**La Mer des Doutes**
Il faisait déjà nuit, la pluie venait de tomber, et à travers la vitre, Hélène apercevait son reflet flou une femme à lâme tourmentée. Depuis plusieurs mois, elle était déchirée entre deux hommes. Entre le devoir et la passion. Entre le passé et lavenir.
Le premier, cétait Antoine, son mari. Avec lui, elle se sentait en sécurité, réconfortée, chaotique. En six ans de vie commune, il avait bâti autour delle une forteresse douillette et rassurante. Le second Dans ses pensées, elle lappelait simplement « le garçon ». Il était plus jeune, et ce mot contenait toute la tendresse immense et effrayante quelle nosait même pas libérer dans ses rêves les plus fous.
Antoine, cétait une amie qui les avait présentés.
Après une rupture ridicule avec un camarade de classe qui avait préféré sa meilleure amie, Hélène avait mis longtemps à sen remettre. Elle sétait renfermée, décidée à vivre sans relations. Elle se croyait condamnée à jouer les figurantes dans les histoires damour des autres. Pas de déclarations enflammées, pas de bouquets de fleurs, pas de nuits blanches de bonheur juste la grisaille du quotidien.
Jusquà ce soir où son amie lui désigne Antoine lors dune soirée :
« Regarde, cest cet architecte dont je tai parlé. Intelligent, prometteur. Et surtout solide comme un roc. »
Antoine paraissait plus âgé quil ne létait, habillé sobrement, presque à lancienne. Mais dès quil ouvrit la bouche, le monde sembla basculer. Cétait un excellent interlocuteur, cultivé, ironique, ses traits desprit étaient précis sans être blessants. Au bout dune heure, Hélène avait limpression que cet homme la voyait à travers.
« Vous, Hélène, vous ressemblez à un tableau préraphaélite vivant, dit-il en la quittant, admirant son visage. Aussi inaccessible que mélancolique. »
Elle avait dû chercher qui étaient les préraphaélites et sémerveiller des connaissances dAntoine en histoire de lart. Ce nétait que le début. Larchitecte sétait montré persévérant, et Hélène, épuisée par la solitude et le manque de reconnaissance, avait cédé presque immédiatement. Deux mois plus tard, elle emménageait chez lui.
Ses parents nétaient pas convaincus.
« Ma chérie, tu es sûre ? insistait sa mère. Tu ne le regardes pas avec des yeux amoureux, mais avec ceux dun petit chat recueilli dans une bonne famille. »
Hélène nétait pas vexée, elle haussait les épaules. Quels doutes pouvait-elle avoir ?
Six mois plus tard, ils se mariaient. Antoine avait construit un monde parfait autour delle. Il la protégeait des tracas du quotidien, des soucis, de toutes les tempêtes. Il lappelait sa Princesse et se présentait comme son Chevalier Fidèle. Elle avait pensé que de tels hommes nexistaient plus.
« Pourquoi cuisinerais-tu ? disait-il en sactivant dans la cuisine. Ta vocation est dêtre heureuse, dinspirer ton mari. Repose-toi. »
Elle se délectait de cette attention, sépanouissait dans ce rôle impeccable dune pièce parfaite. Pourtant, quand elle évoquait lidée denfants, imaginant le père attentionné quil serait, Antoine larrêtait doucement :
« Ne précipitons pas le bonheur, Princesse. Ne sommes-nous pas bien à deux ? »
Cinq années sétaient écoulées ainsi.
Cette vie calme et réglée sétait fissurée le jour où Hélène avait littéralement percuté un jeune homme à la porte dun centre daffaires. Elle était en retard pour une présentation importante et sétait heurtée à quelquun de ferme et élastique.
« Oh, excusez-moi ! » avait-elle soufflé en levant les yeux.
Devant elle se tenait un jeune homme qui ressemblait à un acteur. Cheveux blonds, yeux rieurs et profonds comme locéan.
« Ce nest rien, avait-il souri. Pas de catastrophe. On y va ? »
Hélène avait hoché la tête et sétait élancée, sentant son regard posé sur son dos. Pendant sa présentation, elle lavait aperçu dans la salle. Il était au premier rang, souriant, les yeux plantés dans les siens. Sous ce regard, sa voix sétait brisée.
Il lattendait au vestiaire.
« Vous êtes partie si vite que jai cru que vous étiez encore en retard. Je peux vous déposer ? Cette fois, sans collision. »
Toujours si raisonnable, si prudente, elle avait soudain accepté.
***
Hélène avait perdu la tête. Elle avait oublié comment naissait la passion. Comment le monde entier se réduisait soudain à une seule personne, au son de sa voix, à son sourire. Quand une simple phrase comme « Comment sest passée ta journée ? » devenait la plus belle des musiques
« Avec toi, cest comme si je voyais clair, lui avait-elle dit un jour.
Et moi, comme si je respirais enfin à pleins poumons, avait-il répondu. »
Il sappelait Léo. Pas « le garçon », bien sûr. Léo ! Fort, intrépide. Après quelques mois de rencontres passionnées, elle était prête à tout quitter pour lui.
Mais
Dabord, sa mère était tombée gravement malade. Comment aurait-elle pu assombrir sa convalescence avec lannonce dun divorce ? Ils avaient attendu. Puis, ce fut le tour dAntoine une chute, une jambe cassée, plusieurs mois de plâtre. Bien sûr, Hélène avait encore reporté la discussion difficile. Le rôle dinfirmière, de soutien, lui offrait une excuse légitime.
Quand Antoine, son Chevalier, boitillait encore avec sa canne, sa passion pour Léo commençait à séteindre, cédant la place à la raison. Son esprit séveillait : « Ne te précipite pas, réfléchis, pèse le pour et le contre. Antoine, cest la sécurité. Cest ton foyer. » Mais son cœur, son cœur déchiré, hurlait de désespoir : « Léo ! »
Lui, cependant, devenait de plus en plus exigeant, perdant patience, lappelant sans cesse. Un jour, Hélène se préparait devant le miroir, prétendant avoir une réunion professionnelle. En réalité, Léo lattendait déjà sur le parking.
Antoine sapprocha par-derrière et, sappuyant sur sa canne, posa une main sur son épaule.
« Tu es si belle aujourdhui, Princesse. Comme à notre premier rendez-vous. »
Sa voix débordait dun amour et dune confiance si absolus quelle sentit tout se déchirer en elle.
« Antoine il faut que je te parle » murmura-t-elle, un frisson lui parcourant le dos.
« Quelque chose dimportant ? » Il sourit doucement. « On en parlera ce soir. Je préparerai le poulet comme tu aimes. Va, ne sois pas en retard. »
Elle sentit son baiser sur sa tête, brûlant comme une marque au fer rouge.
Léo lattendait, adossé à sa voiture. À peine installée, il prit sa main :
« Alors, tu lui as parlé ?
Pardonne-moi Je nai pas pu. Antoine est encore si faible, avec sa canne »
Léo desserra lentement ses doigts.
« Je comprends. La pitié, la responsabilité, la gratitude, dit-il, chaque mot frappant juste. Mais dis-moi, combien de temps encore ? Quand viendra notre heure ? As-tu seulement pensé à moi ? »
Hélène ferma







