Il y a fort longtemps, il me revient le souvenir dun événement marquant dans notre famille, survenu peu après que mon mari et moi avions quitté notre village natal pour la ville. Nous nous étions installés à Lyon, dans un petit appartement que nous louions, heureux davoir trouvé du travail chacun de notre côté. Plus tard, avec beaucoup defforts et plusieurs prêts, nous avions finalement acquis notre propre chez-nous et accueilli deux enfants, construisant notre vie dans une routine que rien ne semblait pouvoir perturber.
Les attaches avec notre famille restée à la campagne, près de Mâcon, étaient toujours solides ; cousins et cousines venaient souvent nous rendre visite, et comme il sied en France, nous gardions à cœur de maintenir ces belles relations familiales, malgré les distances et les aléas du quotidien.
Cest ainsi quun jour, la cousine de ma mère, Solange, nous contacta : elle avait décidé de quitter la campagne pour sinstaller en ville et nous demanda lhospitalité, le temps de trouver un travail et un logement. Il nous était impossible de refuser, et nous lavons accueillie chez nous, pensant que ce ne serait que pour un court moment.
Le premier jour, elle avait préparé une délicieuse tarte aux pommes, si parfumée que toute la maison en fut égayée. Mais, hélas, ce fut la seule bonne surprise.
La première semaine, Solange partait chaque jour à la recherche dun emploi, revenait l’après-midi, sétendait sur le canapé et passait le reste de la journée devant les émissions de divertissement à la télévision. Peu à peu, sa recherche se fit moins assidue, jusquà disparaître complètement ; elle demeurait alors cloîtrée, passant du salon au réfrigérateur pour vider nos provisions tous les soirs.
Bientôt, elle sinstalla dans la chambre de notre fille, Léontine, sappropriant même les rayons de son armoire. Lorsque nous lui demandions ce quelle faisait pour son avenir, elle répondait quelle attendait une vraie opportunité, refusant de se tuer pour un salaire de misère.
Ce qui était au départ une visite temporaire se transforma en installation définitive, et Solange se mit à donner des ordres à tout le monde : ce quil fallait préparer au dîner, où acheter tel ou tel médicament, comme si elle était la maîtresse de maison.
Une après-midi, Léontine rentra de lécole, encore en uniforme, lorsque Solange la héla :
Ne retire pas tes chaussures, va vite macheter des serviettes hygiéniques !
Jen restai bouche bée. Jai dit à ma fille quelle nirait nulle part pour exécuter ses caprices et jai fait savoir à Solange tout le fond de ma pensée. Elle semporta en criant :
Eh bien va-y toi-même, tu gâtes trop cet enfant !
Cen était trop. Mon mari, Étienne, nen supportant plus, prit sa valise et la remplit de ses affaires avant de la déposer dans lentrée. Il lui dit fermement de quitter les lieux sur-le-champ, sinon il jetterait tout par la fenêtre. Solange sen alla, le visage fermé.
Depuis ce jour, plus aucun parent nosa nous demander lhospitalité, du moins pour quelque temps Mais, au fond, nous savions bien que ce calme ne durerait pas éternellement, car la famille française, aussi discrète soit-elle parfois, na jamais dit son dernier mot.
