À vingt-six ans, Amélie épouse François, et deux ans plus tard, ils accueillent une adorable petite fille. Le jeune couple vit dans un appartement à Lyon, transmis en héritage à Amélie par sa grand-mère.
Un printemps, Marie-Claire, la mère de François, décide de refaire entièrement son appartement. Pour éviter les odeurs de peinture et le chantier, elle demande si elle peut sinstaller temporairement chez son fils et sa belle-fille. Bien que la relation entre Amélie et sa belle-mère soit tendue, elle accepte de laccueillir, en partie parce que François insiste beaucoup, et aussi à cause de la nature conciliante dAmélie, ce qui fait que Marie-Claire la traite souvent de trop passive et sans caractère.
Ce trait joue en la faveur de la belle-mère, qui apprécie particulièrement de vivre avec son fils et sa famille. Elle ne se comporte pas en invitée, mais en véritable maîtresse de maison.
Quest-ce que cest que ce petit-déjeuner que tu prépares pour mon fils? Toi, jamais tu ne servirais ça à ta fille, mais à lui, ça ne te dérange pas, grogne déjà Marie-Claire dès le matin.
Il choisit lui-même ce quil veut manger, hier il a demandé des œufs brouillés avec du jambon et un café frais. Il a trente et un ans, ce nest plus un enfant, réplique calmement Amélie en insistant sur le fait que François est adulte.
Si tu le laisses faire, il ne choisira jamais rien de bon, il na jamais eu de bonnes idées, coupe sèchement Marie-Claire sans détourner le regard.
François reste silencieux, écoutant la joute verbale des deux femmes. Amélie regarde son mari, mais ne dit rien de plus; après tout, cest à lui de défendre ses propres choix pour le petit-déjeuner.
Sa belle-mère repousse son assiette et se met à préparer des flocons davoine au lait pour son fils. Amélie sourit, jette un œil à François et finit par manger elle-même les œufs avec le café.
Mais il y a une chose sur laquelle elle ne cède jamais: léducation de leur fille. Marie-Claire en est bien consciente et nose pas franchir cette limite.
Un mois se passe, et Amélie souhaite enfin savoir quand sa belle-mère compte rentrer chez elle.
Où en sont les travaux? Tu sais quand cela sera terminé? demande-t-elle.
Oh, ces ouvriers Ce ne sont pas des artisans, mais des paresseux. Je leur ai demandé de peindre le mur couleur pêche, ils ont tout recouvert de jaune. Faut tout refaire, bougonne la belle-mère.
Mais ils tont donné une estimation du délai? insiste Amélie.
Un mois, peut-être deux, hausse-t-elle les épaules, montrant que ce sujet ne la passionne pas.
Deux mois supplémentaires passent. Épuisée de cette cohabitation non désirée, Amélie revient à la charge:
Alors, la fin des travaux? Ce sera fini avant la fin de lannée, tu crois?
Oui, oui, ils posent la plomberie et ce sera bon, grommelle Marie-Claire.
Un mois pour tout finir? Je sens quon ne va pas y arriver, jette Amélie dun air faussement malicieux.
Elle a depuis longtemps deviné que sa belle-mère profite simplement de la vie chez son fils, prétextant les travaux pour prolonger son séjour. Elle ne fait pas grand-chose à la maison, soccupe parfois de sa petite-fille et cuisine de temps à autre, selon son humeur. Sans compter quelle économise bien: François et Amélie paient toutes les courses.
Tu ne timagines pas la chance que tu as de mavoir! Crois-moi, je suis en or comparée à ma propre belle-mère. La grand-mère de François, Hélène, me pourrissait la vie. Elle relevait la moindre broutille chaque jour. Alors que toi, tu vois, je te fiche la paix! tente-t-elle de se justifier.
Vous me laissez plutôt tranquille, sauf pour mes petits-déjeuners, sur lesquels vous aimez tant ironiser, répond Amélie en souriant.
Voyons, tu exagères! Je plaisantais, tu es bien trop sensible Il faut bien que quelquun vous remette dans le droit chemin, vu ce que vous mangez, se défend sa belle-mère, retournant dans sa chambre.
Mais sans le vouloir, Marie-Claire donne une idée à Amélie: inviter sa propre belle-mère, Hélène, la grand-mère de François. Quelle vienne rappeler à Marie-Claire ce que cest que dêtre envahie chez soi!
Dès le soir même, Amélie téléphone à Hélène et linvite à passer quelques jours à la maison. Celle-ci, qui voulait depuis longtemps voir son arrière-petite-fille, accepte aussitôt avec joie.
Le lendemain, tout se déroule comme dhabitude: François pousse son porridge préparé par sa mère du bout de la cuillère puis part au travail. Marie-Claire, fidèle à elle-même, sermonne Amélie sur lart de soccuper dun mari. Cette dernière ny prête plus attention. Soudain, linterphone retentit.
Amélie se précipite, décroche et laisse entrer la visiteuse.
Qui peut bien venir à cette heure? Rappelle-toi que tu es une femme mariée, je ne tolérerai pas nimporte qui ici! gronde Marie-Claire.
Ne vous inquiétez pas, cest de la famille, répond Amélie avec un sourire malicieux, se réjouissant par avance de la surprise qui attend sa belle-mère.
Quelques minutes plus tard, la porte dentrée souvre et Hélène, guillerette, fait son apparition.
Bonjour! Je suis contente dêtre parmi vous. François sera ravi de voir sa grand-mère ce soir en rentrant, entonne Amélie dune voix douce.
Bonjour ma chérie! Tiens, Marie-Claire, tu es là? En passant devant les poubelles dehors, jai tout de suite pensé à toi. Si ce nétait pas grâce à mon fils, tu y serais encore, sesclaffe Hélène.
Marie-Claire sursaute à cette «chaleureuse» salutation, son sourire disparaît dun coup.
Quest-ce que tu fais ici? linterroge-t-elle, piquée au vif.
Cest moi qui ai invité Hélène. Elle ne connaît pas encore son arrière-petite-fille, justifie Amélie en sinterposant.
Invitée, hein marmonne la belle-mère, visiblement déçue.
Oh, tu ne sembles pas enchantée de me voir! Je croyais que je tavais manqué, ironise encore Hélène.
Marie-Claire baisse la tête et file dans la cuisine, se gardant bien de répondre.
Venez, installez-vous, je vais vous présenter votre arrière-petite-fille, sourit Amélie en virevoltant autour de la grand-mère.
Attends, prends ces petits gâteaux: avec du thé, ça ira très bien. Jimagine déjà que Marie-Claire vous assomme avec sa cuisine, plaisante-t-elle en fouillant son sac.
Toute la journée, Hélène taquine et pique Marie-Claire, jusquà ce que cette dernière, excédée, téléphone à quelquun dun air contrarié.
Bonne nouvelle: le chantier est fini, tout est prêt. Je vais enfin pouvoir rentrer chez moi, annonce-t-elle soudain à Amélie, en ignorant délibérément sa propre belle-mère.
Jappelle un taxi tout de suite, jai hâte de voir létat de mon appartement! sexclame Marie-Claire, et elle commence tout de suite à faire ses valises.
Dès quelle quitte lappartement, Amélie pousse un profond soupir de soulagement. François est surpris par le départ précipité de sa mère, mais lui aussi respire mieux. Quant à Hélène, elle ne sattarde pas longtemps; dès le lendemain, elle reprend le train, parfaitement consciente de la véritable raison de cette invitation à la maison.
