Comment leur expliquer que je ne veux pas garder mes petits-enfants ? Pourquoi tout le monde pense-t-il que les grands-mères doivent forcément se sacrifier ?
Jai cinquante-huit ans. Jai élevé trois enfants. Mon fils aîné travaille, il a une épouse et un petit garçon. Jétais bien sûr opposée à cette paternité prématurée, mais personne na daigné mécouter.
Chaque week-end, mon fils débarque chez moi, me confie son fils et sen va. Ils sont encore jeunes, ils veulent profiter de la vie, flâner au bord de la Seine ou aller au cinéma. Je comprends leur envie de liberté, mais moi non plus je ne suis pas vieille ! Jai mes passions, mes amis, mes projets. Je voudrais minscrire à des ateliers de peinture, faire du yoga, peut-être me promener dans les jardins du Luxembourg, mais tout mon temps libre est absorbé par mon petit-fils.
Seulement hier, mon second fils ma annoncé, le regard lumineux dexcitation, que sa compagne attendait un bébé :
Maman, tu vas bientôt avoir un nouveau petit-fils ! Tu ne tennuieras plus jamais !
Pourquoi pense-t-il donc que je mennuie ? Jaimerais vivre rien que pour moi et rattraper les années envolées, car jai déjà donné toute ma jeunesse à mes enfants. Si ma fille ose mannoncer quelle attend un enfant, je ne men remettrai pas.
Comment expliquer à mes enfants que je ne veux pas faire la nounou ? Pourquoi tout le monde croit que les grands-mères existent pour soulager les jeunes parents ? Cest absurde Les grands-mères sont des femmes avant tout, elles aussi veulent aller boire un verre en terrasse, sortir avec leurs amies, vivre pleinement leurs week-ends.
Pensez-vous que les grands-mères sont obligées de soccuper de leurs petits-enfants ? Ne devraient-elles pas avoir le droit de dire non, et daccueillir les enfants seulement quand le cœur leur en dit ?
Tout cela me semble flotter dans une brume étrange, un Paris où les poussettes tanguent au milieu de la rue Mouffetard, où le temps lui-même se plie au rythme des caprices familiaux, et où mon reflet dans la vitrine dune boulangerie me rappelle que mes désirs ont, eux aussi, le droit dexister.
