Je suis aujourdhui à la retraite depuis un bon moment. Durant ma jeunesse, jai longtemps travaillé comme instituteur en maternelle ; les enfants mappréciaient pour mon tempérament doux et mon grand cœur. Oui, jai toujours été dune nature généreuse et bienveillante. Aujourdhui, ma pension denseignant ne me suffit plus pour vivre décemment, alors je nettoie des bureaux à Paris en complément. Cest dans lun de ces bureaux que jai remarqué un nouveau salarié, qui semblait porter un grand chagrin.
Louis ne parlait à personne, il travaillait sans relâche et je lapercevais parfois sortir discrètement par la porte de service pour sasseoir seul, perdu dans ses pensées.
Cela a duré plusieurs mois. Un jour, ny tenant plus, jai décidé daller à sa rencontre. Jai pris mon vieux chandail, lai déposé sur les marches, et je me suis installé à côté de lui. Jai lancé la conversation avec précaution :
« Il fait encore un peu frais aujourdhui. On dit que le chauffage ne sera remis en route que dans quelques jours. »
« Je ne sais pas », a-t-il répondu, « avec ma grand-mère, on vit dans une petite maison chauffée au poêle »
« Quel âge a-t-elle, ta grand-mère ? Peut-être sommes-nous du même âge ? »
Louis a pris une longue inspiration et ma confié quelle était âgée, et la seule famille qui lui restait. Elle était gravement malade, et lui devait cumuler deux petits boulots pour payer ses médicaments. Bientôt, elle devrait subir une opération urgente, très onéreuse.
Ce jour-là, ses collègues avaient collecté 40 euros pour lanniversaire du directeur, mais Louis, nayant vraiment pas les moyens, navait rien donné. Cela lisolait encore davantage ; ses collègues commençaient à léviter, ce qui lui pesait terriblement.
Jai exprimé ma compassion pour sa situation, lui ai souhaité beaucoup de courage pour sa grand-mère, puis je suis entré dans lopen space où il travaillait. On me connaît bien là-bas, à force dannées de service.
Je me suis dirigé vers le responsable, Monsieur Bertrand, un homme avenant qui connaissait chacun dans lentreprise et qui portait lesprit de la maison. Je lai invité à venir discuter dans le couloir de Louis et demandé ce quil pensait de ce jeune homme si renfermé.
« Va savoir, » répondit Bertrand, « cest un garçon étrange, très réservé Comment il a atterri ici, mystère. Il ne parle que boulot, jamais de petits sujets. Il déjeune en solo, avec ses gamelles cabossées. Et aujourdhui, il a refusé de donner pour le cadeau du patron »
« Mais il na tout simplement pas les moyens », lui ai-je rétorqué doucement.
Jai dévoilé à Bertrand la situation de Louis. Son visage a changé ; il a aussitôt appelé Geneviève, sa collègue. Après quelques mots échangés à voix basse, ils mont remercié.
Plus tard, jai su que Bertrand avait lancé une collecte entre collègues pour aider à soigner la grand-mère de Louis. Il avait même sollicité laide du directeur pour trouver un médecin que celui-ci connaissait pour lopération. Par la suite, les collègues de Louis ont organisé une cagnotte solidaire en ligne pour financer les soins.
Louis est peu à peu devenu plus souriant. Ses collègues ont découvert combien il pouvait être jovial et chaleureux. Lopération a réussi ; sa grand-mère a repris des forces. Plus tard, il nous a tous régalés, collègues, directeur et moi, de pâtisseries que sa grand-mère avait confectionnées de ses mains, avec sa participation.
Jai été heureux dapporter ma pierre à lédifice. Mais je retiens aussi que lentraide, ce nest pas laffaire dune seule personne : les collègues de Louis, eux aussi, ont montré le meilleur deux-mêmes. Voilà la grande leçon que je retiens de cette histoire.
