**Journal de Pierre — 12 mars**
Je me souviens encore du jour où jai rencontré Élodie. Elle haïssait tout le monde, surtout sa mère. Elle était convaincue quun jour, elle la retrouverait. Non pas pour se jeter dans ses bras en criant « Bonjour, maman ! », mais pour se venger. Elle imaginait sa mère vivant heureuse pendant quelle pleurait dans cet orphelinat.
Élodie avait toujours été là. Dès quelle se souvenait delle-même, cétait là. Elle se battait souvent, peu importe qui était devant ellegarçon ou fille. On la punissait, lenfermait dans une cellule disolement, lui retirait les desserts, mais elle continuait à haïr les éducateurs, les autres enfants, le monde entier.
À 14 ans, elle cessa de se battre. Non par bonté soudaine, mais parce que tout le monde la craignait. Elle passait ses journées dans un coin reculé de lorphelinat, assise, rêvant de vengeance.
Puis un jour, elle entendit une mélodie étrange. Élodie aimait la musique, mais celle-ci était différentebelle, triste, presque nostalgique. Elle écarta les branches dun acacia et découvrit le nouveau jardinier, un homme dune cinquantaine dannées, jouant dune flûte. Elle trébucha, tomba dans les buissons. Lhomme sarrêta.
« Tu veux apprendre ? » demanda-t-il.
Élodie fut surprise. Elle ? Jouer comme lui ? Elle fit un pas vers lui. Lhomme, quelle apprit plus tard sappeler Nicolas Lefèvre, sculptait lui-même ses flûtes.
Elle revint chaque jour. Lorsquelle réussit enfin à jouer une vraie mélodie, elle létreignit. Cest alors quils parlèrent pour la première fois. Il vivait dans une petite maison sur le terrain de lorphelinat.
« Pourquoi ? Vous navez ni famille ni maison ? »
« Javais tout, Élodie. Une maison, une famille Ma Catherine est morte il y a dix ans. Puis je me suis remarié, mais ma belle-fille Après la mort de mon fils dans un accident, elle ma mis à la porte. »
Élodie ressentit une haine encore plus forte pour cette femme que pour sa propre mère. Nicolas fut horrifié en découvrant son désir de vengeance. Ils parlèrent souvent. Peu à peu, elle changea. Elle laissa pousser ses cheveux, devint plus douce.
Un jour, il lui demanda : « Quas-tu prévu après lorphelinat ? »
Elle resta silencieuse. Une semaine plus tard, elle revint : « Je veux devenir architecte. »
Ils passèrent lannée à préparer son entrée en école technique. Le jour de son départ, ils restèrent longtemps assis sur leur banc. Elle pleura pour la première fois depuis des années.
« Je reviendrai, Nicolas. »
Il lui offrit une flûte.
**Quinze ans plus tard**
Élodie se maria tard, divorça rapidement après la naissance de sa fille, Camille. Elle réussit professionnellement et finit par retrouver sa mère seulement pour découvrir quelle était morte depuis longtemps, emportée par un cancer.
Un soir, elle entendit Camille jouer la même mélodie. « Qui ta appris ça ? » demanda-t-elle, tremblante.
« Un vieux monsieur près de létang. Il vit dans des cartons. »
Elles le trouvèrent. Nicolas trembla en la reconnaissant.
« Rentrons à la maison, Nicolas. »
Il pleura tout le chemin.
**Leçon du jour** : La vengeance consume, mais la gratitude construit. Parfois, ceux qui nous sauvent sont ceux que nous pensions sauver.







