«Papa vit heureux avec une autre, et maman sombre dans la dépression. Est-ce vraiment de sa faute ?»

Papa menait une vie heureuse avec une autre, tandis que maman sombrait dans la dépression. Était-ce sa faute, à lui ?

Ce soir-là, papa était rentré du travail, avait dîné, puis sétait laissé aller à rire devant la télévision, où passait un spectacle de Coluche. Dun ton détaché, comme sil annonçait la météo, il avait lâché : « Sophie, je pars. » Et il était parti. Pour une autre.

Une histoire banale, hélas, parmi tant dautres

Les souvenirs denfance de Léa se résumaient à deux images : le dos de sa mère, fragile sous sa chemise de nuit, les omoplates saillantes comme celles dun enfant, et la voiture flambant neuve de son père.

Le dos de maman, allongée sur le canapé du salon, était le symptôme le plus flagrant de sa dépression. Mais Léa ne lapprit que bien plus tard.

Dans les années 80, dans leur petite ville de province, personne ne parlait de dépression. Pas même les médecins du dispensaire, qui tentaient de la secouer avec des injections de vitamines et des encouragements bienveillants : « Vous avez une fille, madame, ce nest pas digne de rester couchée toute la journée. »

Pourtant, cétait bien une dépression. Un trouble dépressif majeur, qui sabattait sur elle comme une ourse noire, lui volant toute joie, tout appétit, tout sommeil, jusquà la force de bouger. Maman parlait à peine, et quand elle le faisait, ses mots étaient mornes, plats, comme vidés de vie.

Sans mamie, elles nauraient pas survécu.

Maman, autrefois si vive et gaie, sétait transformée en une silhouette recroquevillée sur le canapé par une soirée de mai. Ce soir-là, papa était rentré, avait dîné, ri devant Coluche à la télé, puis avait annoncé calmement : « Sophie, je pars. » Et il était parti.

Léa avait sept ans. Elle se souvenait de lirréalité de ce moment : les rires à la télé, que personne navait éteinte, et maman, le visage contre le mur, qui pleurait. Est-ce que ça existait, des choses comme ça ?

Dès lors, Léa ne parla plus vraiment à sa mère. Ou plutôt, à lombre triste que sa mère était devenue.

Papa revint deux ans plus tard. Une autre soirée de mai. Il ouvrit la porte avec sa clé, jeta un regard vers le salon où dormait son ex-femme, puis fit un clin dœil complice à Léa : « Viens à la cuisine, on ne nous entendra pas. » Mamie était sortie.

Dans la poitrine de Léa, un espoir tremblait. Dans le sourire de son père, elle crut lire des excuses, la promesse dune vie meilleure, peut-être même le rétablissement de maman.

« Regarde, Léa. » Il la mena à la fenêtre. Elle colla son nez contre la vitre, sattendant à un miracle. Il nétait pas resté absent si longtemps pour rien, si ?

Dans la cour, une Renault flambant neuve étincelait. Papa rayonnait presque autant que sa voiture :

« Elle te plaît, ma puce ? »

« Beaucoup ! »

« Cest ma Renault ! Je me la suis offerte ! »

Il lui rappela lhomme des cavernes dun dessin animé quelle avait vu la veille. Un Néandertalien, parlant par phrases hachées, sans se soucier des sentiments des autres. Comme son père.

Il ne se demandait pas comment allait maman. Il ignorait tout des deux dernières années de Léa. Il ne savait pas quelle avait commencé le conservatoire. Ne sintéressait pas à ses notes. Et bien sûr, ne sétait jamais demandé ce quelle ressentait.

La colère. Lincompréhension. La peur. Un nœud de sentiments confus, douloureux, que Léa ne savait pas démêlerpersonne ne lui avait appris. Alors elle lavait enfoui au plus profond delle-même, où il ne faisait que lui rappeler, par une douleur sourde, quil était là.

Papa jubilait comme un gamin : « Une Renault ! Neuve, tu te rends compte ? Jen ai rêvé toute ma vie ! »

Léa ne comprenait pas.

Alors sa joie séteignit. Il sortit de la cuisine à reculons, comme un voleur, referma doucement la porte. Dehors, il marcha vers sa voiture.

Léa se fit une promesse : sil se retournait, sil la regardait une dernière fois à travers la fenêtre, elle lui pardonnerait. Elle essaierait de comprendre sa joie devant cette voiture neuve, malgré le vide dans sa poitrine, malgré la maladie de maman.

Il ne se retourna pas. Il monta dans sa voiture et repartit. Pour toujours.

Léa grandit. Devint psychiatre. Dommage que mamie nait pas vu le jour où elle arriva dans la cour au volant de sa propre voiture neuve. Enfin, si. Elle se répéta : mamie Louise voyait tout, depuis le ciel. Elle devait en être fière.

Mais ça, cétait plus tard. Dabord, elle avait fait hospitaliser maman dans une bonne clinique, où elle avait été soignée. Maman avait recommencé à vivre. À regarder le monde, et non plus le mur tapissé dun vieux papier peint.

Mais Léa ne pardonna jamais à son père.

Parce quil ne sétait pas retourné, ce soir de mai, quand il était parti pour de bon.

Оцените статью
«Papa vit heureux avec une autre, et maman sombre dans la dépression. Est-ce vraiment de sa faute ?»
Prends ta mère et partez» – Exigea la belle-fille dans la maternité