Personne ne sait que je ne suis pas leur mère biologique. Aujourdhui, Camille et Luc sont déjà en CP.
Autrefois, je travaillais dans une maternité à Lyon. Jadorais les nouveau-nés, ces petits bouts qui sentent si bon le lait tiède juste après leur arrivée au monde. Ce métier me passionnait. Je me surprenais souvent à rêver, entre deux biberons, du jour où moi aussi je deviendrais maman.
Peu après, jai épousé François, et ensemble, nous avons commencé à imaginer une vie de famille nombreuse. Les années sont passées, mais pas lombre dun ventre rond à lhorizon. Après moultes consultations, le verdict du médecin est tombé : jétais stérile. Jai eu la trouille bleue dannoncer ça à François, persuadée quil traverserait la Manche à la nage plutôt que de rester avec moi. Mais non, il disait quil maimait, que je nétais pas une boîte à bébés, et me décida à faire front ensemble.
Cest alors quun joli coup du destin sest présenté. Un jour, on a accueilli une jeune femme enceinte de jumeaux dans notre service. Un garçon et une fille, en pleine santé, sont nés comme une lettre à la poste. Cependant, la maman, elle, navait vraiment pas tiré le bon numéro dans la vie. Orpheline, toute seule, et le père des petits, pffuit, envolé au premier test de grossesse ! Elle a laissé une lettre, abandonnant la garde des enfants, sans personne pour laider.
Après réflexion et une longue discussion (autour dun bon plateau de fromages, comme il se doit), François et moi avons choisi de recueillir les jumeaux. Les démarches administratives ont été longues comme un hiver sans raclette, mais un beau matin, notre tribu était au complet, papier en main, cœurs débordants.
Désormais, Camille et Luc entrent déjà à lécole primaire, et tout le monde nous trouve un air de famille incroyable. À vrai dire, personne ne se doute que je ne les ai pas portés dans mon ventre. Nous navons pas encore abordé le sujet avec eux ; on préfère attendre quils aient lâge de comprendre ce que ça veut dire dêtre choisi plutôt quabandonné.
Parfois, je repense à ce tourbillon de vie et je me dis que la chance, ça ne se provoque pas, ça se cueille. Et franchement, je naurais jamais rêvé plus belle familleEt chaque soir, avant quils ne sendorment, je leur glisse ce petit secret au creux de la tête, sans quils nen devinent encore la vraie signification :
Vous êtes le meilleur hasard de ma vie.
Camille saccroche à ma main, Luc me serre dans ses bras de petit homme en pyjama. Ils sourient, persuadés que je suis leur maman et que tout est simple. Mais jai compris, moi, quil ny a rien de plus naturel que daimer. Pas besoin du même sang, juste de la même tendresse.
Un jour, il faudra leur raconter lhistoire. Ce jour-là, jespère quils comprendront que dans la grande loterie de la vie, parfois, les plus belles familles sont celles quon choisit.
