*»Mon Dieu, ma fille ma annoncé que je devais quitter mon appartement demain.»*
La bouilloire chantonnait doucement sur la plaque, tandis quHélène triait ses sachets de thé. Camomille, menthe, noir à la bergamote Victoire les avait rapportés de son dernier voyage à Londres. Hélène sourit en se rappelant le jour où sa fille lui avait offert cet appartement, cinq ans plus tôt, avec des airs de cérémonie.
*»Maintenant, maman, tu auras ton chez-toi,»* avait déclaré Victoire en lui tendant les clés. *»Plus jamais de chambres en location.»*
La vieille cuisine était vite devenue son refuge. Tout y respirait la douceur du quotidien : la toile cirée usée sur la table, les pots de géraniums sur le rebord, même la fissure dans le carrelage près de la cuisinière lui était familière. Elle sapprêtait à verser son thé quand on sonna à la porte.
Sur le seuil se tenait Victoire tailleur strict, coiffure impeccable, regard aussi froid quun matin de janvier.
*»Maman, il faut quon parle.»*
Hélène recula pour la laisser entrer. Quelque chose dans sa voix lui serra le cœur.
*»Entre, ma chérie. Je viens de préparer ton thé préféré, celui que tu as rapporté.»*
*»Non, merci,»* répondit Victoire, restant plantée au milieu de la cuisine. *»Je ne reste pas. Maman, tu dois libérer lappartement. Pour demain.»*
Hélène resta figée, la bouilloire en équilibre. Elle devait avoir mal entendu.
*»Pardon ?»*
*»Lappartement doit être vide. Demain. Je ne peux plus attendre.»*
Le thé brûlant lui coula sur la main, mais elle ne sentit rien.
*»Victoire, je ne comprends pas Cest chez moi. Cest toi qui»*
*»Cest juste un appartement, maman,»* coupa-t-elle en consultant son téléphone. *»Tu y as vécu, mais je ne peux plus te loger.»*
*»Me loger ?»* Hélène eut un rire nerveux. *»Ma chérie, je paie les charges, je fais le ménage»*
*»Maman, épargne-moi ça,»* soupira Victoire en fronçant les sourcils. *»Cest décidé. Laisse les clés sur la table.»*
Elle se retourna pour partir, mais Hélène lattrapa par le bras :
*»Attends ! Explique-moi au moins Pourquoi ? Quest-ce qui sest passé ?»*
*»Rien. Juste des affaires, maman. On peut le louer plus cher.»*
La porte claqua. Hélène resta seule, les oreilles bourdonnantes. Elle sassit lentement sur une chaise, fixant la flaque de thé renversé où dansaient les reflets du soleil couchant.
Comme en rêve, elle se leva et se dirigea vers sa chambre. Aux murs, des photos : Victoire rayonnante en robe de diplômée, toutes deux sur une plage où sa fille bâtissait un château de sable sous son rire complice. Elle avait vendu sa maison de campagne pour financer ses études. Était-ce un sacrifice ? Non. Juste lamour.
*»Ma fille»* murmura-t-elle en effleurant une photo. *»Comment en est-on arrivées là ?»*
La nuit tomba. Mécaniquement, Hélène entassa ses affaires dans une vieille valise, sarrêtant parfois pour caresser un détail familier : la peinture écaillée quelle navait jamais repeinte, la douce lumière de sa lampe préférée, lombre des géraniums sur le mur Chaque chose lui parut soudain infiniment précieuse.
Au fond delle-même, une lueur despoir : demain, son téléphone sonnerait, Victoire avouerait une erreur, une mauvaise blague. Mais le téléphone resta muet, et les aiguilles de lhorloge comptèrent les dernières heures dans ce quelle croyait être son foyer.
La première nuit fut étouffante. Hélène, assise sur un banc de parc, serrait sa valise usée contre elle en regardant les étoiles. Là-haut, dans des appartements chaleureux, des gens dormaient paisiblement. Et elle *Mon Dieu, comment ai-je pu en arriver là ?*
Elle avait laissé les clés sur la table de cuisine, soigneusement nettoyées. Bizarrement, il lui semblait important quelles brillent. Peut-être que Victoire remarquerait et se souviendrait comme sa mère veillait toujours aux détails.
*»Bonsoir,»* gronda une voix rauque à côté delle. Hélène sursauta. Un homme barbu, vêtu dune veste usée, sassit à lautre bout du banc. *»Ne craignez rien, je minstalle juste. Vous passez la nuit ici ?»*
Elle serra sa valise.
*»Non, je je prends lair.»*
Lhomme ricana :
*»À trois heures du matin ? Avec une valise ?»*
*»Eh oui,»* tenta-t-elle de sourire, mais ses lèvres tremblaient. *»Je adore les promenades nocturnes.»*
*»Bien sûr,»* dit-il en sortant une pomme de sa poche. *»Vous en voulez ? Elle est propre, je lai lavée à la fontaine.»*
Hélène secoua la tête, mais son estomac traîtreusement grondait. Elle navait rien mangé depuis la veille.
*»Je mappelle Sébastien,»* poursuivit-il en croquant dans la pomme. *»Trois mois dans la rue. Ma femme ma mis dehors. Et vous ?»*
*»Ma fille,»* répondit-elle, surprise par sa propre franchise.
*»Ah,»* il hocha la tête. *»Les enfants daujourdhui Mon fils est aux États-Unis. Ça fait deux ans que jattends un coup de fil.»*
Au petit matin, le froid la réveilla. Sébastien était parti, lui laissant une deuxième pomme et ladresse dun foyer. *»Cest chaud là-bas,»* avait-il dit. *»Et parfois, ils servent à manger.»*
Elle se leva, les jambes engourdies. Où aller ? Pas au foyer, pas encore Peut-être chez Jeanne ? Sa voisine si accueillante, qui venait parfois prendre le thé
Sonner à la porte du cinquième étage lui coûta. Hélène leva et baissa la main plusieurs fois avant doser.
*»Hélène ?»* Jeanne apparut en peignoir bariolé. *»Mon Dieu, quest-ce qui tarrive ? Tu es livide !»*
*»Jeanne»* Sa voix tremblait. *»Je peux rester chez toi quelques jours ?»*
Dans la petite cuisine de Jeanne, lodeur de sucre glace flottait. Elle aimait se faire des petits gâteaux le matin.
*»Je te lavais dit,»* soupira Jeanne en écoutant son histoire. *»Tu las trop gâtée. Tu te souviens quand elle ta parlé mal à ton anniversaire ? Et toi, toujours «ma chérie, ma chérie»»*
*»Jeanne, sil te plaît»*
*»Non, Hélène !»* Jeanne cogna sa tasse sur la table. *»Combien de temps vas-tu te mentir ? Elle a toujours été comme ça. Et tes économies pour son mariage ? Elle na même pas dit merci !»*
Hélène regarda par la fenêtre où la ville séveillait. Là-bas, des gens pressés avaient une maison, une famille, une certitude
*»Tu ten sortiras, Hélène,»* Jeanne posa une main sur son épaule. *»Tu as toujours su rebondir.»*
Trois







