Je suis parti en excursion en France avec un groupe de retraités. Je nattendais rien de grand: quelques jours de visites, quelques clichés à mettre dans lalbum, des souvenirs à offrir aux petitsenfants. Javais besoin de méchapper du quotidien, de la solitude qui, depuis quelques années, sétait fait sentir un peu trop lourde.
Je pensais que Paris, Lyon ou Marseille ne seraient pour moi que de simples cases sur un programme touristique. Mais, à lombre des Arènes de Nîmes, jai croisé une femme qui a fait remonter le pouls de mon cœur.
Je me tenais sous les arches de ce majestueux amphithéâtre, admirant la pierre qui porte encore les pas des gladiateurs. Le guide parlait de leurs combats, et je rêvais ailleurs. Soudain, quelquun à côté de moi lança, en plaisantant: «Je me demande si les gladiateurs se plaignaient de la canicule comme nous».
Je me suis retourné et jai vu son regard: une silhouette élancée, des cheveux argentés, un sourire à la fois familier et nouveau. Elle portait une simple chemise et un chapeau de paille, mais la façon dont elle me regardait donnait limpression que nous étions seuls au monde.
Nous avons entamé la conversation. Elle sappelle Éléonore, veuve depuis plusieurs années, retraitée depuis longtemps. Elle était venue seule, car «je nattends plus quun meilleur moment pour découvrir Nîmes», avaitelle expliqué.
Notre discussion était légère, ponctuée de rires, comme si nous nous connaissions depuis toujours. Sous les Arènes, nous avons partagé un café, échangeant nos impressions, et jai réalisé que, depuis longtemps, personne ne mécoutait avec tant dintérêt.
Les jours suivants se sont déroulés autrement. Nous nous sommes assis côte à côte dans le car, déjeuné ensemble, perdu dans la foule de touristes avant de nous retrouver du regard. Il y avait dans tout cela quelque chose dinnocent et, en même temps, dexcitant.
Le soir, dans notre hôtel, pendant que le reste du groupe jouait aux cartes ou regardait la télévision, nous sommes restés sur le balcon, contemplant la ville illuminée et parlant de tout: des enfants, du passé, de ce sentiment rare où le cœur bat la chamade.
Je me sentais à nouveau adolescent. Je me soignais, je me maquillais, je riais plus souvent. Les autres retraités me lançaient des sourires: certains bienveillants, dautres teintés dune pointe de jalousie. Javais limpression de retrouver une partie de moi-même, enterrée sous la routine et la solitude.
À lapproche de la fin du séjour, la question est revenue sans cesse: que faire ensuite? Elle habitait à plusieurs centaines de kilomètres de chez moi. Elle avait sa vie, javais la mienne. Une semaine exceptionnelle, détachée du réel, nous liait. Cette semaine seraitelle suffisante pour envisager quelque chose de plus?
Le dernier jour, nous avons flâné seuls dans les rues de Nîmes, loin du groupe. Assis sur les marches de la place du Forum, nous avons dégusté une glace en silence. Puis elle a déclaré: «Tu sais je ne me sentais pas aussi bien depuis longtemps. Mais jai peur que, quand nous rentrerons chez nous, tout sestvanouisse. Tu as ta vie, jai la mienne. Peutêtre nestce quune illusion estivale?».
Je nai pas su quoi répondre. Deux forces saffrontaient dans mon cœur: le désir de croire que cétait le début de quelque chose de vrai, et la crainte que ce ne soit quun éphémère coup de cœur qui séteindra au moment du vol retour.
Nous nous sommes séparés à laéroport. Une accolade plus longue que nécessaire, un regard où se mêlaient adieu et promesse. Nous avons échangé nos numéros, sans jamais prononcer à haute voix «Retrouvonsnous».
Aujourdhui, quand je repense à ce voyage, je ne sais pas quoi en penser. Cétait comme un rêve: intense, beau, mais fragile. Peutêtre Éléonore avait raison, que ce nétait quune illusion. Ou peutêtre quil aurait été lâche de ne pas vérifier si le destin mavait réellement offert une seconde chance.
Je me demande alors: vautil la peine de risquer une vie paisible et bien rangée pour un sentiment arrivé si soudainement? Étaitce seulement une aventure sous le ciel français, ou le commencement dune histoire que je nai pas encore découverte? Mon cœur saccélère à lidée delle, tandis que la raison me souffle que cest un caprice.
Cest peutêtre pour cela que je raconte cette histoire: pour demander aux autres, après cinquante, soixante ans, voire plus, si lon a le droit de souvrir à quelque chose de nouveau. Fautil garder ce souvenir comme un précieux souvenir, ou oser suivre ces émotions où quelles nous mènent?
