**Journal intime Un bonheur teinté de mélancolie**
Dès le CP, Agathe, une jolie petite fille aux joues rondes et aux boucles rebelles échappées de ses nattes serrées, était secrètement amoureuse de Gabriel, le beau garçon de la classe parallèle. Hélas, il ne la remarquait même pas.
Gabriel était lélu de toutes. Grand, le teint mat, les traits fins, il dégageait une maturité physique rare à son âge. Les lycéennes en pâmaient, les collégiennes aussi. Même les professeures ne restaient pas insensibles à son charme. Brillant sans être un intello, on murmurait quil visait la Sorbonne ou Sciences Po. Il ne démentait pas. On chuchotait aussi quil avait déjà brisé des cœurs. Et Agathe laimait en silence.
En terminale, elle avait maigri, abandonné ses nattes pour laisser flotter ses cheveux blonds. Un jour, dans le couloir, Gabriel lavait remarquée. Il sétait arrêté, admirant sa silhouette délicate, ses longues jambes, sa cascade de cheveux. Son cœur avait bondi : *« Enfin ! »*
« Salut, Lefèvre », avait-il dit, la voix rauque.
Agathe avait souri, passé son chemin, fière comme une reine. Malgré son amour, elle gardait ses distances. Elle savait trop bien quelle avait des rivales.
Dès lors, Gabriel ne pensa plus quà elle. Il la croisait exprès, laccompagnait, linvitait au cinéma. Mais Agathe résistait.
Tout bascula au bal de Noël. Après plusieurs danses, il lui avoua son amour sous les étoiles. Elle céda enfin, le cœur battant.
Agathe vivait avec sa mère, une comptable sévère qui la sermonnait sur lhonneur et les conséquences des passions juvéniles.
Au printemps, leur amour éclata. Cachés, ils sétourdissaient de baisers jusquà ce quun jour, emportés par le désir, ils franchissent le pas. Puis ce fut lété, le bac, les adieux. Agathe sinscrivait à luniversité de Lyon, tandis que les parents de Gabriel lenvoyaient à Paris.
« Viens avec moi, implora-t-il. Mes parents menverront de largent, on louera un appart »
Sa mère refusa. Alors, Agathe fit ses valises, prit la moitié de lépargne cachée, laissa un mot et partit pour Paris.
Ils sinstallèrent ensemble. Elle jouait à la petite épouse heureuse, cuisinait, gérait le foyer. Quand ses parents appelaient, Gabriel mentait. Sa mère, elle, lui avait crié : « Si tu reviens enceinte, ne reviens jamais. »
Puis Agathe tomba enceinte. Le médecin lui apprit quun avortement risquait de la rendre stérile. Gabriel promit de soccuper deux.
« On nest pas mariés », murmura-t-elle.
« Et alors ? Le mariage, cest des frais inutiles. »
Elle accepta. Il était là, cétait lessentiel.
Ses parents débarquèrent un jour, furieux. Sa mère exigea un avortement, menaça de couper les vivres. Gabriel tint bon : « Si elle part, vous navez plus de fils. »
Ils cédèrent, à contrecœur.
Agathe accoucha dun petit garçon, Thomas. Elle mit ses études en pause, devint femme de ménage le soir. Gabriel finit ses études, mais quand elle évoqua le mariage, il haussa les épaules : « Tes obsédée par ce papier ? »
Un jour, elle trouva du rouge à lèvres sur sa chemise. Elle se tut. Il lavait aimé malgré tout, non ?
Puis vint la trahison. Un après-midi ensoleillé, elle le vit bras dessus, bras dessous avec une blonde hautaine.
« Cest qui, ça ? » ricana la blonde.
« Sa femme », répondit Agathe.
« Quelle femme ? Ya pas de papier qui le prouve. »
Il rentra à laube, fit ses valises. Elle ne pleura pas devant lui.
Un professeur compatissant, Édouard, lui proposa de lhéberger. « On peut même se marier, juste pour les apparences. »
Elle accepta. Sa vie sapaisa. Édouard était attentionné avec Thomas. Un jour, ils croisèrent Gabriel.
« Tu es plus belle que jamais », balbutia-t-il. « Je taime toujours »
« Tu mas laissée seule, sans un sou. Lui, au moins, prend soin de nous. »
Cette nuit-là, elle alla dans la chambre dÉdouard. Ce nétait pas comme avec Gabriel, mais elle ne regretta rien.
Peu importent les ragots. Elle avait un mari, Thomas un père. Le reste nétait que du vent.







