Tu peux m’appeler papa

Tu peux mappeler papa.

Maman, tu es encore de son côté ? demanda Océane, debout face à sa mère, les lèvres tremblantes, les larmes prêtes à couler.

Océane, quest-ce que tu veux dire par « encore » ? Et puis, tu as tort, ma fille, vraiment tort ! rétorqua Irène, la mère de la jeune fille.

Maman, cétait ma nourriture ! On en avait discuté, et je ne suis pas millionnaire pour nourrir un étranger ! sindigna Océane, cette fois sans retenir ses larmes.

Quelle ingrate ! Je tai élevée, nourrie, et maintenant tu me fais une scène pour un bout de fromage et du saucisson ? lança depuis sa chambre la voix avinée de Nicolas, le beau-père dOcéane.

Exactement ! Tu nas pas honte ? approuva Irène.

La jeune fille cacha son visage dans ses mains. Les larmes coulaient librement maintenant. Ces derniers temps, sa vie était devenue un véritable enfer

Le père dOcéane avait quitté la famille alors quelle navait pas encore trois ans. Comme Irène le racontait plus tard, elle et Vincent cétait le nom de lhomme ne sétaient jamais vraiment aimés. Après une brève romance, Irène était tombée enceinte, et les parents de Vincent lavaient forcé à lépouser. Mais labsence damour avait pesé sur leur mariage. Ils avaient tenu deux ans à peine avant que Vincent ne fasse ses valises et ne disparaisse.

Irène sétait alors consacrée entièrement à sa fille. Elles vécurent ainsi toutes les deux jusquaux douze ans dOcéane. Un matin, Irène annonça à son ado quelles devaient parler sérieusement.

Océane, tu es grande maintenant, tu comprends beaucoup de choses commença-t-elle avec prudence.
Oui répondit la jeune fille, un peu incertaine.
Jai rencontré un homme et je laime. Nous avons décidé de nous marier, et il va bientôt emménager ici. Jespère que ça ne te dérange pas.

Océane accueillit la nouvelle sans enthousiasme, mais sans chagrin non plus. Elle savait que plusieurs de ses camarades de classe vivaient avec des beaux-pères et que ça se passait bien. Après tout, personne nen était mort.

Mais quand Nicolas fit son apparition dans leur appartement parisien, Océane le détesta aussitôt. Son physique comme ses manières laissèrent une impression désagréable.

Tu peux mappeler papa, déclara-t-il demblée.

Océane hocha la tête en silence, mais ce mot ne passa jamais ses lèvres. Dès le début, Nicolas affirma : « Moi, on ne ma pas gâté gamin, alors je ne vais pas céder à tous les caprices dun enfant. » À partir de ce moment, la vie dOcéane devint un calvaire.

Maman, je vais à la bibliothèque avec Amélie, puis on ira se promener, annonça un jour Océane.

Tiens donc, la petite chef ! Irène, tu te laisses marcher dessus. Cette morveuse va finir par te monter sur la tête ! sexclama Nicolas.

Je ne suis pas une morveuse ! se défendit Océane, tandis quIrène continuait de faire la vaisselle sans broncher.

Tu vas te taire ! Une heure pour la bibliothèque, et tu rentres. Si tu nes pas là à 15 heures, tu passeras la journée à genoux sur des petits pois. Histoire que tu apprennes à répondre et à traîner nimporte où !

Maman, je sors ! insista Océane.

Ma chérie, écoute ton père. Après tout, cest lui le chef de famille, répondit Irène.

Depuis larrivée de Nicolas, Océane ne souhaitait quune chose : quil parte en voyage daffaires. En son absence, elle pouvait enfin respirer, inviter des amies, et vivre en paix.

Six longues années passèrent ainsi. Océane eut dix-huit ans et fut admise à luniversité. Elle pensait alors que la liberté était enfin à portée de main. Une chambre en cité universitaire, et elle pourrait enfin quitter cet appartement devenu invivable.

Mais sa joie fut de courte durée :

Les logements sont réservés aux étudiants venant dautres régions. Il ny a plus de place, annonça-t-on à Océane et aux autres candidats.

Jaurais dû minscrire dans une autre ville, murmura-t-elle en rentrant chez elle.

En septembre, Océane se lia damitié avec deux camarades de promo qui voulaient aussi quitter leurs parents. Elles trouvèrent un studio à louer à trois.

Maman, je veux vivre seule. Cest plus près de la fac, et puis

Encore une idée comme ça ! Vous allez en faire je ne sais quoi, cette chambre ! Des garçons à tous les étages, et tes études à la trappe ! intervint Nicolas.

De quoi je me mêle ? rétorqua Océane.

Comment oses-tu parler ainsi à ton père ? Ta bourse suffira à peine pour le pain, et qui paiera le loyer ? Ta mère est à mi-temps, on a réduit mon salaire, et toi, tu veux un appartement ? Tu ne toucheras pas un centime !

Je travaillerai ! cria Océane avant de claquer la porte de sa chambre.

Mais elle ne trouva pas de travail le soir, et lidée dun logement indépendant sévanouit

Un matin, Océane fut réveillée par du bruit dans lentrée. Elle découvrit un inconnu dans les bras de Nicolas.

Ah, Océane, je te présente. Mon fils, Matthieu. Il vivait avec sa mère en campagne, mais il vient sinstaller à Paris. Avec nous.

Et où va-t-il dormir ? On a deux chambres, juste.

Pas de souci, je squatterai la cuisine sur un lit pliant. On verra plus tard répondit Matthieu avec aplomb.

Océane, horrifiée, en parla à sa mère :

Maman, comment va-t-on vivre à quatre dans ce deux-pièces ?

Ma chérie, on fera avec. À plusieurs, cest plus gai.

Tes sérieuse ?

Écoute, cest Nicolas qui nous fait vivre. Je ne veux pas le contrarier. Laisse Matthieu sinstaller.

Maintenant, Matthieu dormait dans la cuisine. Impossible de prendre son petit-déjeuner tranquillement. Océane partait le ventre vide. Le soir, Nicolas et Matthieu étaient déjà attablés.

Hé, petite sœur, viens manger avec nous ! lança un jour Matthieu.

Laisse-moi tranquille !

Comment parles-tu à ton aîné, sale gamine ? gronda Nicolas, encore éméché.

Papa, calme-toi. Océane, viens là. Matthieu lattrapa par les épaules.

Lâche-moi, crétin ! Océane séchappa en pleurs.

Elle sanglota toute la soirée et le lendemain, elle aborda sa mère :

Maman, cet appartement, cest papa qui la acheté, non ?

Oui répondit Irène, méfiante.

Donc il est aussi à moi ?

En quelque sorte Pas légalement, il est à moi, mais tu es ma fille et Pourquoi ?

Je ne veux plus voir cet homme et son fils chez nous ! Quils dégagent !

Ah, cest ça ! Ingrate ! Tu nauras plus un sou de moi ! Achète ta nourriture avec ta bourse ! Tu la dépenses en fringues ! cria Nicolas.

Dès lors, Océane mangea à part. Elle économisait chaque euro, mais Nicolas et Matthieu pillaient son frigo sans gêne. Le fromage et le jambon quelle venait dacheter furent la goutte deau.

Maman,

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