Tu es mon miracle. L’histoire de Jeanne, qui marche sans but sous le choc d’un diagnostic implacable. Entre le chagrin de la perte, la solitude d’une vie sans enfants ni richesse, et la recommandation du médecin de « mettre de l’ordre dans ses affaires », elle erre sans espoir, persuadée qu’il ne lui reste que l’attente… ou un miracle. Au détour d’une promenade dans une forêt francilienne, elle découvre une chienne abandonnée, souffrante et attachée à un arbre, qu’elle décide de sauver envers et contre tout. Un combat commence alors pour la vie et contre le « mangeur silencieux », aussi bien pour l’animal que pour Jeanne. Entre l’amitié animale, la solidarité, doutes, nuits blanches, espoirs et douleurs, Jeanne baptise la chienne « Miracle » – et c’est peut-être bien l’univers qui, par amour, lui rendra du temps… Cette histoire parisienne, entre hôpital, forêt et souvenirs, pose la question : existe-t-il plus grand bonheur que de se voir offrir du temps… Et de se donner l’amour en retour ?

Tu es mon miracle.

Manon errait dans les rues de Lyon, les yeux dans le vague, totalement perdue. Dans sa tête résonnait un refrain lancinant : « Cest dommage, trop tard on ne pourra rien je ne peux pas vous dire plus mais il faudrait régler vos affaires antidouleurs dommage seul un miracle »
Les paroles du médecin avaient éclaté comme un orage au-dessus de la Saône : le diagnostic, sans appel, froid, implacable. On appelle ça un « tueur silencieux » chez nous, et ce nest pas pour rien.

Ce fichu « rongeur muet » avait dû sinfiltrer en douce. Peut-être la première fois quelle avait raté le concours de médecine, et que son rêve avait éclaté comme une bulle de savon à la fête des Lumières. Ou alors, lannée où sa mère avait glissé derrière limmeuble un jour de verglas, et était restée des heures dans le froid avant de partir tranquillement dans son sommeil, quelques jours plus tard. Ou peut-être ou peut-être

Des « peut-être », Manon en comptait à la pelle. Impossible didentifier ce qui avait déclenché lengrenage fatal.
« Réglez vos affaires », continuait-elle de ressasser. Pfff ! Quelles affaires ? Pas denfant, pas un sou de côté, je ne dois rien à personne Tout ce quil reste, cest attendre. Attendre ou attendre un miracle

Elle ne saperçut même pas que ses joues étaient inondées de larmes, quelle essuyait machinalement du revers de la main. Elle dépassa les grilles de lhôpital Édouard-Herriot, marcha sous les grands platanes de lavenue, dont les ombres faisaient comme un velours frais. Tout le monde semblait pressé sur le cours Albert-Thomas.
Eux, ils courent vers la vie, et moi soupira-t-elle, avec cette autodérision si lyonnaise.

Soudain, épuisée, le cœur battant à tout rompre, elle sarrêta, sappuya, vacillante, sur le tronc majestueux dun platane.
Une minute, deux, trois son souffle revint à la normale. Tiens, un taxi. En route, direction la maison rue des Cerisiers. Là-bas, il y avait les murs, les souvenirs et quelques photos jaunies.

En face de chez elle, commence la forêt de la Croix-Rousse, encore épargnée par les promoteurs immobiliers une rareté ! Il y avait là des bouleaux, des pins, des tapis de mousse, des mûriers et toutes sortes de bestioles sympas quon ne trouve que par ici. Manon adorait sy promener. Chaque balade dans les bois lui filait de lénergie, lui offrait des matins de brume et le chant des merles.

Ce soir-là, pluie fine, humeur morose, elle enfila un imperméable jaune canari et senfonça dans les feuilles humides. Les arbres retenaient leur souffle, pas une mouche ne venait troubler le silence.
Elle marcha, marcha… Un virage, un autre, encore un. Tout à coup, prise dun malaise, elle sentit un froid étrange au cœur. Elle sarrêta, se figea, hypersensible, comme si la forêt toute entière attendait. Quelque chose clochait. Elle scruta autour delle. Quest-ce qui la perturbait ?
Pas loin, à quelques mètres du sentier, elle vit un petit monticule qui remua à peine. Etait-ce un gémissement ? Si léger

En deux bonds, elle fut sur place.
Mais cest un chien, sécria-t-elle.

Sous un hêtre, gisait une chienne crottée, épuisée, attachée au tronc par une corde détrempée. Dune main gelée, Manon sacharna à défaire les nœuds. Délivrée, la pauvre bête se laissa examiner.
La vision la glaça : une énorme tumeur, grosse comme un abricot, gonflait son ventre. Manon se laissa glisser contre larbre. Les larmes ruisselaient, la boue lui barbouillait le visage.
Une fois calmée, elle saccroupit, tenta de rassurer la chienne qui ne réagissait quen gémissant, incapable même douvrir les yeux.

Enveloppant la chienne dans son ciré et son vieux sweat, Manon fit un baluchon. Le poids était si plume que ça fendait le cœur. Elle se mit à courir vers la ville.

A la Clinique Vétérinaire de la Guillotière, les soignants levèrent un sourcil en la voyant débarquer, mais on ne posa pas trop de questions.
« Faites-lui tous les examens : prises de sang, écho, radio, ce quil faut Sauvez-la, sil vous plaît », souffla Manon, avant de saffaler, évanouie, sur le divan de la salle dattente.

On garda la chienne pour la nuit et on renvoya Manon chez elle.
Dès laube, elle campait devant la grille, anxieuse. Le vétérinaire de service, un certain Dr. Laurent, la mit à jour : « On en saura plus bientôt, létat est grave, mais on tente tout. »
Au fait, savez-vous comment sappelle cette chienne ? Elle est probablement de race, vu le tatouage, même si cest difficile à lire.

Aucune idée, je lai juste trouvée là, perdue et malade, attachée comme un sac poubelle.

Figurez-vous quon a identifié lélevage dorigine, fit le vétérinaire, lui tendant un post-it avec quelques chiffres et son numéro.

Et là, dans le dossier, jai glissé mon port portable. On vous tient au courant, promis.

À chaque perfusion ou piqûre, Manon restait près de la chienne, la caressant, lui murmurant des bêtises à loreille. Mais la bête flottait dans une sorte dindifférence totale. Rien, ni caresses, ni croquettes, ni gamelle de Saint-Nectaire. Le moral, cest tout un métier.

Elle a baissé les pattes, votre protégée, glissa linfirmière. Et puis, la famille de lélevage ? On les a appelés : ils nont « jamais eu de chien pareil », quils disent la belle affaire.

Bref, en fin de semaine, tous les résultats tombèrent. Le Dr. Laurent convoqua Manon un soir, dans larrière-salon de la clinique, ambiance polar lyonnais.

Je ne vais pas tourner autour du pot : cest mal engagé, quasi sans espoir. Et puis la chienne ne veut pas saccrocher. Si elle avait un brin despoir, lenvie de sen sortir, lamour de quelquun, on pourrait tenter À vrai dire, seul un miracle pourrait changer la donne.

Il se tut, en hochant la tête. On sentait tout le poids des années de chien sur ses épaules.

Essayons quand même, linterrompit Manon, accrochant fermement sa manche. Sait-on jamais Un miracle à Lyon, cest pas si rare, non ?

Les jours suivants, Manon veillait la chienne, qui régressait à vue dœil. Elle pleurait, cajolait la chienne, gratouillait sous loreille, prenait la grosse truffe entre ses mains pour capter un regard.
Si tu me lâches, je te le dis : je pars avec toi, glissa-t-elle, croyant être seule.

Linfirmière détourna les yeux, émue.

Et soudain, très faiblement, la chienne lécha sa main. Manon lui tendit lécuelle deau. Petite victoire.

Lopération dura trois heures. Manon attendit, le ventre noué.
Le vétérinaire réapparut, épuisé, blouse froissée.
Lopération est un succès enfin, pour linstant. Mais rien nest garanti. Restez près delle au réveil, peut-être quaujourdhui, Lyon a eu droit à un miracle

En convalescence, le plus dur commença. Manon baptisa la chienne « Miracle ». Les nuits blanches, les cachets, les visites à toute heure. Mais lentement, Miracle reprit vie.

***

Quatre mois plus tard, lautomne semparait du parc de la Tête dOr. Manon et Miracle trottaient dans les sous-bois, comme deux vieilles amies. Miracle, cette fois, savait quon ne la planterait pas là comme un vieux pneu. Et Manon ? Manon contemplait lavenir sans trop y croire, effrayée de penser à ce qui arriverait à Miracle lorsque la maladie emporterait sa propre histoire.

Alors, elle chercha une famille pour la chienne. Un rendez-vous fut pris, mais avant, il lui fallait retourner à lhôpital de la Croix-Rousse pour ses propres analyses.

Demain, la vérité, pensa-t-elle, glacée. Il faut que Miracle shabitue aux bras des autres Ah, Seigneur, que cest dur.

Après une nuit blanche, elle traîna jusquau cabinet du chef de service.
Vos examens mont bluffée, déclara loncologue dune voix douce comme une mousse au chocolat. Cest exceptionnel, ce qui se passe. Votre organisme a comment dire changé. En positif : vous êtes en rémission ! Restez sous surveillance, daccord ? Et félicitations ! Cest Eh bien : un miracle !

À la maison, une tornade de joie lattendait : Miracle aboyait, trépignait, la coutume locale pour dire « Où tu traînes ? Tu sais bien que je minquiète ! ».

Manon sassit par terre, caressa le museau tendre.

Miracle, tu es vraiment mon miracle, murmura-t-elle en serrant sa chienne dans les bras. Longtemps, elles restèrent blotties lune contre lautre, larmes, rires, cœur battant.

Y a-t-il bonheur plus grand que de découvrir que lUnivers nous offre du temps, et que, nous, on soffre un amour sans condition ?

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Tu es mon miracle. L’histoire de Jeanne, qui marche sans but sous le choc d’un diagnostic implacable. Entre le chagrin de la perte, la solitude d’une vie sans enfants ni richesse, et la recommandation du médecin de « mettre de l’ordre dans ses affaires », elle erre sans espoir, persuadée qu’il ne lui reste que l’attente… ou un miracle. Au détour d’une promenade dans une forêt francilienne, elle découvre une chienne abandonnée, souffrante et attachée à un arbre, qu’elle décide de sauver envers et contre tout. Un combat commence alors pour la vie et contre le « mangeur silencieux », aussi bien pour l’animal que pour Jeanne. Entre l’amitié animale, la solidarité, doutes, nuits blanches, espoirs et douleurs, Jeanne baptise la chienne « Miracle » – et c’est peut-être bien l’univers qui, par amour, lui rendra du temps… Cette histoire parisienne, entre hôpital, forêt et souvenirs, pose la question : existe-t-il plus grand bonheur que de se voir offrir du temps… Et de se donner l’amour en retour ?
Une amie à moi habite en bord de mer. L’automne dernier, elle a troqué son appartement de trois pièces contre un studio. Au début, cette décision m’a étonnée : son ancien logement était idéal, même si les pièces étaient petites ! Mais tout s’est éclairci lorsqu’elle m’a raconté la raison de son choix. – Les filles, vous n’allez pas me croire. Mais aujourd’hui, vivre dans un studio, c’est la tranquillité assurée ! C’est génial d’avoir la mer à portée de main, on est d’accord. Mais avec une famille nombreuse qui habite au fin fond de la campagne et rêve de vacances gratuites sur la Côte d’Azur… Ils débarquent en tribu, sans prévenir, c’est normal : on est de la famille, non ? Et hop, ça débarque chaque été ! Mon appartement explosait en pleine saison. Et évidemment, la proprio (moi-même) passait ses nuits dans la cuisine ! Bref, adieu le trois-pièces, bonjour le studio. Et honnêtement, je ne regrette rien ! Fini les invités qui s’invitent d’eux-mêmes. Désormais, ils réfléchissent à deux fois avant de venir. Cet été, seuls les cousins de mes cousins et une amie (que j’avais invitée, car on ne s’était pas vues depuis longtemps) sont venus. Les cousins m’ont appelée pour prévenir qu’ils arrivaient. Je leur ai donné ma nouvelle adresse : ils n’ont même pas été surpris. Quelques heures plus tard, les voilà. J’ouvre la porte, et je tombe sur eux : ma cousine, son mari, et les deux enfants. — Salut, on est arrivés ! Quand ils ont vu que je n’avais qu’une seule pièce, ils étaient abasourdis. — On m’avait dit que tu avais trois pièces… On a justement pris les enfants ! Je leur ai dit qu’ils avaient été mal renseignés. Mais il y a toujours des hôtels où dormir. — Et ton amie, elle ne peut pas aller à l’hôtel ? On va bien réussir à se caser ici, c’est petit, mais on est de la famille ! Je les ai donc accompagnés jusqu’à l’hôtel. Ras-le-bol des inconnus chez moi. Maintenant, je savoure enfin la paix et la tranquillité !