Tu sais, parfois, je mens à mon fils à propos de comment je mange ou si je prends bien mes médicaments. Franchement, il ne pourrait pas faire grand-chose de toute façon.
Je vais pas te mentir, je suis sûr que je suis pas le seul à raconter à son fils unique qui a sa petite famille maintenant, une femme et trois enfants que tout va bien et que je vis super bien. La vérité, cest que jai du mal à joindre les deux bouts. Les enfants, aujourdhui, soccupent plus trop de leurs vieux, et puis bon, en tant que parents, on veut pas leur rajouter des soucis.
Mon fils na jamais vraiment demandé combien jai de retraite. Avant, quand je vivais encore avec mon épouse, on payait le loyer avec lune des pensions et on vivait plus ou moins avec lautre, mais maintenant, cest soit les factures, soit lépicerie. Honnêtement, je me nourris de baguette et de céréales, même si jy réfléchis plus trop, parce que ce qui me travaille vraiment, cest de voir le prix des courses grimper aussi vite.
Comme vieux monsieur, jai forcément tout un tas dordonnances, mais entre nous, je peux pas tout acheter. Alors jéconomise sur les cachets, je les prends pas chaque jour comme la docteure me la conseillé, mais seulement quand je sens que ça va vraiment pas. Tu sais, malgré tout, jai honte de demander de largent à mon fils. Je sais très bien que de son côté, cest pas simple non plus.
Ma belle-fille, elle est à la maison avec leur troisième enfant, pendant que les deux autres sont à lécole, ce qui coûte un bras, et nourrir cinq personnes, cest un tout autre défi, absolument plus important que moi.
Franchement, ce qui me tracasse le plus, cest la dette sur lappartement, que mon fils héritera un jour. Et ça, il nen sait rien encoreMais parfois, quand mon petit-fils me serre fort dans ses bras ou que ma belle-fille me prépare une assiette de soupe sans rien dire, je me dis que tout nest pas si noir. Même si jai des soucis plein la tête, il y a encore des éclats de lumière. Je ne serai jamais un fardeau si je peux leur donner ce que je sais : un sourire, une histoire du passé, ou juste ma présence quand ils en ont besoin, même silencieuse.
Alors, ce soir, avant déteindre la lumière, je me promets darrêter de mentir tout à fait. Peut-être que je leur dirai, la prochaine fois, que les médicaments me manquent et que le pain commence à muser les dents. Ou peut-être que je continuerai à faire bonne figure, parce quaprès tout, cest ça aimer : vouloir protéger, même avec peu de moyens.
Mais au fond, je sais une chose : tant quon échange encore un regard complice au détour du salon, tant que le rire des petits résonne, tant quune main se pose sur la mienne, rien nest jamais entièrement perdu.
