– Il t’a épousée, mais c’est moi qu’il aime – m’a avoué mon amie, sans oser croiser mon regard

«Elle t’a épousée, mais c’est moi qu’il aime,» murmura l’amie en évitant son regard.

«Marine, tu veux un café ?» demanda Élodie en allumant la bouilloire et sortant deux tasses du placard.

«Oui. Bien fort, j’ai la tête qui éclate,» répondit Marine en massant ses tempes avant de s’effondrer sur une chaise de cuisine.

Élodie versa le café en silence, puis se tourna vers son amie. Elles se connaissaient depuis plus de dix ans, depuis la fac, et Élodie savait toujours décrypter les humeurs de Marine. Ce matin-là, son visage était creusé par la fatigue, des cernes sombres sous les yeux, les cheveux négligemment attachés en queue-de-cheval.

«Tu es encore rentrée tard hier ?» demanda Élodie avec prudence.

Marine hocha la tête, fixant les motifs de la nappe en plastique.

«Jusqu’à une heure et demie sur ces rapports. Ils devaient être bouclés aujourd’hui, mais les chiffres ne collaient pas. Je rentre, et Théo dort déjà. Ce matin, je me lève, il est déjà parti au boulot. Comme ça depuis une semaine.»

Élodie posa devant elle une tasse fumante avant de sasseoir. Quelque chose détrange passa dans son regard, mais Marine ne le remarqua pas.

«Et sinon, ça va entre vous ? Depuis le mariage ?» demanda Élodie en remuant son sucre.

«Plutôt bien,» haussa Marine les épaules. «On shabitue. Tu sais, la première année est toujours la plus dure. Ma mère dit que cest la période dajustement.»

«Ajustement,» répéta Élodie, une pointe damertume dans la voix.

Marine leva enfin les yeux et scruta son amie.

«Élodie, quest-ce qui se passe ? Tu nes pas toi aujourdhui.»

«Rien, tout va bien,» balaya Élodie. «Juste fatiguée. Le boulot, les travaux à la maison. Jai la tête qui tourne.»

Mais Marine sentait déjà le piège. Elles se connaissaient trop pour se mentir. Ce regard, elle lavait déjà vu à la fac, quand Élodie lui avait avoué son coup de cœur pour leur prof de philo. La même lueur, la même tension.

«Élodie, dis-moi. On est amies,» insista Marine.

Élodie se leva, sapprocha de la fenêtre, contempla la cour un instant avant de se retourner brusquement.

«Marine, il faut que je te dise quelque chose. Mais je ne sais pas comment tu vas le prendre.»

«Quoi donc ?» Le cœur de Marine semballa.

«Cest à propos de Théo.»

«Théo ?» Marine reposa lentement sa tasse. «Il a un problème ?»

Élodie sapprocha, les yeux rivés au sol.

«On se voit. Depuis six mois.»

Marine se figea. Les mots mirent un temps à pénétrer.

«Comment ça, *vous vous voyez* ?»

«Comme ça. Après le travail. Les weekends où tu vas chez tes parents. Marine, je suis désolée, je ne voulais pas Cest venu comme ça.»

«*Comme ça* ?» La voix de Marine devint plus sourde, plus coupante. «Une tromperie, cest venu *comme ça* ?»

«Ne dis pas ça. On se comprend, cest tout. On parle, on se balade, on va au théâtre»

«Au théâtre,» répéta Marine, comme un écho. «Et au lit, cest aussi pour *se comprendre* ?»

Élodie rougit mais ne répondit pas. La réponse était là.

Marine se leva. Ses jambes tremblaient, mais sa fierté la maintint debout.

«Depuis quand ?» demanda-t-elle, surprise par son propre calme.

«Je tai dit. Six mois. Ça a commencé avant votre mariage, mais on avait essayé darrêter. On croyait que ça passerait. Et après le mariage il ma rappelée.»

«Après le mariage, il ta rappelée,» articula Marine lentement. «Donc pendant la lune de miel, il pensait à toi ?»

Élodie baissa encore la tête.

«Marine, je sais que ça te fait mal. Mais il ta épousée, alors quil maime. Et je laime aussi. On ne voulait pas te blesser, mais»

«Il ta épousée, mais cest moi quil aime,» répéta Marine, comme une sentence.

Un silence tomba dans la cuisine. Seul le tic-tac de lhorloge et le ronron du frigo brisaient le calme. Marine restait immobile au milieu de la pièce, Élodie toujours incapable de la regarder.

«Pourquoi tu me dis ça ?» finit par demander Marine. «Tu aurais pu continuer à te taire.»

«Je ne pouvais plus. Théo voulait te parler, tout avouer. Mais jai préféré que tu lapprennes par moi. On est amies»

«Amies,» ricana Marine. «Oui, de belles amies. Dix ans damitié, et voilà le résultat.»

«Marine, comprends, on ne choisit pas qui on aime. Ça arrive. Ce nétait pas calculé»

«Pas calculé ?» La voix de Marine se brisa. «Pas calculé, quand tu es venue à mon mariage en me souhaitant du bonheur ? Pas calculé, quand tu me demandais des nouvelles de notre couple ? Pas calculé, quand tu me conseillais dêtre patiente avec lui ?»

«Je voulais que ça marche entre vous, vraiment. Mais je nai pas pu men empêcher. Je laime.»

«Et lui ?»

Élodie releva la tête, et Marine y lut la réponse qui lui brisa le cœur une bonne fois pour toutes.

«Oui,» chuchota Élodie. «Il maime. Il dit quil la compris trop tard. Quand il ny avait plus moyen de revenir en arrière.»

«Pourquoi ? Un mariage, ce nest pas une condamnation. Il pouvait dire non.»

«Il avait peur de te faire de la peine. Il croyait que lamour viendrait avec le temps. Tu es gentille, douce, tout le monde disait que vous étiez faits lun pour lautre.»

«Faits lun pour lautre,» murmura Marine en se rasseyant, les jambes flageolantes. «Donc il ma épousée par pitié ?»

«Pas par pitié. Par respect. Il testime, il tient à toi»

«Mais il ne maime pas.»

«Non. Désolée.»

Marine cacha son visage dans ses mains. Un brouillard emplissait sa tête. Six mois de mariage, et pendant tout ce temps, son mari voyait sa meilleure amie. Tous ces mensonges sur le travail, ces retards. Tout prenait sens maintenant.

«Où est-ce que vous vous voyiez ?» demanda-t-elle sans relever la tête.

«Chez moi. Parfois dans un café à lautre bout de Paris.»

«Chez toi,» répéta Marine. «Dans cette cuisine où on est assises là ?»

Élodie se tut, mais son silence en disait assez.

Marine se leva, attrapa son sac.

«Où tu vas ?» saffola Élodie.

«Chez moi. Parler à mon mari.»

«Marine, attends. Parlons-en calmement. On peut trouver une solution.»

«Quelle solution ?» Marine se retourna sur le seuil. «Tu proposes quon vive à trois ? Ou que je te le cède généreusement en gardant mon rôle damie *compréhensive* ?»

«Je ne sais pas. Mais je ne veux pas te perdre. Tu comptes pour moi.»

«*Comptais*. Jusquà ce que tu couches avec mon mari.»

«Marine !»

Mais Marine était déjà dehors, sourde aux appels de son amie.

Dans le bus, elle fixa la vitre sans voir le paysage défiler. Une phrase tournait en boucle dans sa tête : *Il ta épousée, mais cest moi quil aime.*

Lappartement était silencieux. Théo ne rentrerait pas avant deux heures. Marine sassit sur le lit conjugal, essayant de se souvenir des signes quelle avait ignorés. Son absence, ses silences, le manque de proximité. Elle avait tout mis sur le compte de la fatigue.

Puis dautres détails lui revinrent. Les questions dÉlodie sur leur couple. Les appels de Théo pour annoncer un retard. Les invitations déclinées par son amie.

Dans le miroir, elle vit un visage ordinaire. Pas une beauté, mais pas repoussante non plus. Douce, serviable, organisée. Le genre de femme que beaucoup dhommes rêvent dépouser. Sauf que pas tous, visiblement.

La clé dans la serrure la fit sursauter. Théo rentrait plus tôt que dhabitude.

«Marine, tu es là ?»

«Oui.»

Il entra dans la chambre, lembrassa sur la joue comme chaque soir. Un homme ordinaire de trente ans, si cher à ses yeux. Enfin, *jusquà aujourdhui.*

Au dîner, Théo parla du travail, se plaignit de son patron, évoqua leurs projets pour le weekend. Marine lécouta, songeant quil jouait un rôle. Pour qui ? Pour lui ? Pour elle ?

«Théo,» lâcha-t-elle quand il eut fini.

«Oui ?»

«Élodie ma dit quelque chose aujourdhui.»

Il simmobilisa, la fourchette en lair, avant de la reposer lentement.

«Quoi exactement ?»

«Que vous vous voyez.»

Il ferma les yeux, soupira.

«Cest elle qui ten a parlé ?»

«Oui. Il y a une demi-heure. Dans sa cuisine, sur cette même nappe où vous dîniez sans doute.»

«Marine»

«Épargne-moi les explications. Dis-moi juste : cest vrai ?»

«Oui. Je voulais te le dire moi-même. Ça fait plusieurs jours que jy pense.»

«Plusieurs jours. Alors que ça dure depuis six mois.»

«Oui.»

«Dès le début de notre mariage ?»

«Avant. On avait essayé darrêter, mais»

«Mais lamour était trop fort,» acheva Marine.

Théo se leva, sapprocha de la fenêtre.

«Je ne voulais pas que ça arrive. Vraiment. Mais je laime.»

«Et moi ?»

Un long silence. Puis :

«Non. Je croyais que ça viendrait. Tu es bien, je te respecte, mais On ne commande pas à lamour.»

«Pourquoi tu mas épousée ?»

«Tu le voulais tellement. Tout le monde disait que cétait le moment. Je me suis dit : pourquoi pas ? Avec toi, cest calme, stable.»

«Calme et stable,» répéta Marine. «Comme un compte en banque.»

«Ne dis pas ça. Je ne voulais pas te blesser.»

«Et comment as-tu fait ? Six mois de mensonges, de fausse intimité. Tu crois que ça ne fait pas mal ?»

Il se retourna, et elle vit dans ses yeux de la confusion, et comme de la honte.

«Si. Je sais. Et pour moi aussi cest dur. Mentir tous les jours, jouer les maris heureux.»

«Dur. Je vois. Et maintenant, tu proposes quoi ?»

«Je ne sais pas. Divorcer, sans doute.»

«Sans doute,» acquiesça Marine. «Et épouser Élodie ?»

«Si elle veut.»

«Elle voudra. Elle taime. Et toi aussi. Tout est simple.»

Marine débarrassa la table, les mains tremblantes mais déterminées.

«Marine,» appela Théo.

«Oui ?»

«Pardonne-moi. Je sais que cest ignoble. Mais je nai pas pu faire autrement.»

«Si.» Elle ne se retourna pas. «Tu pouvais ne pas mépouser. Me dire la vérité tout de suite. Ne pas mentir pendant six mois.»

«Javais peur de te faire souffrir.»

«Et tu mas fait encore plus mal.»

Il ne répondit rien, faute darguments.

Cette nuit-là, ils dormirent chacun à leur bord du lit. Marine écouta sa respiration, songeant quhier encore, cet homme était son mari. Aujourdhui, un étranger. Une seule phrase avait tout réduit en miettes.

Le lendemain, Théo partit sans un mot. Marine appela son patron, prétexta une maladie. Elle avait besoin de temps.

En marchant dans lappartement, elle tenta didentifier ce quelle ressentait. De la douleur, de la colère. Mais aussi un étrange soulagement. Enfin, plus de faux-semblants.

Élodie appela vers midi.

«Marine, on peut parler ?»

«De quoi ?»

«De tout. Je veux mexpliquer.»

«Tu tes assez expliquée hier.»

«Pas tout. Écoute-moi, sil te plaît.»

Marine raccrocha presque, mais la curiosité lemporta.

«Alors ?»

«On se voit ? Cest difficile au téléphone.»

«Je suis bien comme ça. Parle ou ne mappelle plus.»

Un silence. Puis Élodie se lança, précipitamment :

«Je navais pas prévu de tomber amoureuse. Je te jure. On a juste discuté, à ton anniversaire. Tu te souviens, tu étais partie chercher le gâteau. Il ma parlé de ses doutes avant le mariage. Quil nétait pas sûr de ses sentiments. Et moi jai réalisé quil me plaisait. Beaucoup.»

«Et ensuite ?»

«On sest revus. Juste pour parler, au début. Il disait quil ne pouvait pas être honnête avec toi, peur de te blesser. Avec moi, il se confiait. Et je suis tombée amoureuse.»

«Et tu as décidé de me le piquer.»

«Non ! Jai essayé de le dissuader de tépouser sil ne taimait pas. Mais il a dit quil ne pouvait pas te laisser tomber.»

«Chevaleresque,» commenta Marine sèchement.

«Je sais que jai mal agi. Mais que pouvais-je faire ? Minterdire daimer ?»

«Partir. Disparaître.»

«Jai essayé. Après le mariage, deux mois sans contact. Mais cest lui qui ma recontactée.»

«Et tu as cédé.»

«Oui. Parce que je souffrais aussi.»

Marine écouta, songeant quà une autre époque, elle aurait eu pitié. Laurait comprise, peut-être pardonnée. Mais aujourdhui, son cœur était vide.

«Élodie,» dit-elle. «Tu as ce que tu voulais. Théo est à toi. Pourquoi exiger aussi mon pardon ?»

«Parce que tu comptes pour moi. Je ne veux pas te perdre.»

«Tu mas déjà perdue. Le jour où tu as couché avec mon mari.»

«Marine»

«Cest tout. On nest plus amies. Ne mappelle plus.»

Elle raccrocha, éteignit son téléphone.

Ce soir-là, quand Théo rentra, elle lattendait avec une valise.

«Jai fait tes affaires,» dit-elle calmement. «Je demande le divorce demain.»

Il hocha la tête, prit la valise.

«Où je vais habiter ?»

«Chez Élodie, sans doute. Ou loue un appart.»

«Marine,» il hésita à la porte. «Si tu as besoin daide pour les papiers»

«Je me débrouillerai.»

«Daccord. Encore désolé.»

«Déjà pardonné,» dit-elle en refermant la porte.

Puis elle seffondra sur le canapé et pleura. Pour la première fois depuis des jours. Longuement, jusquà lépuisement. Et quand les larmes tarirent, elle se sentit libre. Pour la première fois depuis six mois.

Le divorce fut rapide, sans disputes. Théo ne réclama pas lappartement que Marine tenait de ses parents, elle ne demanda pas de pension. Ils se séparèrent en silence, presque amicalement.

Un mois plus tard, Marine apprit que Théo et Élodie vivaient ensemble. La nouvelle ne lui fit plus mal. Elle fut même surprise de son indifférence envers ces gens qui, si récemment encore, comptaient tant pour elle.

Et un mois plus tard, lors dune balade dominicale, elle croisa un homme promenant son chien. Il laida à ramasser ses courses tombées, ils discutèrent. Ils avaient beaucoup en commun. Surtout, il la regardait comme Théo ne lavait jamais fait.

«On prend un café ?» proposa-t-il.

«Pourquoi pas,» répondit Marine en souriant, songeant que la vie ne faisait que commencer.

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