Le jour où ma femme a mis au monde notre petite fille, il était avec elle dans un hôtel du Marais. Elle ma montré la note et une photo, avec la date, lheure et le nom de létablissement. Cétait exactement à ce moment où je tenais ma fille dans les bras.
Quand il ma envoyé des messages du type «jarrive tout de suite», «je suis coincé dans les bouchons», «je devrais être là dans quelques minutes», je me suis dit que cétait une blague, que quelquun essayait de me blesser ou de confondre les faits. Mais la photo ne mentait pas: on y voyait lhomme mon mari le même qui, une heure plus tôt, mavait envoyé un cœur et le mot «je taime».
Je nai plus du tout senti le temps passer. La chambre dhôpital sentait le lait maternel et les produits de désinfection. Dans le coin, notre petite fille dormait, toute innocente, toute paisible. Et moi, javais limpression que le monde entier seffondrait, en silence, sans un cri, seulement dans mon cœur.
Jai eu du mal à y croire. Je refusais daccepter. Comment cela pouvaitil arriver? Pas aujourdhui, pas le jour même? Jai pensé que quelquun lavait contraint, quil sétait produit quelque chose dimprévu. Mais la vérité était plus simple et plus douloureuse.
Le même soir, cette femme ma écrit: «Je nai pas voulu ten parler, mais tu dois savoir la vérité. Il était déjà avec moi, avant même, et ça continue.»
Je ne sais pas ce qui ma le plus blessé linfidélité ou la prise de conscience que, au moment où une nouvelle vie naissait, quelque chose mourait en nous. Jai alors décidé de tout découvrir, même si cela devait me détruire.
Je suis resté sans voix, debout dans le couloir, la photo à la main, le doux sanglot de mon bébé en arrièreplan, tandis que le profil familier de cet homme apparaissait à lécran du téléphone, souriant à une femme en robe rouge. Date, heure, localisation: un hôtel du centre de Lyon, exactement quand notre enfant voyait le jour.
Mon cœur battait la chamade, mes jambes étaient en coton, et ma tête refusait de coopérer. Je me posais sans cesse la même question: pourquoi? Pourquoi à ce moment précis? Pourquoi ne pouvaitil pas être avec nous? Et qui était donc cette femme?
Les jours suivants, il sest comporté comme dhabitude. Il apportait des fleurs, caressait notre petite, me disait que jétais «la plus courageuse du monde». Moi, je le regardais, envie de crier au fond de moi, mais je ne lai pas fait. Pas encore. Dabord, il fallait que jen sache davantage.
Jai fouillé dans son ordinateur, son téléphone, ses papiers, la nuit, pendant quil dormait, pendant quil berçait notre fille, sans quil ne soupçonne que je, son épouse, qui venait de lui confier la vie, ne lui faisais plus confiance une seconde.
Et jai rapidement trouvé plus que je ne voulais. Des messages, des photos, des billets de concert, des réservations de restaurant. Tout était là, depuis des mois. Ce nétait pas un hasard. Elle faisait partie de sa vie, peutêtre même plus que moi.
Ce qui ma le plus transpercé, ce nétait pas le fait quil mait trompée, ni quil soit lâche, mais quil lait fait à ce moment même, le jour censé être le plus beau de nos existences.
Je nai plus tenu. Un soir, alors que notre petite dormait, je lui ai posé lordinateur portable ouvert sur la galerie de photos. Je nai rien dit. Il a regardé un instant, puis a baissé la tête.
«Ce nest pas ce que tu crois», atil chuchoté.
«Alors quoi?»
«Cétait une erreur.»
«Une erreur qui dure depuis plus dun an?»
Il na pas répondu. Pour la première fois, jai vu la peur dans ses yeux, pas le regret, pas la contrition, mais la peur de la fin. Et il la eu. Il a fait ses valises cette même nuit. Je ne lai pas supplié de rester. Je nai pas pleuré. Jen avais assez de larmes.
Les premières semaines, jai vécu comme une ombre, fonctionnant à linstinct, seulement pour ma fille, pour ne rien laisser lui manquer. Mais à lintérieur jétais en ruine. Les questions tournaient sans cesse: pourquoi? Pourquoi natil pas pu attendre? Pourquoi ne nous atil pas choisis?
Puis une autre pensée mest venue: peutêtre ne nous atil jamais choisis. Peutêtre étaitil avec nous par commodité, parce que cétait plus simple, plus évident. Mais je ne voulais pas être une option confortable.
Jai recommencé à me reconstruire, morceau par morceau. Thérapie, sorties avec des amies, nuits blanches et nuits de sommeil réparateur. Et le premier sourire sincère de ma fille, sans raison apparente, ma donné la force de rester debout.
Trois mois plus tard, il ma envoyé un SMS bref: «Tu me manques. Jaimerais tout texpliquer.». Je nai pas répondu. Une semaine plus tard, il est frappé à la porte, sans prévenir, un bouquet de roses et une valise à la main.
«Je ne suis pas venu supplier. Je suis venu pour mexcuser,» atil déclaré.
Il a commencé à parler: quil sétait perdu, quil avait peur des responsabilités, que cette autre femme nétait quune «échappatoire». Quen me voyant avec notre enfant dans les bras, quelque chose sest brisé en lui. Quil sait que rien ne pourra réparer, mais quil aimerait rester père, présent, aider.
Je lai regardé, incertaine de ce que je ressentais: colère? Regret? Ou simplement lassitude? Je lai laissé entrer, non pas parce que je lui ai pardonné, mais parce que je savais que ma fille finirait par lui demander où il était, et je voulais quelle puisse poser la question le regardant droit dans les yeux.
Deux ans se sont écoulés depuis ce jour. Nous ne sommes plus ensemble, mais nous restons parents. Il est parfois maladroit, parfois en retard, mais il est de plus en plus présent. Moi, je ne suis plus la même femme quautrefois. Je suis plus forte, plus sage, plus sereine.
Parfois je me demande si jaurais pu agir autrement, si jaurais pu sauver, discuter, lutter. Mais quand je regarde ma fille, son rire, son énergie, je sais que la seule personne pour qui je devais être forte, cétait elle.
Lhomme qui ma trahie nest quun chapitre. Elle est le livre entier.
