Maman, tu aurais pu appeler un taxi. Ou y aller toi-même. Je ne suis pas obligé de tout laisser tomber à chaque fois. » Il la fixa droit dans les yeux.
« Tu as oublié que Chloé ne nous parle plus ? Ce quelle raconte sur nous ? Depuis quon a acheté cet appartement. Elle nous évite, nous méprise Ça fait six mois, et soudain, elle a besoin daide ? »
Valérie resta sans voix. Elle ouvrit la bouche, puis la referma.
« Cest Cest juste » Elle balbutia. « Chloé vit dans un studio avec trois enfants. Toi et Camille, vous avez un deux-pièces, sans enfants. Bien sûr quelle est jalouse. Mais quelle ne vous salue plus, je ne savais pas Quest-ce quelle raconte ? »
Théo plissa les yeux. Camille, dans lencadrement de la porte, croisa les bras.
« Beaucoup de choses. Sur moi, sur Camille. Mais lappartement, ça la regarde pas. On la payé nous-mêmes. Et ses problèmes, elle na quà les régler seule. Sans impliquer ma famille. »
Valérie savança, les poings serrés.
« Quest-ce que tu racontes ?! Cest ta sœur ! Ta famille ! »
« Non, Maman. » Théo haussa le ton. « Ma famille, cest Camille. Chloé aurait dû réfléchir avant davoir trois enfants. Je ne suis pas son sauveur ! »
Valérie grimaça.
« Tu es égoïste ! Tu ne penses quà toi ! Ta sœur est débordée, et tu refuses de laider une seule fois ?! »
« Laider ? » Théo ricana. « Pourquoi jaiderais quelquun qui mignore depuis six mois ? On ne se parle plus ! Comment as-tu pu ne pas le remarquer ? »
Il reprit son souffle, plus bas cette fois :
« Mais à quoi bon ? Tu ne vois que Chloé. Ça a toujours été comme ça. Moi, je ne compte pas. »
« Tu es sans cœur ! » Valérie se détourna, incapable de le regarder. « Je ne tai pas élevé comme ça ! »
Elle quitta lappartement en trombe. Dans lescalier, elle sarrêta, le souffle court. Tout brûlait en elle. Comment avait-il pu lui parler ainsi ?
Le vent froid lui cingla le visage, sans apaiser sa rage. En marchant vers larrêt de bus, une pensée martelait son esprit : Où avait-elle échoué ? Comment avait-elle pu élever un tel homme ?
Mais au fond delle, là où elle nosait pas regarder, une inquiétude grandissait. Les mots de Théo sur Chloé. Sur leur rupture. Sur sa propre famille. Sur son sentiment dinvisibilité.
Valérie simmobilisa au milieu du trottoir. Les passants lévitaient. Et sil avait raison ? Si elle était responsable, en exigeant trop sans jamais voir ses besoins ?
Non. Elle secoua la tête violemment. Elle ne pouvait pas ladmettre. Elle était leur mère. Elle savait ce qui était juste.
Mais le doute était là, minuscule et aigu. À chaque pas vers chez elle, il grandissait.
Dans le bus, elle fixa la vitre. La vie défilait, indifférente. Quelque chose en elle sétait brisé.
Elle ne savait pas si elle pourrait un jour réparer. Si elle retrouverait son fils. Sils se pardonneraient.
Le bus cahotait. Valérie ferma les yeux. Peut-être que demain serait plus clair. Peut-être trouverait-elle les mots.
Ou peut-être était-il déjà trop tard
*La famille n’est pas un dû, mais un choix. Et parfois, ce sont ceux qui crient le plus fort qui ont le plus besoin d’être entendus.*







